ARCHIVÉE - 3. Les ententes Canada-communautés et la gouvernance horizontale

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Les ententes Canada-communautés représentent un premier mode de gouvernance horizontale dans le domaine de l’épanouissement et du développement des minorités de langue officielle. Leur mise en œuvre constitue un défi pour le gouvernement fédéral et les minorités de langue officielle, car la gouvernance horizontale exige un changement de culture organisationnelle, de nouvelles formes d’imputabilité collectives, un dialogue continu entre les différents réseaux d’acteurs. Elle doit aussi donner lieu à de nouveaux rapports entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, fondés sur le partenariat et la subsidiarité plutôt que sur la dépendance et la hiérarchie.

3.1 La structure de gouvernance

La figure 4, à la page suivante, propose une synthèse de la structure de gouvernance des plus récentes ententes Canada-communautés. Celle-ci a été conçue en collaboration avec les minorités de langue officielle et ressemble à un assemblage de structures verticales et horizontales de gouvernance (voir l’annexe 8 pour une description plus détaillée des acteurs et de leurs rôles dans la coordination des activités reliées aux ententes Canada-communautés).

Figure 4 : Synthèse des acteurs et leurs rôles dans la coordination des activités reliées aux ententes Canada-communautés*

Ententes Canada-communautés
La concertation au sein de Développement des ressources humaines Canada

Le ministère du Patrimoine canadien constitue l’instance ultime d’approbation des ententes. Par contre, chaque entente est gérée par un Comité de gestion, qui réunit des représentants du ministère du Patrimoine canadien et des représentants des milieux minoritaires (généralement issus de la table de concertation provinciale ou territoriale).

Les ententes prévoient aussi une table de concertation provinciale ou territoriale, parfois aussi appelée (selon l’endroit) forum de concertation, comité d’orientation, comité de direction ou conseil des organismes. Celle-ci peut inviter des représentants du gouvernement à y siéger, comme c’est le cas à Terre-Neuve; sauf qu’en général, elle se compose exclusivement de porte-parole du milieu minoritaire. La table de concertation représente donc le milieu minoritaire pour tout ce qui touche à la négociation et à la gestion de l’entente.

Ainsi, la minorité anglophone du Québec est représentée par le Quebec Community Groups Network, un réseau d’associations communautaires représentant les anglophones de partout en province fondé en 1995. Au Nouveau-Brunswick, les différentes organisations francophones ont mis sur pied le Forum de concertation des organismes acadiens du Nouveau-Brunswick. Par contre, la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick, un organisme plus ancien, assure la gestion administrative de l’entente ainsi que le secrétariat du forum de concertation.

L’Ontario s’est dotée d’un Comité de direction pour le renouvellement de l’entente et d’un comité supplémentaire, le Comité de demandes. Celui-ci vise à éliminer tout soupçon de conflit d’intérêts dans la gestion de l’entente, dans la mesure où la plupart du temps, ce sont les mêmes personnes qui siègent à presque tous les comités (ce qui n’est pas unique à l’Ontario).

Dans les autres provinces et territoires, ce sont les organismes de représentation provinciale ou territoriale qui assurent la négociation et la gestion des ententes au nom du milieu minoritaire. Des représentants d’organismes sectoriels sont cependant appelés à siéger aux Comités de gestion et à évaluer les demandes de financement.

La structure « nationale » est plus complexe, comprenant une table des organismes nationaux, des tables de concertation sectorielles, un comité de coordination, des comités spéciaux et un comité de gestion, à l’instar des autres ententes. Ainsi, les tables de concertation jouent un rôle important de coordination de l’action au sein des milieux minoritaires.

Suite à la signature des plus récentes ententes, le ministère du Patrimoine canadien a mis sur pied un comité d’évaluation supplémentaire constitué de représentants du ministère uniquement afin de revoir les demandes de financement des minorités déjà acceptées par les Comités de gestion ou les Comités de demandes. L’imposition d’un tel comité a été mal reçue par les minorités, qui considèrent qu'elles ont négocié leurs ententes de bonne foi et qu’une telle structure ne servirait qu’à bureaucratiser davantage le processus d’approbation des demandes de financement.

