Bâtir des ponts : perceptions et réalités à propos des communautés d’expression anglaise du Québec et leur relation avec le français au Québec et le bilinguisme au Canada
Gatineau (Québec) -
Raymond Théberge - Commissaire aux langues officielles
Seul le texte prononcé fait foi
Bonsoir,
Je suis honoré d’être ici ce soir. C’est un plaisir de voir autant de visages familiers ainsi que quelques nouveaux. Bienvenue également à ceux d’entre vous qui participent virtuellement. Je tiens à tous vous remercier de votre présence ici ce soir. Je tiens aussi à remercier particulièrement David Gillespie, Chad Bean et tous les membres de la Regional Association of West Quebecers et du Quebec Community Groups Network d’avoir créé une activité qui nous rassemble tous.
Comme vous le savez, le Commissariat a publié ce matin une nouvelle étude de recherche intitulée Bâtir des ponts : perceptions et réalités à propos des communautés d’expression anglaise du Québec et leur relation avec le français au Québec et le bilinguisme au Canada.
Dans quelques instants, mon collègue, M. Robert Talbot, fera une présentation détaillée de nos résultats. Mais tout d’abord, je tiens à vous expliquer les raisons pour lesquelles nous avons choisi de mener cette importante étude, et à vous faire part de quelques réflexions sur ce que nous avons appris.
La nécessité de cette étude
J’affirme depuis longtemps que le Canada est un projet sans fin. Au cours de ma vie et depuis l’entrée en vigueur de la politique fédérale en matière de langues officielles, il y a 55 ans, j’ai vu les préoccupations linguistiques fluctuer au pays.
Il est clair que nous en sommes actuellement à un point où les deux groupes de langue officielle du pays sont très préoccupés. Sachez que ces préoccupations m’interpellent, et que je suis à l’écoute de toutes les communautés de langue officielle du Canada.
Les francophones sont préoccupés par l’avenir du français au Québec et dans les communautés minoritaires du Canada. Les anglophones de partout au pays sont préoccupés par l’accès à l’immersion en français. Enfin, les communautés anglophones du Québec – vos communautés – s’inquiètent de la façon dont les politiques linguistiques provinciales et nationales qui visent à protéger le français les toucheront et de la façon dont elles sont perçues.
Il est essentiel de souligner que le Commissariat compte un bureau régional au Québec qui travaille avec les institutions fédérales et les communautés dans la province dans des domaines liés précisément à mon mandat. Charles Taker, mon représentant au Québec et au Nunavut, est présent ce soir. Son équipe ainsi que lui-même jouent un rôle clé dans le suivi des dossiers au Québec et dans la collaboration avec la communauté et les intervenants provinciaux afin de diffuser de l’information relative à mon mandat.
Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que ces dernières années, les communautés anglophones du Québec ont été au centre d’un grand nombre de discussions et de débats publics dans la province.
Le Commissariat a estimé qu’il était important et opportun de sonder les membres de la population québécoise et de mettre à l’épreuve certaines des perceptions qui existent au sujet de vos communautés.
Je sais que vous êtes bien conscients des données qui confirment que vos communautés affichent un haut taux de bilinguisme et accordent de l’importance à la langue et à la culture françaises, mais ce n’est pas toujours – ni même souvent – ce qu’en disent les médias. En effet, les recherches du Commissariat confirment qu’il existe encore au Québec des perceptions erronées et tenaces à l’égard de vos communautés.
En même temps, il était encourageant de constater que notre étude confirme que les membres de la population québécoise francophones et anglophones s’entendent bien mieux que ce que le discours public laisse entendre. Comme dans toute relation, il y a bien sûr des points de vue opposés, mais il y a aussi beaucoup plus de points communs.
Modernisation et nouveau rôle du Commissariat
En tant que commissaire aux langues officielles du Canada, je dois concentrer mes interventions à l’échelle fédérale. Cependant, une partie de mon rôle consiste à appuyer la préservation et le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays. Il est crucial d’assurer la vitalité de chaque communauté de langue officielle en situation minoritaire.
Je pense qu’une nuance très importante est la distinction entre le contexte linguistique et le statut de minorité. Je suis bien conscient que la légitimité de la communauté anglophone du Québec en tant que communauté de langue officielle en situation minoritaire a parfois été remise en question, compte tenu de la prépondérance générale de la langue anglaise au Canada et en Amérique du Nord.
Je peux vous affirmer que le Commissariat et la Loi sur les langues officielles considèrent certainement les communautés anglophones du Québec comme des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Les plaintes déposées au Commissariat sont traitées selon les mêmes critères que pour toute communauté de langue officielle en situation minoritaire au pays.
