ARCHIVÉE - 1. L’étude de la gouvernance

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1.1 La gouvernance : un phénomène d’envergure internationale

L’intérêt pour la gouvernance est un phénomène récent et d’envergure internationale (Hewitt de Alcantra, 1998; Pagden, 1998). La crise financière mondiale a provoqué au sein des États des remaniements qui ont souvent été compris comme des changements dans la gouvernance des pays et non uniquement au sein des gouvernements. La question a été associée à la dévolution, à l’approfondissement d’une logique fédérale ou quasi fédérale en Europe comme dans certains pays d’Afrique ou encore à la reconnaissance des régionalismes et des nationalismes périphériques.

Un des effets de la gouvernance a été de donner lieu à une nouvelle délimitation du pouvoir au sein des sociétés contemporaines, entre les gouvernements et les citoyens. À titre d’exemple, la construction linguistique au sein de la communauté européenne constitue un cas de figure de gouvernance (Labrie, 1993). L’adoption de nouvelles politiques linguistiques au Royaume-Uni, notamment au Pays de Galles et en Irlande du Nord, constitue une expression concrète de ce mouvement. Il en est de même en Espagne, que l’on pense à la Catalogne, à la Galice ou au Pays Basque où la langue constitue un enjeu important. Les minorités nationales, culturelles et linguistiques dans ces pays sont de plus en plus incorporées à la gestion gouvernementale, entraînant ainsi une remise en question des anciennes formes verticales d’autorité et d’imputabilité.

Le gouvernement du Canada n’a pas échappé à ce mouvement alors qu’il a procédé à des transformations importantes dans ses modes de prestation des services aux citoyens et citoyennes et dans le domaine des relations intergouvernementales (Lazar, 1997). L’engagement des différents niveaux de gouvernement au Canada envers la gouvernance électronique en constitue également la preuve ( Alcock et Lenihan, 2001; Allen et al., 2001; Snellen, 2001). Le gouvernement fédéral a créé de nouvelles agences, signé de nouvelles ententes de dévolution dans plusieurs domaines comme la main-d’œuvre, l’environnement et les minorités de langue officielle.

Or, selon Guy Peters, « [l]e débat sur le (présumé) déclin des formes traditionnelles de la gouvernance semble plus problématique quant aux systèmes de Westminster que pour d’autres systèmes » ( Peters, 2001 : 33). Le Canada étant héritier d’un tel système, la gouvernance horizontale n’y est pas acquise et elle peut générer une résistance. Selon Peters, « [c]ela tient à une histoire politique et administrative marquée par un contrôle centralisé et à un système politique caractérisé par l’imputabilité verticale et un style de gouvernement 'du sommet à la base' » ( Peters, 2001 : 33).

1.2 La théorie de la gouvernance

La gouvernance se présente d’abord et avant tout comme un cadre conceptuel qui tente de donner sens à des pratiques que les approches libérales ou critiques plus traditionnelles ne semblent plus en mesure d’éclairer (Hirst, 2000 : 85). Celles-ci persistent à tenir pour acquise la division classique entre l’État et la société civile, alors qu’en pratique la distinction n’est pas si rigide.

Peters (2000) parle d’ancienne et de nouvelle gouvernance pour marquer la différence entre une approche traditionnellement étatique et centralisatrice et une autre fondée sur la coordination et le rôle des réseaux dans l’organisation du pouvoir. Dans ce dernier cas, le pouvoir n’est plus le monopole de l’État tout puissant; celui-ci apparaît plutôt comme un partenaire parmi d’autres (Pierre, 2000 : 3). Dit autrement, pour reprendre David Cameron et Richard Simeon, « [l]a gouvernance et la citoyenneté ne sont plus limitées aux frontières de l’État et celui-ci n’est plus le seul lieu du processus décisionnel politique » (Cameron et Simeon, 2001 : 42).

