Discours dans le cadre de la conférence CARE
Conférence CARE à Montreal -
Raymond Théberge - Commissaire aux langues officielles
Seul le texte prononcé fait foi
Bonjour à toutes et à tous,
Je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui.
Je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé des Kanyen’kehà:ka, qui a longtemps servi de lieu de rassemblement et d’échanges entre les nations.
J’aimerais aussi féliciter la Quebec English School Board Association et ses partenaires pour l’organisation de cette superbe conférence.
Comme vous le savez, la modernisation tant attendue de la Loi sur les langues officielles en juin 2023 a entrainé des changements importants dans le régime linguistique canadien. Nous sommes maintenant à la croisée des chemins et il est primordial de prendre un pas de recul et de se rappeler pourquoi ce régime existe : la présence des communautés de langue officielle partout au pays, y compris celles en situation minoritaire.
Selon moi, les communautés de langue officielle en situation minoritaire démontrent par leur existence, leur vitalité et leurs contributions qu’elles ont bel et bien leur place dans ce pays. Avec les peuples autochtones, ces communautés font partie intégrante du projet que nous appelons « Canada ».
Malheureusement, elles sont souvent sur la ligne de front lorsqu’il s’agit de questions relatives aux langues officielles. Les communautés d’expression anglaise du Québec ne font pas exception, que ce soit sur le plan de la reconnaissance de leurs droits, des perceptions de leur légitimité en tant que communauté de langue officielle en situation minoritaire ou de leur vulnérabilité socioéconomique croissante.
Des défis se posent aussi sur le plan de l’éducation, alors que de nombreuses écoles sont confrontées à une pénurie de personnel enseignant.
Au Québec, les commissions scolaires anglophones ont l’importante mission d’outiller leurs élèves afin qu’ils puissent vivre et s’épanouir dans leur communauté et y contribuer. Cela passe en premier lieu par l’éducation dans la langue minoritaire, mais aussi en permettant aux élèves d’apprendre et de maîtriser le français. La présence d’un personnel enseignant qualifié revêt une importance capitale pour la communauté.
Il est essentiel de prendre des mesures pour favoriser le recrutement et, en particulier, la rétention du personnel enseignant partout au pays. Je suis conscient que l’éducation est avant tout une responsabilité provinciale ou territoriale. Il n’est pas toujours facile d’établir la meilleure façon pour le gouvernement fédéral d’intervenir sur cette question.
Cela dit, l’éducation est cruciale pour assurer la vitalité de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire, qui est une responsabilité fédérale, provinciale et territoriale depuis les débuts de la Confédération.
Des évènements comme celui d’aujourd’hui, où des acteurs clés se réunissent pour partager leurs connaissances et poursuivre les réflexions sur les obstacles auxquels fait face le système scolaire anglophone, constituent une étape importante vers la conception de solutions à long terme.
Ayant longtemps travaillé dans les domaines de l’enseignement, de la recherche et de l’administration universitaire, je reconnais l’importance d’un continuum en éducation solide, de la petite enfance au postsecondaire, pour la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Les établissements d’enseignement supérieur font partie de ce continuum. Je comprends donc parfaitement votre préoccupation quant à l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers et les étudiants canadiens provenant de l’extérieur du Québec. Les effets déjà observables de cette politique provinciale laissent présager des répercussions négatives à long terme sur les communautés d’expression anglaise du Québec.
Les universités anglophones de la province constituent une richesse et une ressource précieuse. Les talents qu’elles attirent de partout au monde et la présence d’institutions de recherche de pointe sur leurs campus contribuent à la vitalité économique et culturelle du Québec.
Comme vous le savez, cette situation complexe est portée devant la Cour supérieure du Québec. Je continuerai à la suivre de près, dans l’espoir que la décision de la Cour contribue à clarifier et à protéger les droits en matière de langues officielles.
Parlons maintenant des données du dernier recensement de 2021 en lien avec les langues officielles et, plus particulièrement, des données relatives aux ayants droit. Au moment de leur publication en novembre 2022, nous avons appris avec déception que, en moyenne, un quart des enfants admissibles à l’éducation en anglais au Québec n’ont jamais fréquenté une école de la minorité.
Comment cela s’explique-t-il? Plusieurs facteurs sont possibles, comme la proximité des écoles, le choix de programmes et la qualité des installations dans certaines régions. Les données du recensement démontrent toutefois qu’il n’est pas suffisant d’avoir des infrastructures en place. Les parents doivent savoir qu’ils ont le droit d’éduquer leurs enfants dans la langue de la minorité et que c’est même dans leur intérêt de le faire, surtout dans un contexte de diversité culturelle.