La modernisation de la Loi sur les langues officielles a eu une incidence considérable sur le Commissariat. Nous avons beaucoup parlé de la judiciarisation du Commissariat et de la façon dont il ressemble maintenant davantage à une entité juridique. Et bien que je joue toujours un double rôle de conformité et de promotion, il est vrai que mes nouveaux pouvoirs orienteront davantage les fonctions du Commissariat vers des activités qui visent à garantir que les institutions fédérales se conforment à la Loi.
Malgré ce changement, je ne manquerai pas de suivre l’incidence des modifications législatives sur la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire d’un océan à l’autre.
La recherche demeure un volet important de mon rôle de commissaire. En tant qu’agent indépendant du Parlement, je peux donner un point de vue impartial et non partisan en communiquant des faits et en aidant à trouver des moyens d’améliorer les relations entre les groupes linguistiques, ce que nous avons en fait cherché à accomplir en menant ce projet de recherche.
Inquiétudes des Québécois d’expression anglaise
La version modernisée de la Loi sur les langues officielles accorde maintenant une attention particulière à la protection de la langue française. Ce changement a principalement été effectué en reconnaissance de la diminution de la proportion de francophones dans l’ensemble du Canada et vise à veiller à ce que les gens puissent vivre en français, l’apprendre et l’utiliser dans divers aspects de la vie quotidienne partout au pays.
En même temps, les nouvelles dispositions de la Loi sur la protection du français ont suscité des inquiétudes au sein de vos communautés quant à la préservation de vos droits linguistiques. Comme je l’ai dit précédemment, vos préoccupations comptent à mes yeux. Et j’applaudis vos communautés pour avoir défendu votre bilinguisme et pour avoir fait cause commune avec les autres Québécois afin de plaider en faveur de changements dans les dossiers sur lesquels vous êtes d’accord.
Je pense qu’il faut se pencher sur l’incidence de la version modernisée de la Loi sur les langues officielles sur toutes les communautés, y compris les communautés anglophones en situation minoritaire du Québec.
La nouvelle Loi oblige maintenant les institutions fédérales à mettre en place des mécanismes d’évaluation et de surveillance des mesures positives qu’elles prennent pour soutenir les communautés comme les vôtres.
Les institutions fédérales doivent assurer le suivi, la présentation et la divulgation de statistiques et de données supplémentaires concernant les langues officielles et participer à des consultations significatives avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire sur les conséquences de leurs actions. Il s’agit d’une source importante de données sur les communautés et sur les incidences des mesures prises par les institutions fédérales.
La Loi sur les langues officielles comprend également une nouvelle disposition qui prévoit sa révision tous les dix ans.
Pour mesurer les incidences, il est essentiel de disposer d’indicateurs de vitalité des communautés qu’il est possible d’évaluer au fil du temps afin d’ajuster les politiques linguistiques en fonction de la société.
C’est pour cette raison que, dans mon dernier rapport annuel, j’ai recommandé que la ministre du Patrimoine canadien, avec l’appui de la présidente du Conseil du Trésor, élabore des indicateurs pour mesurer les incidences de la Loi sur les langues officielles sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire, afin que nous disposions de données pour nous aider à éclairer d’éventuels changements.
Je m’engage à continuer à rencontrer régulièrement divers membres et intervenants de vos communautés afin de mieux comprendre vos priorités et vos difficultés, ainsi que les incidences de la version modernisée de la Loi sur chacun de vous.
Bâtir des ponts
Vous avez peut-être remarqué que l’étude du Commissariat s’intitule Bâtir des ponts. Ce titre montre à quel point il est fondamental de favoriser la compréhension entre les communautés de langue officielle du pays et au sein de celles-ci. Qu’ils soient francophones ou anglophones, les Québécois contribuent à bâtir des ponts avec les autres francophones et anglophones du Canada.
Il n’est pas assez reconnu que vos communautés comprennent fondamentalement le Canada francophone parce que vous y êtes immergés : vous vivez dans les deux mondes, le francophone et l’anglophone.
Depuis longtemps, vos communautés expliquent le contexte québécois aux autres Canadiens, font la promotion du bilinguisme fédéral et individuel auprès des autres anglophones et défendent les droits des minorités francophones à l’extérieur du Québec.
Sans ces contributions, et sans les communautés de langue officielle en situation minoritaire qui démontrent, par leur existence et leur vitalité, que les deux groupes linguistiques ont leur place dans ce pays – autrement dit, sans vous –, le projet que nous appelons « Canada » est tout simplement impossible.