3.2 La négociation des ententes

Les ententes sont négociées entre les organismes porte-parole et les responsables du ministère du Patrimoine canadien. Les frais engagés par la négociation des ententes varient de 20 000 $ à 40 000 $ et sont déboursés à même les budgets de fonctionnement des organismes (FCFA, 2000 : 1-2). Les négociations peuvent prendre jusqu’à deux ans, comme cela fut le cas lors du renouvellement des ententes pour la période allant de 1999 à 2005.

Mentionnons, cependant, que les groupes ne participent pas de façon égale à la négociation des ententes. Tous les groupes ne siègent pas à la table de négociation ou ne sont pas consultés afin de faire valider le processus. Plusieurs d’entre eux critiquent d’ailleurs sévèrement le processus de négociation. Certains ont insisté sur les conflits entre fonctionnaires régionaux et nationaux, une entrave, selon eux, à la bonne marche des négociations des ententes. Ils ont fait valoir que le processus avait été trop lent, que les fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien avaient tenu des propos contradictoires et que les milieux minoritaires n’avaient eu aucune marge de manoeuvre lors de la négociation du financement, ce dernier ayant déjà été décidé dès le début du processus.

La FCFA a recommandé au ministère du Patrimoine canadien de clarifier le processus ainsi que les règles du jeu. Elle souhaite, comme l’ensemble des intervenants concernés par les ententes, que le ministère soit plus transparent; que l’on donne aux fonctionnaires régionaux la marge de manœuvre nécessaire pour négocier; que les milieux minoritaires soient considérés comme des partenaires imputables; qu’une période de négociation plus courte soit définie; que les négociations soient justes et équitables et que l’on évite les perceptions de favoritisme; que l’on identifie clairement des négociateurs au ministère du Patrimoine canadien; que l’on indique ce qui est négociable (FCFA, 2000 : 2-3).

Ces enjeux sont importants, car ils indiquent que la coordination de l’action en période de négociation n’a pas été efficace. De façon plus explicite, cela signifie que les mécanismes d’imputabilité n’ont pas bien fonctionné, que les rôles des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux n’ont pas été bien définis et que l’interaction entre eux n’a pas été favorable à un apprentissage collectif. L’État n’a pas joué son rôle de catalyseur.

3.3 L’évaluation des ententes

Les ententes Canada-communautés contiennent des mécanismes d’évaluation. En 1997, le ministère du Patrimoine canadien procédait à ses propres évaluations pendant que la plupart des minorités de langue officielle faisaient de même. Les différentes évaluations présentent cependant des résultats similaires. Les ententes prévoient également des évaluations continues, sauf que celles-ci ne semblent pas avoir été réalisées au fur et à mesure de la mise en place des ententes.

Dans la première série d'ententes (1994-1999), une disposition portant sur l’évaluation des ententes stipulait que « les deux parties conviennent de l’importance à accorder aux évaluations périodiques et continues permettant de vérifier si les objectifs de l’entente ont été atteints ». Cette disposition a été reprise dans la nouvelle série d’ententes (2000-2005), mais à la différence cette fois qu’il est prévu explicitement que dans certains cas, ce sera le Comité de gestion de l’entente qui sera chargé de l’évaluation des activités réalisées et des mécanismes mis en place dans le cadre de l’entente.

Les communautés francophones de Terre-Neuve et de l’Ontario sont celles qui semblent être allées le plus loin en ce qui a trait à la spécification des mécanismes d’évaluation. Terre-Neuve prévoit des évaluations annuelles réalisées par le Comité de gestion et une évaluation finale en consultation avec les organismes communautaires. En Ontario, l’entente prévoit que le Comité de gestion, appuyé par des experts, sera responsable du développement et de la mise en œuvre de l’évaluation conjointe (ministère et communauté). Ce comité s’engage à rendre compte annuellement des résultats de l’évaluation au ministère du Patrimoine canadien et au milieu communautaire.

Dans le cas de Terre-Neuve comme de l’Ontario, le ministère du Patrimoine canadien s’engage à payer la moitié des coûts liés à la conduite des évaluations (experts, rencontres). Dans tous les autres cas, elles doivent être financées à même les fonds de l’entente.

Jusqu’à présent, les évaluations des ententes Canada-communautés n’ont pas porté de façon explicite sur des enjeux de gouvernance. Bien des questions renvoient aux difficultés associées à la gouvernance, dont celles portant sur la concertation entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. Toutefois, bien d’autres n’ont pas été posées en ce qui a trait à l’efficacité de la gouvernance et sa portée sur l’organisation des réseaux d’acteurs au sein des communautés de langue officielle.