Selon Gerry Stoker, « [l]es réseaux de gouvernance cherchent [...] non seulement à influencer le gouvernement, mais aussi à se substituer à lui » (Stoker, 1998 : 26). Ceux-ci seraient dorénavant plus aptes que le gouvernement à promouvoir l’intérêt collectif et à régler les problèmes sociaux contemporains.

Pour la plupart des commentateurs, le problème de la responsabilité rend nécessaire le maintien d’un rôle à l’État. Selon Peters, la gouvernance exige la présence d’un mode d’imputabilité publique, afin que les décisions prises soient légitimes; « [l]e retrait du gouvernement du processus de gouvernance élimine toute possibilité d’imputabilité publique » ( Peters, 2001 : 33).

Le réseau est, par nature, replié sur lui-même et sur ses propres intérêts. Il peut, notamment, chercher à limiter la liberté d’expression ou la dissidence ou à se constituer en une sorte de clan fonctionnant à l’exclusion (Belley, 2001). Dans ces conditions l’État doit, sans toutefois prendre en charge le réseau, servir à orienter l’action afin de ne pas perdre de vue l’intérêt public plus large.

Par ailleurs, la nouvelle gouvernance porte sur l’étude des procédés employés pour arriver à une nouvelle forme de pouvoir organisé et d’action collective (Stoker, 1998 : 19). Elle a une ambition normative qui consiste à donner un nouveau sens à l’idée même de gouvernement (Cardinal et Andrew, 2001 : 4). Entre autres, elle se présente comme un modèle évolutif d’organisation fondé sur les principes d’interdépendance, de négociation et de coordination ( Peters, 2000; Stoker, 1998). Sa principale caractéristique est la subsidiarité, dont l’objectif est de ramener la solution des problèmes aussi près que possible du citoyen (Paquet, 2000 : 2).

Selon Luc Juillet, Gilles Paquet et Francesca Scala (2001 : 3) :

  • [...] dans le contexte actuel, la notion de gouvernance peut s’avérer subversive - elle remet en question la présomption populaire selon laquelle non seulement il est possible qu’une personne ou un groupe puisse normalement avoir ce qu’il faut pour gouverner seul, mais encore que ce soit désirable. L’approche contemporaine de la gouvernance présume que la collaboration est habituellement indispensable.

En d’autres mots, lorsque les gouvernements font dorénavant appel à une multiplicité d’acteurs, cela pose le défi d’une coordination efficace de l’action, fondée sur la collaboration et sur de nouvelles formes d’imputabilité collective.

Stoker a proposé un cadre de référence et des principes d’organisation servant à mieux rendre compte de l’évolution de la nouvelle gouvernance (Stoker, 1998 : 20). Il a regroupé ses observations en cinq propositions. Selon lui :

  • « la gouvernance fait intervenir un ensemble d’institutions et d’acteurs qui n’appartiennent pas tous à la sphère du gouvernement »;
  • « en situation de gouvernance, les frontières et les responsabilités sont moins nettes dans le domaine de l’action sociale et économique »;
  • « la gouvernance traduit une interdépendance entre les pouvoirs des institutions associées à l’action collective  »;
  • « la gouvernance fait intervenir des réseaux d’acteurs autonomes »;
  • « la gouvernance part du principe qu’il est possible d’agir sans s’en remettre au pouvoir ou à l’autorité de l’État. Celui-ci a pour rôle d’utiliser des techniques et des outils nouveaux pour orienter et guider l’action collective » (Stoker, 1998 : 20-21).

1.3 Gouvernance et coordination de l’action

La revue des écrits sur la gouvernance a permis d’identifier quatre conditions sous lesquelles la coordination horizontale de l’action peut s’avérer efficace.

Une première condition dvefficacité réside dans le mode d’imputabilité qui présidera à la coordination de l’action. Selon Peter Aucoin et Ralph Heintzman, l’imputabilité constitue la « pierre angulaire de la gouvernance et de l'administration publique ». Cela signifie que « ceux qui détiennent et exercent l’autorité publique [sont] tenus de rendre des comptes  » (Aucoin et Heintzman, 2001 : 181).

