Notes pour une comparution devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles – Présentation du rapport annuel 2017-2018 et de la vision du commissaire sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles

Ottawa (Ontario) -
Raymond Théberge - Commissaire aux langues officielles

Seul le texte prononcé fait foi


Monsieur le président, honorables membres du Comité, bonsoir.

C’est investi d’un grand sens du devoir que je prends la parole devant vous ce soir. J’aimerais souligner la présence à mes côtés de Pierre Leduc et de Ghislaine Saikaley, tous deux commissaires adjoints, ainsi que de Pascale Giguère, avocate générale. Comme vous le savez, j’ai comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes le 18 octobre dernier afin de faire état de mon rapport annuel 2017-2018.

Aujourd’hui, j’aborderai certains éléments de mon rapport annuel et vous parlerai de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. À cet effet, vous avez devant vous un exemplaire du document intitulé Modernisation de la Loi sur les langues officielles : La vision du commissaire aux langues officielles, que je vous invite à consulter avec la plus grande attention.

J’aimerais d’abord souligner les efforts et le travail de consultation que votre comité a consacrés jusqu’à présent au projet de la modernisation de la Loi. Je suis ravi de voir que cet enjeu nous tient tous à cœur. Je suis également avec grand intérêt tous vos travaux.

Je tiens aussi à profiter de cette tribune pour parler d’un sujet d’actualité qui ne laisse personne indifférent : l’annonce du gouvernement de l’Ontario d’abolir le Commissariat aux services en français et de démanteler le projet de l’Université de l’Ontario français.

Bien sûr, les Franco-Ontariens sont en désaccord avec le compromis proposé qui consiste à transférer le bureau du commissaire au sein du bureau de l’ombudsman, un changement qui amenuiserait considérablement le rôle du commissaire en éliminant sa capacité de promouvoir et de recommander des façons d’améliorer les services en français en Ontario.

Cela m’amène à un bien triste constat : la mouvance qui porte atteinte aux droits linguistiques n’a plus de frontières.

En tant que commissaire aux langues officielles, c’est mon mandat de représenter les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays. Je constate qu’elles se retrouvent maintenant au cœur d’un important débat identitaire et que l’annonce du gouvernement de l’Ontario représente un véritable recul en matière de droits linguistiques.

Nous commençons d’ailleurs à voir des exemples qui dépassent les frontières de l’Ontario. Pensons notamment à l’incertitude entourant l’avenir de la dualité linguistique à la suite des élections provinciales au Nouveau-Brunswick ou même à la dissolution de la Direction de l’éducation française au sein du ministère de l’Éducation en Alberta, où les services de langue française sont maintenant gérés de manière intégrée à ceux de la majorité.

Je constate qu’après des efforts qui se sont échelonnés sur plus d’un demi-siècle, il faudra que l’on se penche à nouveau sur la question du contrat social. Les langues officielles, c’est l’affaire de tous. Les reculs en matière de droits linguistiques portent atteinte à tous les Canadiens.

Les leaders ont le devoir de protéger nos acquis et c’est mon objectif en tant que commissaire. J’appelle donc les élus à en faire autant, peu importe leurs allégeances politiques.

Maintenant, laissez-moi vous expliquer ce que représente la modernisation de la Loi pour le Commissariat aux langues officielles. Je suis d’avis que le 50e anniversaire de la Loi doit servir de tremplin pour classer la modernisation de la Loi au rang des priorités.

La Loi de 1969 et celle de 1988 répondaient à des contextes et à des réalités sociales qui leur étaient propres. Les années qui ont suivi ont ainsi permis de réaliser d’importants progrès sur le plan linguistique et identitaire canadien. Ce cheminement législatif a consolidé et codifié les assises juridiques sur lesquelles repose la dualité linguistique canadienne.

Le défi aujourd’hui consiste à poursuivre une mise en œuvre intégrale de la Loi pour y donner son plein effet. Par ailleurs, à la lumière de l’expérience du Commissariat et du contexte contemporain, il est devenu évident que cela ne peut être accompli sans y apporter des modifications majeures et structurelles.

Par conséquent, ma vision pour une Loi modernisée s’inscrit dans les trois piliers suivants : une Loi actuelle, dynamique et robuste.