3.4 Les ententes Canada-communautés et l'efficacité de la gouvernance horizontale

Les ententes Canada-communautés devraient favoriser une coordination de l’action fondée sur la concertation, la participation des divers organismes et ministères fédéraux au développement des milieux minoritaires et le développement à long terme des minorités. Ainsi, une action efficace devrait donner lieu à une plus grande synergie entre les différents partenaires et à une plus grande prise en charge des communautés par elles-mêmes. Mais est-ce vraiment le cas ?

Les conditions favorables à une coordination efficace de l’action sont présentes lorsque : i) les mécanismes d’imputabilité sont clairement établis; ii) la société civile prend en charge certaines responsabilités sans être laissée à elle-même; iii) l’interaction entre les groupes est possible et les règles sont connues et acceptées de tous; iv) l’État agit comme catalyseur. Rappelons cependant que la coordination de l’action peut être limitée par le contexte organisationnel et idéologique dans lequel elle se déroule et par les tensions et les conflits au sein des réseaux d’acteurs.

3.4.1 La question de l'imputabilité

La prise en charge plus grande de la gestion du financement des activités des minorités de langue officielle par les communautés pose la question incontournable de la compatibilité entre, d’une part, la possibilité d’un modèle de gouvernance fondé sur la participation des communautés à la coordination de l’action et, d’autre part, le principe de la responsabilité ministérielle.

Selon plusieurs, les difficultés relatives à la négociation des ententes et à leur gestion émanent des tensions existant entre le fonctionnement vertical propre au système gouvernemental canadien et la gouvernance horizontale (et les défis de collaboration entre acteurs qu’elle pose). Entre autres, les représentants gouvernementaux associés à la négociation et à la gestion des ententes Canada-communautés (soit les fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien) n’auraient pas été en mesure de fonctionner véritablement de façon horizontale ni de travailler avec les milieux minoritaires à un réel transfert de pouvoir. Il est impossible de dévier de la structure verticale de responsabilités à l’intérieur de laquelle les acteurs gouvernementaux interviennent, car l’imputabilité ultime revient au bailleur de fonds, le gouvernement fédéral. Cela donne aux fonctionnaires une responsabilité de contrôle, rendant incontournable la bureaucratisation du processus de négociation et de gestion des ententes.

La situation a également donné lieu à des tensions entre les fonctionnaires. Plusieurs mentionnent tout le problème des rapports entre ceux de la Direction générale des langues officielles et ceux qui ont la responsabilité de voir à la négociation et à la mise en œuvre des ententes dans les provinces. Les difficultés découlant d’une telle situation peuvent nuire à une plus grande prise en charge des minorités par elles-mêmes dans la mesure où elles contribuent à la confusion des rôles.

Les tensions entre la gouvernance verticale et horizontale ont également été ressenties au sein des milieux minoritaires de langue officielle. Elles auraient influencé la capacité de mobilisation des acteurs du milieu. Pour plusieurs, le processus de négociation et la structure des ententes Canada-communautés n’ont servi qu’à renforcer une gouvernance hiérarchique en crise au sein des milieux minoritaires de langue officielle. Elle a donné lieu à une lutte d’intérêts féroce entre les groupes, à un affaiblissement du pouvoir communautaire des minorités de langue officielle et à une perte de créativité à la base.

En d’autres mots, la plus grande participation des minorités de langue officielle à la gestion de leur développement a certes eu pour effet de provoquer un changement de culture au sein des communautés. Habitués à recevoir leur financement du gouvernement fédéral sans avoir à se concerter, les groupes ont été obligés de se justifier davantage. Or, le fait que le gouvernement ait privilégié certains groupes comme porte-parole des minorités de langue officielle au détriment des autres a provoqué des turbulences encore plus grandes dans certains milieux, en Ontario et au Québec en particulier.

Ainsi, les groupes désirant innover sur le plan de la représentation n’ont pu, lors de la négociation et de la gestion des ententes, faire entendre leur préoccupation pour une gouvernance plus transparente et horizontale au sein de leur propre milieu (cette préoccupation rejoint de nombreux groupes, tant francophones qu’anglophones). Pour plusieurs, la négociation et la gestion des ententes a imposé des façons de fonctionner qui vont à l’encontre de la gouvernance horizontale.