Il est essentiel de reconnaître les contributions des membres de la population québécoise anglophones au tissu social du Canada et au statut de nos deux langues officielles. Voici quelques exemples :
Charles B. Howard, député anglophone au Québec, s’est rangé aux côtés d’Henri Bourassa il y a près d’un siècle pour réclamer une fonction publique fédérale plus bilingue.
Frank Scott, de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, était un farouche défenseur du bilinguisme fédéral et des droits des minorités, y compris des minorités francophones.
Olga Melikoff, Valerie Neale et Murielle Parkes ont été les « mères fondatrices de l’immersion en français », et leur programme, reproduit dans tout le Canada, constitue le principal moteur de bilinguisme chez les Canadiens anglophones hors Québec.
Oscar Peterson et Leonard Cohen ont été des artistes aimés dans tout le Canada anglophone et qui ont rendu hommage au Québec par leur musique.
Victor Goldbloom a été commissaire aux langues officielles de 1991 à 1999, pendant certaines des années les plus troubles entre francophones et anglophones au Canada.
Et, bien sûr, Brian Mulroney.
Aujourd’hui encore, les Québécois anglophones continuent d’aider les autres Canadiens à mieux comprendre le contexte québécois.
Le QCGN a été parmi les premiers à interpeller la Ligue nationale de hockey en février dernier lorsque l’hymne national a été chanté uniquement en anglais au match des étoiles à Toronto. Plus tôt cette année, le QCGN a organisé une activité phare sur l’avenir du français qui a réuni des universitaires francophones et anglophones ainsi que des membres de la communauté.
En outre, le Réseau de recherche sur les communautés québécoises d’expression anglaise (QUESCREN) a attiré l’attention sur les efforts de groupes communautaires anglophones qui offrent gratuitement accès à des cours de français et à des clubs de conversation où les nouveaux arrivants et les anglophones peuvent pratiquer et perfectionner leur français dans un contexte qui atténue l’insécurité linguistique. Il s’agit là d’une autre caractéristique déterminante de vos communautés : votre ouverture et votre volonté à collaborer au-delà des langues et des cultures.
Collectivement, vous avez exprimé à maintes reprises que vous êtes de fervents défenseurs du fait français au Québec, des alliés de la langue française et des participants enthousiastes à l’offre culturelle riche et variée du Québec.
Optimisme pour l’avenir
Je suis un optimiste dans l’âme, et c’est dans cet esprit que je voudrais conclure.
Votre approche constructive ainsi que les relations positives entre Québécois ordinaires que nous avons observées pendant l’étude me rendent optimiste quant à l’avenir des relations entre francophones et anglophones au Québec.
Je pense qu’il est essentiel de se rappeler la bonne volonté qui existe chez les Québécois et de reconnaître que les voix les plus fortes et les plus négatives parlent rarement au nom de l’ensemble. C’est là, pour moi, le cœur de ce que confirme l’étude du Commissariat.
À l’ère des médias sociaux, je pense que nous devons nous rappeler que peu importe ce que nous entendons, la plupart d’entre nous – francophones ou anglophones – soutiennent les langues officielles du Canada. De plus, au sein des deux groupes, de nombreux participants à l’étude semblaient sincèrement intéressés par l’autre et par le fait d’être compris et appréciés.
La recherche du Commissariat met en évidence un certain nombre de solutions pour améliorer les relations entre Québécois francophones et anglophones, notamment favoriser plus d’interactions en personne basées sur des intérêts communs et des activités sociales, comme la musique, les sports et les échanges jeunesse. Au vu des activités que vous organisez dans vos communautés, je constate que vous avez déjà des assises solides dans ce domaine. Je pense qu’à l’échelle provinciale, promouvoir ces genres d’initiatives peut contribuer à renforcer la bonne volonté qui existe chez les gens et à contrer les perceptions erronées.
L’étude a également révélé que les Québécois francophones et anglophones reconnaissent que les perceptions erronées constituent un problème dans la province. Ce constat offre l’occasion d’aller de l’avant de manière positive.
Il ne fait aucun doute qu’en tant que Québécois anglophones, vous naviguez dans une réalité linguistique unique qui amène son lot particulier de défis, mais qui procure une richesse culturelle supplémentaire et qui est essentielle pour un Canada bilingue.
Je vous encourage à lire l’étude et à consulter l’infographie connexe qui présente des faits pour contrer les mythes sur vos communautés. Le Commissariat a également créé une campagne vidéo sur les médias sociaux qui présente des citations de participants à l’étude sur les relations entre les Québécois francophones et anglophones. J’espère que ces ressources vous seront utiles et qu’elles vous aideront à mettre en lumière les réalités de vos communautés.
Je vous remercie de votre attention et de votre participation ce soir.