Lvimputabilité a trois objectifs : i) « contrôler les usages abusifs ou impropres du pouvoir »; ii) « rassurer la population quant à l’utilisation des ressources publiques, au respect de la loi et aux valeurs de la fonction publique »; iii) « encourager et promouvoir l’amélioration de la gouvernance et de l’administration publique » (Aucoin et Heintzman, 2001 : 181-182).

La définition de nouveaux modes d’imputabilité collective constitue un enjeu principal de la gouvernance horizontale. Selon Aucoin et Heintzman, les changements au sein des modes de gouvernance obligent à prendre conscience que « l’autorité et la responsabilité ne sont plus concentrés au sommet de la hiérarchie » (p. 182). Les dimensions interorganisationnelles des partenariats entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux exigent la mise en place de nouvelles formes d’imputabilité collective. La coordination de l’action sera plus ou moins efficace selon la présence ou l’absence de ces modes.

Une deuxième condition d’efficacité consiste en une meilleure compréhension du partage des responsabilités entre la société civile et l’État. Ce dernier ne peut se désengager complètement de la société civile, bien que celle-ci soit appelée à prendre de nouvelles responsabilités. Une coordination efficace de l’action est possible lorsque les différents acteurs reconnaissent cet état de fait et que la prise en charge de la société civile par elle-même n’est pas synonyme d’une société laissée à elle-même.

Une troisième condition d’efficacité repose sur la possibilité d’une interaction continue entre les acteurs, fondée sur un apprentissage collectif découlant de la mise en commun des expertises et des savoirs. Pour cela, le partenariat doit reposer sur un projet commun ou des règles partagées par tous. Sans cela, la coordination de l’action risque de donner lieu à des tensions et conflits d’intérêts entre acteurs plutôt qu’à une interaction continue et à un apprentissage collectif.

Une quatrième condition d’efficacité consiste en la capacité de l’État de servir de catalyseur afin d’appuyer l’action des réseaux d’acteurs autonomes. Pour cela, il faudra éviter une intégration des réseaux d’acteurs qui ne donnerait lieu qu’à la mise en place de structures plus lourdes de fonctionnement. Une action efficace doit servir à appuyer et à assurer l’ouverture des réseaux sinon, l’action ne servira qu’à alourdir une bureaucratie gouvernementale déjà lourde au lieu de favoriser la mise en place de partenariats et la subsidiarité.

Ces conditions pour une coordination efficace de l’action dépendent d’une série de facteurs difficiles à contrôler. Le plus important de ces facteurs est qu’au Canada, la culture organisationnelle en milieu gouvernemental est caractérisée par un mode d’imputabilité vertical. Celui-ci s’avère davantage favorable à la centralisation et à la bureaucratisation que le serait un mode de gouvernance horizontale.

Selon Stoker, il faut aussi accepter que la gouvernance puisse s’avérer un échec. Les conflits d’intérêts, les défaillances du système, les tensions entre les acteurs, bref la realpolitik, constituent des facteurs qui peuvent rendre impossible une gouvernance distribuée, horizontale et fondée sur l’apprentissage des acteurs, la concertation ou l’interaction continue entre eux. De plus, la gouvernance horizontale ne constitue pas une garantie de succès dans le processus de redéfinition des institutions publiques en cours. Elle pourra même contribuer à limiter la capacité des groupes à intervenir au sein du processus politique dans la mesure où ils seront relégués à des activités de gestion et de concertation et que l’État se désengagera par rapport à eux.