Il existe de plus en plus de modèles différents de participation et d’imputabilité au sein des milieux minoritaires francophones et anglophones, que l’on pense à l’Assemblée communautaire de la Saskatchewan5, à la Table féministe francophone de concertation provinciale de l’Ontario ou encore à certaines associations anglophones au Québec. Ces modèles d’engagement civique différents constituent un phénomène nouveau. Les groupes cherchent ainsi à se doter de structures nouvelles de participation et d’imputabilité collectives, notamment en vue de mieux répondre aux besoins plus diversifiés de leurs membres, de respecter davantage les principes d’équité (notamment entre les sexes), de mobiliser les jeunes et de favoriser de nouvelles formes de concertation entre les groupes. Pour plusieurs, une plus grande ouverture de la part du gouvernement fédéral à ce type de préoccupations pourrait faciliter la collaboration entre les groupes lors de la négociation et de la mise en œuvre des ententes. Plusieurs souhaitent que ces questions soient davantage prises en compte dans les rapports entre les minorités de langue officielle et le gouvernement et entre elles également, notamment lors de la négociation des prochaines ententes.

Bref, force est de constater que l’imputabilité est l’une des questions critiques que pose l’exercice de la nouvelle gouvernance. Selon Peters, il appert que « [l]e modèle proposé par la nouvelle gouvernance semble rendre ce processus encore plus opaque et plus sujet au délestage de responsabilités que le processus bureaucratique conventionnel » ( Peters, 2001 : 34). Selon lui, il est fort probable que nous nous rendions compte « que l’ancienne imputabilité administrative comportait des vertus qu’il faudrait bien retrouver » ( Peters, 2001 : 34). Le défi des ententes Canada-communautés est de rendre possible la mise en place de nouveaux modes d’imputabilité qui soient acceptables pour tous.

3.4.2 Le partage des responsabilités

Pour avoir un certain sens, l’intégration plus grande des minorités de langue officielle au processus de mise en œuvre de leur développement nécessite un nouveau partage des tâches entre les différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. D’une part, ces derniers ne peuvent se contenter de participer de façon passive à la gouvernance des minorités de langue officielle. D’autre part, il n’est pas dans l’intention des minorités de langue officielle de se voir octroyer la pleine responsabilité des programmes gouvernementaux. Celles-ci souhaitent plutôt être traitées comme des partenaires du gouvernement fédéral dans la poursuite de leur objectif commun de développement.

L’analyse des ententes Canada-communautés permet de cerner les paramètres du nouveau partage des tâches entre le gouvernement fédéral et les minorités de langue officielle. La figure 4 l’a bien montré (voir également l’annexe 8). Or, pour plusieurs, le partage des responsabilités n’a pas été clairement établi dans les ententes. La façon dont il fallait procéder à la gestion, à l’évaluation des ententes et à l’allocation du financement aux différents groupes ne témoignait pas d’une bonne compréhension des rôles et des responsabilités de chacun. Pour plusieurs, ce qui a été couché sur papier n’a pas été facilement mis en pratique, notamment en raison d’un manque de direction et parce que le gouvernement n’a pas traité les minorités comme des partenaires.

La situation a donné lieu à des ambiguïtés importantes au moment de la gestion des premières ententes. Selon plusieurs, les différents acteurs gouvernementaux ne savaient plus à quelle tâche vaquer ou comment justifier leur rôle dans le fonctionnement des ententes. Certains ont eu peur de perdre leur emploi. D’autres se sont retrouvés en conflit, certains ont cherché à rendre le processus plus transparent, d’autres à résister au changement, pour ne rien dire des élus qui ont joué un rôle ambigu dans le processus de négociation et d’évaluation des ententes.

Selon plusieurs, à chaque étape, c’est-à-dire, au moment de la négociation, de la gestion et de l’évaluation des ententes, les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux ont souvent été obligés d’improviser. Il s’est ainsi installé des rapports difficiles entre eux. Dans certains cas, des exercices de planification stratégique ont été effectués inutilement. Dans la plupart des cas, le gouvernement n’a pas tenu compte des plans de développement dont s’étaient dotées les communautés. La répétition continuelle du processus de négociation a donné lieu à beaucoup de paperasse, mais non à un meilleur partage des responsabilités.