Le faible taux de fréquentation des écoles de la minorité par les enfants admissibles est une question sur laquelle on doit se pencher, et j’espère que l’enquête post censitaire de Statistique Canada, qui sera publiée vers la fin de 2024, permettra de mieux comprendre les différents facteurs en cause, de même que leurs effets sur la fréquentation des écoles.
L’accès à des données probantes est d’une importance cruciale pour la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces données permettront aux personnes intervenantes du domaine de l’éducation de mieux cibler leurs efforts de recherche et de sensibilisation auprès des ayants droit, et de revendiquer de façon stratégique leurs priorités, comme la construction ou l’agrandissement d’écoles et le recrutement de personnel.
J’espère également que des données plus complètes permettront aux gouvernements provinciaux et territoriaux de prendre des décisions éclairées en ce qui a trait à l’octroi des enveloppes dans ce domaine. Un financement stable et une plus grande collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux contribueraient à assurer la pérennité du continuum en éducation.
Comme vous le savez, le développement et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire passent aussi par le respect de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui a pour objectif la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.
Cette partie de la Loi a d’ailleurs substantiellement changé lors de sa modernisation en juin 2023. Entre autres, elle prévoit maintenant l’engagement du gouvernement fédéral à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité – en contexte formel, non formel ou informel – dans leur propre langue tout au long de leur vie. Cet engagement est déterminant pour la vitalité de nos communautés et des générations à venir.
La Loi modernisée reconnaît également la nécessité de protéger et de promouvoir le français, compte tenu de sa situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, et propose une approche qui tient compte de cette réalité.
Selon moi, il est tout à fait possible, voire souhaitable, d’appuyer les communautés d’expression anglaise du Québec tout en favorisant l’avenir du français dans la province. En effet, ces objectifs ne sont pas en opposition : ils coexistent dans la Loi et peuvent très bien être complémentaires.
Les données du dernier recensement ainsi que les résultats de ma récente étude de recherche intitulée Bâtir des ponts : perceptions et réalités à propos des communautés d’expression anglaise du Québec et leur relation avec le français au Québec et le bilinguisme au Canada ont d’ailleurs démontré que ces communautés ont un haut taux de bilinguisme et qu’elles accordent de l’importance à la langue et à la culture françaises.
Malheureusement, ce n’est pas toujours – ni même souvent – ce qui est relaté dans l’espace public. Il y a encore des perceptions erronées et tenaces à l’égard des communautés d’expression anglaise du Québec qui, en réalité, devraient être considérées en grande partie comme des alliées du français dans la province et du bilinguisme au Canada, en plus de participer aux efforts pour défendre les droits des minorités francophones à l’extérieur du Québec. Les communautés d’expression anglaise font partie de la solution et non du problème.
Je crois aussi qu’un point important à retenir de mon étude est que, malgré les débats publics et les tensions politiques, une vaste majorité de la population québécoise décrit ses échanges avec les membres de l’autre groupe linguistique de façon positive. Comme dans toute relation, il y a bien sûr des points de vue opposés, mais il y a aussi bon nombre de points communs.
Évidemment, le soutien des communautés d’expression anglaise du Québec ne diminue en rien l’importance des difficultés qu’elles vivent. Je trouve d’ailleurs dommage que la légitimité de ces communautés, en tant que communautés de langue officielle en situation minoritaire, ait été remise en question au cours des dernières années.
Comme je l’ai dit précédemment, je suis sensible à vos préoccupations. J’applaudis votre engagement et votre dévouement à défendre vos droits linguistiques et à plaider en faveur de changements dans certains des dossiers en cours. Soyez assurés que je continuerai à les surveiller de très près. Lorsque les membres des communautés portent plainte auprès du Commissariat, nous intervenons auprès des institutions fédérales si elles ne respectent pas leurs obligations et, si nécessaire, au niveau juridique.
Enfin, je tiens à souligner que les communautés d’expression anglaise du Québec sont des exemples de résilience et de ténacité. Malgré les défis auxquels elles sont confrontées, elles continuent de s’affirmer pour maintenir leur identité linguistique et culturelle vivante et dynamique.
En fait, je publierai prochainement un rapport qui mettra en lumière certains de ces défis et qui proposera des pistes d’action concrètes. J’espère que cet état des lieux mènera à une réflexion éclairante sur la réalité actuelle des communautés d’expression anglaise du Québec et des communautés francophones ailleurs au pays.
L’éducation en milieu minoritaire demeure manifestement un dossier de premier plan, et les présentations fort diversifiées offertes pendant cette conférence contribuent sans aucun doute à la réflexion collective qui semble déjà bien amorcée.
J’ai pleinement confiance en votre leadership pour contribuer à bâtir la société canadienne de demain, dans nos deux langues officielles.
Je vous remercie de m’avoir accueilli, et je vous souhaite une bonne fin de conférence.