Lettre d’opinion : Bâtir des ponts dans un contexte linguistique en mouvance
À mes yeux, le Canada est un projet sans fin. Au cours de ma vie et depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles, il y a 55 ans, j’ai vu les préoccupations linguistiques fluctuer au pays.
Il est clair que nous en sommes actuellement à un point où ces préoccupations sont très présentes, particulièrement au sein de la population québécoise.
Pourtant, dans leurs interactions avec leurs voisins, leurs collègues et leurs amis, une vaste majorité de Québécoises et de Québécois décrivent leurs échanges avec les membres de l’autre groupe linguistique de façon positive. Comme dans toute relation, il y a bien sûr des points de vue opposés, mais il y a aussi bon nombre de points communs.
Les communautés d’expression anglaise du Québec affichent aussi un haut taux de bilinguisme et accordent de l’importance à la langue et à la culture françaises. Malheureusement, ce n’est pas toujours – ni même souvent – ce qui est relaté dans l’espace public.
Ces dernières années, ces communautés ont été au centre d’un bon nombre de discussions et de débats publics, remettant même parfois en question leur légitimité en tant que communautés de langue officielle en situation minoritaire compte tenu de la prépondérance générale de la langue anglaise au Canada et en Amérique du Nord.
Alors que s’amorce un nouveau chapitre de l’histoire des langues officielles du Canada, avec une Loi sur les langues officielles modernisée qui reconnaît la nécessité de protéger le français, tant au Québec qu’ailleurs au pays, j’ai estimé qu’il était important et opportun de sonder les membres de la population québécoise et de mettre à l’épreuve certaines des perceptions qui existent au sujet des communautés d’expression anglaise du Québec, leur relation avec le français au Québec et le bilinguisme au Canada.
Il existe encore des perceptions erronées et tenaces à l’égard des communautés d’expression anglaise du Québec qui, en réalité, vivent souvent elles aussi en français. C’est ce que démontre ma nouvelle étude de recherche intitulée Bâtir des ponts : perceptions et réalités à propos des communautés d’expression anglaise du Québec et leur relation avec le français au Québec et le bilinguisme au Canada.
Il est fondamental de favoriser la compréhension entre les communautés de langue officielle du pays et au sein de celles-ci. Les Québécoises et les Québécois d’expression anglaise sont en grande partie des alliés du français au Québec, en plus de faire la promotion du bilinguisme auprès des anglophones ailleurs au pays et de défendre les droits des minorités francophones à l’extérieur du Québec.
Sans ces contributions et sans les communautés de langue officielle en situation minoritaire qui démontrent, par leur existence et leur vitalité, que les deux groupes linguistiques ont leur place dans ce pays, le projet que nous appelons « Canada » est tout simplement impossible.
Les débats linguistiques vont inévitablement se poursuivre dans notre société. Mais la population québécoise, francophones comme anglophones, nous rappelle qu’il existe un fond de bonne volonté, un vivre ensemble qu’elle exprime au quotidien. Que l’on continue à se parler justifie, je crois, un optimisme prudent pour l’avenir des relations linguistiques au Québec et au Canada.
C’est là, pour moi, le cœur de ce que confirme mon étude et ce dont nous devrions toujours nous rappeler, alors que nous faisons face à des tensions linguistiques au sein de la société.
Raymond Théberge
Commissaire aux langues officielles du Canada