Dans la mesure où les données révèlent que les nouvelles façons de faire du gouvernement avaient d’abord et avant tout constitué un moyen de faire gérer par d’autres la décroissance des fonds publics, notamment par les minorités de langue officielle, il est plus facile de comprendre les difficultés associées avec la question du partage des tâches. Les ententes Canada-communautés ont servi à rationaliser les activités gouvernementales dans le domaine des langues officielles, sans qu’on pense toujours à leurs effets à long terme sur le développement des minorités et sur les rapports entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. La signature des premières ententes a eu lieu dans des conditions difficiles et de façon précipitée. Les différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux n’étaient pas préparés aux nouvelles façons de faire du gouvernement ni à un partage de responsabilités.

La nouvelle gouvernance a été mise en place dans un climat de désintérêt généralisé à l’égard des minorités de langue officielle, ce qui peut expliquer que la question du partage des responsabilités n’ait pas été considérée comme un enjeu important dans le cadre des ententes Canada-communautés. En réalité, la nouvelle gouvernance laissait les minorités à elles-mêmes alors qu’elle devait être le moteur d’un changement de culture.

Par ailleurs, la plupart des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux que nous avons rencontrés ne sont pas optimistes malgré la signature de la deuxième série d’ententes. Selon plusieurs, la question du partage des responsabilités entre le gouvernement et les minorités demeure entière.

3.4.3 L’interaction et les règles du jeu

Les ententes Canada-communautés s’apparentent à un type de négociations interorganisations visant à réaliser des objectifs communs de développement et d’autonomie des milieux minoritaires de langue officielle. L’interaction entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux requiert une étroite collaboration entre eux, une communication efficace, une concertation continue et un engagement commun. Elle crée des conditions favorables à la mise en place de mécanismes d’imputabilité collectifs.

Selon le ministère du Patrimoine canadien, la concertation a pris des allures différentes selon les milieux. Dans certains cas, elle n’a pas été plus loin qu’un échange d’information. Dans d’autres, elle a servi à revoir les priorités au sein des organismes. Notamment, dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), la concertation a été très active et a donné lieu à une plus grande prise en charge des organismes par eux-mêmes. Selon le ministère du Patrimoine canadien, dans les T.N.-O., « [l]a concertation s’inscrit dans une logique à la fois décisionnelle et opérationnelle. Cette pratique a pour effet d’assainir les relations entre les groupes, de rationaliser la prise de décision et ultimement (sic), de responsabiliser davantage la communauté par rapport à la prise en charge de son développement (imputabilité) » (PCH, 1997 : 16). Toutefois, l’expérience dans les T.N.-O. était un projet-pilote qui n’a pas été reproduit dans les autres communautés. Nous avons appris, au terme de la présente étude, que l’on a mis fin à l’expérience dans les T.N.-O. en raison d’une nouvelle politique sur les paiements de transfert du SCT et des nouvelles consignes sur la diligence raisonnable.

Le ministère du Patrimoine canadien reconnaît que la concertation a provoqué des tensions entre les acteurs du milieu ainsi qu’un alourdissement de la bureaucratie. Selon lui, l’« approche mobilise beaucoup de temps et de ressources, comporte souvent des incertitudes ou des ambiguïtés et consomme beaucoup de paperasse et tout compte fait, les résultats ne semblent pas à la hauteur des énergies qui y sont consacrées » (PCH, 1997 : 51). La FCFA fait la même observation.

Par contre, la FCFA considère qu’il sera important d’assurer une meilleure communication entre les différents acteurs au sein des mécanismes de représentation de la communauté et entre les composantes du milieu minoritaire dans sa diversité (FCFA, 2000 : 4-5). Or, jusqu’à présent, les problèmes d’interaction entre les différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux ont été importants.

La FCFA souhaite que les représentants des bailleurs de fonds s’inspirent de la vision globale du développement de la communauté. Lors de la négociation de la deuxième série d’ententes Canada-communautés, elle soulignait la nécessité d’en faire la base à partir de laquelle le financement des ententes serait négocié (FCFA, 2001 : 4-5). Il faudra cependant s’assurer de l’imputabilité des processus de planification stratégique, car ces derniers ont déjà donné lieu à des exclusions au sein des milieux minoritaires.

