Lutter pour le droit à l’éducation en
français
Par Leah Germain
La Charte canadienne des droits et libertés
existe depuis maintenant 30 ans, et les droits des citoyens
canadiens qu’elle énonce servent encore à défendre les communautés
de langue officielle en situation minoritaire.
Pas plus tard que cette année, la
Commission scolaire de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard
s’est fondée sur les dispositions linguistiques de la Charte
pour entreprendre un recours judiciaire contre le gouvernement de la
province. La Commission scolaire, qui gère l’éducation en français
dans la province majoritairement anglophone, soutient que la
Charte établit que tous les Canadiens ont le droit de recevoir
leur instruction dans la langue officielle qui est leur langue
maternelle.
En mars, elle a engagé une poursuite en justice
contre le gouvernement provincial devant son refus de financer une
nouvelle classe de huitième année dans une école de langue française
de la ville de Summerside, le principal centre urbain de la
population francophone de l’île (laquelle compte quelque 5 900 personnes
sur une population totale d’environ 140 000 personnes). Mais, selon
le président de la Commission scolaire, Robert Maddix, on n’aurait
jamais dû avoir à s’adresser aux tribunaux, puisque le droit des
élèves francophones de l’île de recevoir leur éducation dans leur
langue a déjà été établi.
« Il n’y a pas de raison d’aller en cour, parce
que cette question a déjà été examinée par le plus haut tribunal, la
Cour suprême du Canada », déclare M. Maddix, en faisant allusion à
l’affaire
Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, une
cause qui a fait jurisprudence en 2000.
Dans cette affaire, l’une des plus importantes
de l’histoire récente du Canada dans le domaine de l’enseignement en
français, deux mères, Noëlla Arsenault et Madeleine Costa,
demandaient au gouvernement provincial de fournir du financement aux
écoles de langue française des Acadiens de l’île.
Madeleine Costa raconte que le fait de grandir
dans une famille résolument francophone, à Kapuskasing, dans le nord
de l’Ontario, explique en grande partie pourquoi elle s’est battue
pour faire instruire ses enfants en français.
« C’était vraiment important pour moi, parce
que mon père et ma mère étaient francophones et que nous ne pouvions
pas parler anglais à la maison », explique‑t‑elle. Mme Costa,
qui travaille actuellement comme suppléante à Charlottetown, se
souvient de sa lutte pour faire reconnaître ses droits linguistiques.
« Même si je savais que je me heurtais à un mur, j’avais l’intuition
que je devais me battre. Et aussi, quand on a des enfants, on ferait
n’importe quoi pour eux. »
Lancée en 1995 avec l’aide de la
Fédération des parents de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, la bataille
juridique est allée jusqu’à la Cour suprême du Canada. En janvier 2000,
les deux femmes ont appris le verdict : la confirmation que leurs
enfants auraient accès à l’enseignement en français. La cadette des
filles de Mme Costa, Mylène Louise Petitpas, âgée de 16 ans,
fréquente actuellement l’École François‑Buote, une école de langue
française à Charlottetown. Les deux autres enfants de Mme Costa
ont aussi fréquenté cette école. « Mes enfants ont gagné, et je suis
contente pour eux — c’est pour ça que je me suis battue », confie‑t‑elle.
Selon Gabriel Arsenault, président de la
Société Saint-Thomas-d’Aquin, la cause a eu une grande
importance dans la province. « Depuis l’an 2000, le nombre de
centres scolaires communautaires de langue française est passé de
deux à six à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, explique-t-il. Nous avons
célébré l’ouverture officielle du sixième centre scolaire
communautaire en décembre. Cette affaire a certainement eu une
incidence énorme sur les progrès que nous avons accomplis en un peu
plus de 10 ans. »
Un
rapport réalisé par Statistique Canada montre qu’en 2006, 1 170 enfants
de parents francophones étaient inscrits dans des écoles de l’île,
du préscolaire au secondaire. Les deux tiers de ces enfants
recevaient leur enseignement en français.
Comme Mme Costa, d’autres parents
des Maritimes ont dû se battre pour que leurs enfants reçoivent leur
enseignement en français. En Nouvelle-Écosse, des parents
francophones ont livré une lutte semblable pour donner à leurs
enfants accès à l’enseignement secondaire dans leur langue
maternelle.
Même si des rapports indiquaient que
l’assimilation atteignait des niveaux alarmants, la province de la
Nouvelle‑Écosse avait reporté la construction d’écoles secondaires
francophones homogènes dans plusieurs régions de la province. La
décision rendue en 2003 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire
Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation)
a permis l’établissement de ces écoles.
Glenda Doucet-Boudreau, mère de trois enfants,
se rappelle sa frustration. « Nous [les Doucet‑Boudreau et d’autres
parents] étions en colère et très désappointés. Nous avons porté la
cause devant la Cour suprême du Canada. » Mme Doucet‑Boudreau,
qui exerce le métier d’infirmière dans sa ville natale de
Concession, en Nouvelle‑Écosse, raconte : « Notre cause a été
entendue par la Cour suprême en octobre 2002 et, en octobre 2003,
elle a rendu une décision en notre faveur. »
Dans le jugement, le tribunal a tranché en
faveur de Mme Doucet‑Boudreau, en insistant sur le fait
que l’enseignement en langue française aidait à prévenir
l’assimilation de la petite population acadienne de la Nouvelle‑Écosse
par la majorité anglophone : l’article 23 de la Charte vise
« à réparer des injustices passées non seulement en mettant fin à
l’érosion progressive des cultures des minorités de langue
officielle au Canada, mais aussi en favorisant activement leur
épanouissement. »
Mme Doucet‑Boudreau s’est battue
pour que ses trois enfants aient accès à l’enseignement en français,
mais seule sa fille cadette, Coralie Boudreau, aujourd’hui âgée de
27 ans, a pu fréquenter une école de langue française durant les
deux dernières années de ses études secondaires.
Depuis la décision de la Cour suprême, la
Conseil scolaire acadien provincial a été en mesure d’établir
21 écoles élémentaires et secondaires en Nouvelle‑Écosse. En 2011,
la commission scolaire comptait plus de 4 000 élèves recevant leur
enseignement en français. Sur une population totale de 920 000 personnes,
on estime que le nombre de citoyens néo‑écossais de langue
maternelle française est d’environ 34 900.
Pour de plus amples renseignements
Évolution du système d’éducation
Une charte, deux langues, mille et une voix
Notre histoire, notre parcours (ligne du temps des événements
liés aux langues officielles depuis 1969)
The Charter in the Classroom: Minority
Language Educational Rights (en
anglais uniquement)

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