Selon Jan Kooiman, il faut mettre l’accent sur l’interaction entre les acteurs, la reconnaissance et l’acceptation d’une multiplicité de modes de gouvernance. Les acteurs doivent se donner un méta-principe ou des valeurs partagées fondées sur l’ouverture à la différence, la communication et l’apprentissage afin de pouvoir composer avec la complexité des processus en cours, leur diversité et leur dynamisme ( Kooiman, 2000 : 162). Voilà tout un programme, qui montre bien que la gouvernance est plus qu’un ensemble de procédés ou un renouveau du corporatisme. Elle vise une organisation nouvelle du pouvoir et de l’action collective. La gouvernance d’une société est efficace lorsque le pouvoir, la connaissance et les ressources sont bien distribués.

1.4 Gouvernance et minorités de langue officielle

En 1996, l’étude exhaustive du Commissaire aux langues officielles sur la mise en œuvre par le gouvernement fédéral de la partie VII, Un tracé pour agir, a constitué un point de départ important de la réflexion sur la gouvernance des minorités de langue officielle au Canada. Celle-ci analysait la façon dont le gouvernement fédéral, à l’époque, prenait en compte la question de l’épanouissement et du développement des minorités de langue officielle au sein des institutions fédérales assujetties à la Loi (Commissaire aux langues officielles, 1996).

L’étude avait pour but d’encourager le respect des objectifs de la partie VII et souhaitait que « les décideurs à tous les niveaux de l’administration fédérale s’engagent personnellement et fassent preuve de créativité pour prendre des initiatives qui assureront la réalisation des objectifs de la partie VII » (Commissaire aux langues officielles, 1996 : 76). À l’époque, la partie VII commençait à peine à être mise en œuvre. Par ailleurs, en 1998, le rapport Savoie révélait que la partie VII faisait encore l’objet de beaucoup d’incompréhension de la part des décideurs et des fonctionnaires.

De façon concomitante, d’autres études ont montré que la mise en place de nouveaux modes horizontaux de gouvernance comme la dévolution ou la privatisation des services publics avaient des conséquences importantes sur les minorités de langue officielle. Selon plusieurs, les transformations gouvernementales ont donné lieu à une perte de droits dans le domaine des langues officielles (Commissaire aux langues officielles, 1998, 2001; Fontaine, 1999; Savoie, 1998).

Enfin, la judiciarisation soutenue de la question linguistique au Canada s’ajoute aussi aux défis de la gouvernance. Comme l’a écrit la Commissaire aux langues officielles, « [l]es mécanismes d’enquête et la menace de recours judiciaire semblent avoir instillé une attitude de résistance qu’il faut désamorcer par un changement de la culture des organisations fédérales à l’égard de la dualité linguistique. » (Commissaire aux langues officielles, 2000 : 100). D’ailleurs, elle estime qu’« il y a eu assez de jugements pour clarifier la portée des droits linguistiques, qu’il faut maintenant une responsabilisation politique et administrative concrète » (p. 8).

À l’instar de la Commissaire aux langues officielles, ces dernières années, plusieurs ont demandé au gouvernement fédéral de donner un sérieux coup de barre aux langues officielles au Canada et de s’acquitter davantage de ses obligations dans le domaine. Il lui fut également suggéré de prendre du recul afin de mieux voir ce qu’il faudrait faire en matière d’épanouissement et de développement des minorités de langue officielle (Savoie, 1998 : 53).

Pour leur part, les porte-parole des minorités de langue officielle, de l’extérieur du Québec en particulier, ont exigé une politique globale de développement. Ils n’ont cessé de réclamer une approche plus intégrée et une plus grande cohérence de la part du gouvernement fédéral dans le domaine de l’épanouissement et du développement des minorités de langue officielle. Ils ont également demandé à être davantage intégrés au processus d’aménagement linguistique.

Les données disponibles sur les minorités linguistiques en Europe révèlent que les transformations dans l’organisation du pouvoir dans des pays comme l’Écosse, le Pays de Galles ou l’Irlande du Nord ont soulevé beaucoup d’espoir ( Loughlin, 1999). Au Canada, force est de constater que les minorités de langue officielle sont plus craintives. La gouvernance y est souvent associée à une perte de droits.



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