Les ententes ressemblent aussi à une forme de coordination systémique. Les organisations doivent s’entendre et s’unir autour d’une vision commune en vue de la création d’un réseau autonome ou de la prise en charge des communautés par elles-mêmes. Elles ne font pas que suivre les règles énoncées au départ par le gouvernement. Les acteurs du milieu tentent également de jouer sur les règles du jeu. Or, si les règles du jeu, en plus des rôles et des responsabilités de chacun, ne sont pas clairement établies et peuvent constamment être modifiées en raison d’impératifs politiques ou autres, cela contribue à fragiliser tout le processus de mise en œuvre des ententes. Entre autres, le développement de liens intimes entre certains acteurs du milieu et des fonctionnaires ou des politiciens fédéraux, cherchant à transiger avec un petit nombre de personnes, peut lui aussi nuire à la possibilité d’une meilleure communication entre les différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.

De plus, aucun critère de financement n’avait été bien établi au préalable et aucun critère de rendement ou de résultat n’avait été fixé non plus. Les responsables gouvernementaux se sont repliés sur des critères historiques ou encore chacun a fait de son mieux, ou a imposé les siens. Certains ont utilisé leur pouvoir discrétionnaire, demandé plus de renseignements, exercé davantage de contrôle et bureaucratisé encore plus le processus, rendant ainsi la vie encore plus difficile aux groupes. Pour plusieurs, c’était la seule façon d’intervenir dans un processus mal engagé. En d’autres mots, sans règles du jeu clairement établies, il devenait possible de fixer les siennes au fur et à mesure du processus.

Par ailleurs, les ententes Canada-communautés ne sont pas très précises en ce qui a trait au règlement des différends entre le gouvernement et le milieu ou entre les acteurs du milieu. Elles ne prévoient pas de mécanismes précis afin d’entendre les griefs des personnes, ni en cas de conflits d’intérêts.

3.4.4 Le rôle de l’État

Selon Peters, la gouvernance consiste à établir des objectifs ou à déterminer des priorités, ce qui tend bien souvent à ramener le processus décisionnel au niveau des organismes centraux, en dépit des pressions soutenues à la déconcentration ou à la décentralisation. L’État continue d’exercer une direction cohérente des politiques ( Peters, 2001 : 26). C’est également ce que souhaitent les minorités de langue officielle. Si elles aspirent à se constituer en un réseau autonome, elles ne souhaitent pas se substituer au gouvernement. Elle ne veulent pas que ce dernier se désengage de leur développement.

Les minorités de langue officielle n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour mener seules leur développement. Si elles ont accepté de diversifier le financement de leurs activités, elles ne préconisent pas l’autofinancement ni l’autogestion complète de leur milieu. Lorsqu’elles visent la prise en charge de leurs communautés par elles-mêmes, elles proposent de voir à la gestion complète de leurs activités, mais sans pour autant que le gouvernement fédéral, leur fiduciaire, les laissent à elles-mêmes.

Dans un rapport intitulé Consolider nos acquis : pour une meilleure gestion et transparence au sein du secteur bénévole au Canada, Ed Broadbent fait état des difficultés et des déceptions éprouvées par les organismes du secteur bénévole au Canada face à « un financement incertain et insuffisant, une demande de services accrue et des lourdeurs bureaucratiques qui se proposent de rendre leur organisation plus comptable [et qui] finissent parfois, par inadvertance, par les rendre moins efficaces  » ( Broadbent, 1999 : 6).

La question du financement pose cependant bien des difficultés. Comment procéder à une répartition équitable du financement et répondre aux besoins spécifiques à chaque communauté minoritaire de langue officielle ? Ces questions font l’objet de débats importants au sein de ces communautés et les réactions sont différentes d’un milieu à l’autre. Par ailleurs, quels sont les objectifs à atteindre et les exigences de rendement réel auxquels les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux devraient s’attendre au terme des ententes ? Ces questions ne donnent pas lieu à des réponses très précises. Sans une vision claire de ce que signifient l’épanouissement et le développement des minorités de langue officielle et des moyens précis de les mesurer, il est difficile de parler en termes de rendement. Les ententes Canada-communautés ont provoqué bien des turbulences au sein des minorités de langue officielle. Toutefois, n’auront-elles servi qu’à renforcer une culture d’État dans le domaine des langues officielles ? Qu’en est-il de la situation objective des minorités de langue officielle et de leur capacité à se mobiliser afin d’effectuer de réels changements au sein de leur milieu ?