Dans tous ses aspects, la Loi doit refléter la société canadienne d’aujourd’hui, ses besoins, mais aussi ses aspirations pour un pays qui valorise pleinement la dualité linguistique. Ainsi, elle doit être pertinente au contexte qui nous est propre. De plus, la Loi doit s’appliquer en harmonie avec les changements que vit la société canadienne, tout en reposant sur de solides fondations acquises grâce à la jurisprudence. Finalement, elle doit établir clairement les responsabilités des différents joueurs clés pour sa mise en œuvre, de même que les moyens dont ils disposent pour assurer son respect.

Afin d’y parvenir, le gouvernement doit notamment assurer un meilleur accès, en français et en anglais, au système de justice fédéral. Il doit aussi veiller à ce que les obligations en matière de communications et de prestation des services soient claires et répondent aux besoins de la population canadienne. De plus, il doit actualiser les droits et clarifier les obligations en matière de langue de travail dans la fonction publique canadienne, tout en élaborant un cadre réglementaire visant à concrétiser son engagement à l’égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire ainsi que celui visant à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage des deux langues officielles.

Les principes de droit qui ont transformé la manière dont les droits linguistiques sont aujourd’hui interprétés et appliqués, tels que l’égalité réelle, devraient être intégrés dans une loi modernisée afin de solidifier la fondation sur laquelle elle repose.

Par ailleurs, assurer un texte de loi neutre sur le plan technologique et, par le fait même, sa pertinence au gré de l’évolution des nouvelles technologies, ou encore garantir un examen périodique de la Loi, sont des solutions précises qui contribueront au maintien de ce dynamisme dont doit faire preuve la Loi.

La modernisation de la Loi présente une première opportunité, depuis 1988, pour le gouvernement de réfléchir sérieusement aux changements qui pourraient y être apportés, notamment en matière de gouvernance. Si les rôles et les responsabilités sont clairs, j’ose espérer que les institutions fédérales sauront davantage se conformer à la Loi.

En outre, les institutions fédérales qui valorisent l’égalité du français et de l’anglais sont plus aptes à fournir des services au public et à communiquer avec lui dans les deux langues officielles, à appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire au moyen de mesures concrètes et à favoriser la progression de la dualité linguistique dans la société canadienne.

Une fonction publique canadienne qui bénéficie d’un environnement de travail propice à l’usage des deux langues officielles contribue à la prestation d’un service de qualité, dans les deux langues officielles, au public canadien. Pour ce faire, les droits en matière de langue de travail des fonctionnaires doivent être en harmonie avec les obligations des bureaux qui doivent offrir des services au public dans les deux langues officielles.

C’est pourquoi les deux recommandations de mon rapport annuel 2017-2018 portaient sur l’examen des outils d’évaluation du rendement des institutions fédérales en matière de langues officielles ainsi que sur la mise en œuvre des recommandations du rapport sur la langue de travail publié en 2017 par le greffier du Conseil privé.

Mon équipe travaille actuellement à élaborer le tout premier Modèle de maturité des langues officielles pour marquer le 50e anniversaire de la Loi en 2019. Cet outil permettra aux institutions fédérales d’effectuer un examen diagnostique organisationnel et les aidera à progresser de façon continue en matière de langues officielles.

Cependant, au-delà des outils et des mécanismes, c’est le leadership qui est essentiel. Il se doit d’être exercé par le gouvernement et dans la fonction publique, et ce, à tous les échelons.

La tâche à accomplir peut sembler titanesque, mais, pour viser une prestation des services constante et efficace, les institutions fédérales doivent progresser elles-mêmes vers une situation où la conformité à la Loi est le résultat d’une culture et de processus organisationnels qui tiennent pleinement compte des langues officielles.

En terminant, je compte sur le gouvernement fédéral, qui se doit d’exercer un leadership continu, pour effectuer une réelle modernisation de la Loi. Il faut maintenir les langues officielles à l’ordre du jour et ainsi favoriser l’essor de la dualité linguistique au Canada.

Le fait de limiter sa révision à une simple mise à jour de ses articles, sans revoir les responsabilités des différents joueurs clés et les moyens dont elle dispose pour assurer son respect, serait une occasion manquée de réellement faire d’elle une loi robuste qui encourage une mise en œuvre exemplaire. Ainsi, je crois que, si la Loi est plus claire et laisse moins de place à l’interprétation, elle sera plus efficace et sa mise en œuvre s’en trouvera facilitée.

Je vous remercie de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, que je vous invite à poser dans la langue officielle de votre choix.