À cet effet, l’État devrait réfléchir davantage aux liens mais également aux dissonances entre les exigences de sa politique et les besoins de développement des minorités de langue officielle. Il pourrait notamment aider davantage les minorités à s’orienter et définir avec elles des indicateurs d’une bonne coordination de l’action. Il y a lieu de travailler avec elles à développer un mécanisme continu d’évaluation des ententes et d’apprentissage collectif. En effet, comment faire en sorte que des groupes habitués à travailler de façon isolée au sein de leur milieu collaborent davantage entre eux et se donnent des mécanismes d’imputabilité collectifs ? Comment s’assurer que la gouvernance des minorités de langue officielle ne donne pas lieu à une institutionnalisation de leurs réseaux d’acteurs au point de les éloigner encore plus de leur base ?

Pour plusieurs, pour favoriser le développement des minorités, l’État devrait se doter d’un mécanisme plus efficace de concertation interministérielle. Les données révèlent que les différents ministères n’ont pas manifesté, jusqu’à présent, un grand intérêt pour la question du développement des minorités de langue officielle. Selon le ministère du Patrimoine canadien et la FCFA, il faudra que davantage d’organismes fédéraux participent à la négociation des ententes Canada-communautés.

Selon plusieurs, il faudra également que les provinces et territoires soient associés au processus, notamment pour qu’ils ne soient pas complètement aliénés de la situation des minorités. Or, dans ce domaine, le gouvernement fédéral a tout un travail de rapprochement à faire avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux. Il devra réfléchir davantage avec eux à la façon dont la nouvelle gouvernance des minorités peut davantage donner lieu à des interventions complémentaires plutôt que conflictuelles dans le domaine des langues officielles.

3.4.5 Les ententes Canada-communautés et le développement des milieux minoritaires

Selon plusieurs, les ententes Canada-communautés devraient s’avérer bénéfiques pour les milieux minoritaires de langue officielle dans la mesure où elles confirment leurs orientations de développement et leur permettent de préciser leurs attentes auprès du gouvernement et vice versa.

Certes, il est difficile, après une expérience de moins de dix ans, de mesurer la portée des ententes sur le développement des minorités de langue officielle. Néanmoins, certaines observations ou leçons peuvent être tirées de cette décennie d’expérience.

Les ententes Canada-communautés constituent une façon de reconnaître que le développement des minorités de langue officielle s’avère une composante essentielle de l’intervention gouvernementale dans le domaine des langues officielles. Toutefois, notre étude révèle que pour des raisons d'ordre budgétaire et de gouvernance institutionnelle, les ententes n’ont pas toujours donné lieu à une coordination efficace de l’action. Elles ont rendu possible un début de concertation entre les groupes et un renouvellement des rapports entre les milieux minoritaires et le gouvernement fédéral. Toutefois, pour plusieurs, l’efficacité des ententes a relevé d’un concours de circonstances plutôt que d’une vision claire de ce que suppose la gouvernance horizontale.

Le gouvernement devrait profiter de l’expérience des deux dernières séries d’ententes Canada-communautés afin de réfléchir davantage à la façon dont la gouvernance horizontale dans le domaine de l’épanouissement et du développement a donné lieu à de véritables changements au sein des milieux minoritaires et à une nouvelle mobilisation des différents réseaux d’acteurs en vue de leur plus grande prise en charge. Une concertation entre les différents acteurs dans le domaine de l’épanouissement et du développement des minorités de langue officielle, initiée par les plus hauts responsables de l’État, serait souhaitable.

Plus que jamais, le gouvernement fédéral et les minorités de langue officielle sont confrontées quotidiennement à l’ampleur des défis que leur pose la gouvernance dans le domaine de l’épanouissement et du développement. Il nous semble que d’approfondir cette question s’impose.

Notes

5. Une première en milieu minoritaire, la Saskatchewan s’est dotée en 1999 d’une assemblée communautaire afin de travailler à l’épanouissement et au développement des francophones de la province en privilégiant le dialogue, la concertation et la collaboration (http://www.fransaskois.sk.ca/acffiles/acfstatuts.htmSite externe). Cette assemblée a notamment pour mandat de voir à l’élaboration des politiques et des stratégies de développement de la communauté, d’approuver le budget et d’assurer la reddition des comptes auprès des gouvernements (ibid.). Quinze membres issus de douze districts électoraux sont élus au suffrage universel, pour deux ans. La présidente ou le président de l’Assemblée est élu par l’ensemble de la communauté. Toute personne comprenant le français, âgée d’au moins16 ans, résidant en Saskatchewan depuis au moins 6 mois et intéressée à promouvoir le fait français a droit de vote.



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