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Carolyn Veitch

Carolyn Veitch est conseillère principale en ressources humaines à Diversification de l’économie de l’Ouest Canada, dans la région d’Edmonton, en Alberta. Fonctionnaire depuis 20 ans, elle promeut la dualité linguistique sans relâche, une importante partie de son identité.
Carolyn Veitch

Carolyn Veitch fait ses débuts à la fonction publique fédérale en 2000, alors qu’elle obtient un emploi à la Commission de la fonction publique du Canada à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. Déjà parfaitement bilingue, elle répond aux exigences linguistiques du poste sans problème.
De ce fait, comme plusieurs personnes de la population canadienne de l’Ouest, c’est au secondaire que Carolyn Veitch commence à apprendre le français langue seconde. Une matière qui compte parmi ses préférées : « J’avais des enseignants originaires du monde entier et ils avaient des histoires incroyables à raconter à propos de leurs aventures au sein de la francophonie. » Son passage à l’école secondaire est d’autant plus mémorable, car la jeune fille est choisie pour participer à un programme d’échange d’élèves Alberta-Québec. « J’ai vécu à Saint-Césaire, au Québec, pendant trois mois au cours de mon adolescence, ce qui était une expérience d’immersion incroyable. Je suis par la suite allée étudier au Cégep de Jonquière pendant un été en tant que jeune adulte », raconte-t-elle. « L’apprentissage de ma seconde langue officielle m’a réellement ouvert des portes afin d’explorer des parties du pays que je n’aurais peut-être pas eu l’occasion de voir autrement, en plus de me permettre de rencontrer tant de personnes incroyables. »
Mais sa découverte du français ne s’arrête pas là. « J’ai poursuivi mon expérience d’immersion en France, où j’ai vécu avec une famille en travaillant au pair en Normandie pendant un an. En plus d’apprendre la langue avec un nouvel accent et avec une nouvelle perspective normande, j’ai lu beaucoup de livres “Caroline au Canada”, j’ai mangé plus que ma part de foie gras et je suis tombée amoureuse du festival Jazz sous les pommiers », se souvient-elle. À son retour au pays, Carolyn Veitch s’empresse alors de terminer ses études en langue et littérature au Campus Saint-Jean, la faculté francophone de l’Université de l’Alberta. Comme quoi la langue de Molière aura su la charmer lors de ses séjours dans la Belle Province et outre-mer. « Ma passion pour la langue française et la dualité linguistique seront toujours une partie importante de mon identité », affirme-t-elle.
Cette passion se fait d’ailleurs sentir aujourd’hui dans son milieu de travail, à Diversification de l’économie de l’Ouest Canada (DEO). En effet, le rôle de Carolyn Veitch au sein de l’organisation va bien au-delà de son domaine d’expertise, les ressources humaines. La fonctionnaire d’Edmonton participe à une variété de projets des plus intéressants : « Par exemple, je suis la personne responsable des langues officielles pour DEO. Je travaille en étroite collaboration avec notre sous-ministre adjointe et championne des langues officielles et avec notre coordonnatrice nationale pour les langues officielles », explique-t-elle. « DEO peut compter sur une équipe dynamique des langues officielles qui collabore étroitement pour servir les communautés de langue officielle en situation minoritaire de l’Ouest, et les membres de l’équipe communiquent ouvertement leur passion pour la dualité linguistique avec leurs collègues de la fonction publique. En 2019, pour célébrer le 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, l’équipe des langues officielles de DEO a reçu le Prix d’excellence et de leadership en langues officielles. Je ne pourrais pas être plus fière. »
Malgré tout, il reste encore du chemin à parcourir, et ce, dans de nombreuses institutions fédérales. En effet, Carolyn Veitch côtoie parfois des personnes plus sceptiques à l’idée de reconnaître l’égalité de statut du français et de l’anglais. « Les moments les plus difficiles de ma carrière, du point de vue des langues officielles, découlent du fait que j’ai dû essayer de convaincre un collègue, qui occupait d’habitude un rôle de direction, de la valeur de la dualité linguistique ou de l’importance cruciale d’offrir des services aux membres de la population canadienne dans leur langue officielle de préférence. La diversité et le caractère inclusif sont des valeurs qui me tiennent à cœur, et je peux devenir contrariée lorsqu’on me demande de préparer une analyse de rentabilisation visant à démontrer leur importance dans le milieu de travail, même en 2020! »
Heureusement, la valeur de la dualité linguistique est tout sauf remise en question dans sa vie familiale, puisque ses enfants sont inscrits à des programmes d’immersion en français depuis la maternelle. Grâce à son bilinguisme, la fonctionnaire peut les appuyer dans leur parcours scolaire : « Je peux les aider à faire leurs devoirs ou regarder une vidéo avec eux dans l’une des deux langues officielles. Je peux m’engager au sein de leur communauté scolaire et raconter des expériences culturelles, comme Les Rendez-vous de la Francophonie. Je suis tout aussi enthousiaste à l’idée de lire une recette ou un poème avec eux dans l’une des deux langues officielles. Et je suis une mère très fière lorsqu’ils me mettent au défi et qu’ils passent et réussissent les examens du diplôme d’études en langue française! »
Le moins que l’on peut dire, c’est que Carolyn Veitch ne voit absolument aucun inconvénient à apprendre une deuxième langue à n’importe quelle étape de la vie. « Est-ce beaucoup de travail? Sans aucun doute, mais cela en vaut absolument la peine », souligne-t-elle. « L’apprentissage d’une langue seconde ouvre la porte à tellement de belles possibilités : commencer une conversation, partager un repas, explorer le pays, la culture et la perspective d’une autre personne, etc. La dualité linguistique enrichit nos vies de tellement de façons. »
Jody Doyle

Jody Doyle fait son entrée à la fonction publique en 1989 en tant qu’étudiant, puis y décroche son premier poste à temps plein en 1991. Directeur de l’expertise opérationnelle, Intégrité et Services nationaux, à Service Canada, il travaille aujourd’hui à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).
Jody Doyle

Jody Doyle maîtrise-t-il déjà la langue de Molière à son arrivée au gouvernement fédéral? Pas du tout! « Je ne possédais qu’une connaissance de base du français acquise à l’école secondaire et en écoutant La Soirée du hockey (Go Habs Go!) », confie-t-il. Redoublant d’efforts, il prend donc part, en 2010, à un projet pilote d’apprentissage des langues : « J’ai eu la chance d’être l’un des six premiers participants. L’apprentissage s’est effectué en classe ainsi que de façon individuelle et autonome et a été renforcé par des sorties éducatives et une courte période d’immersion au Québec. »
Sa détermination lui permet de réussir ses évaluations de langue seconde et, surtout, d’avoir accès à une véritable fenêtre d’occasions. En effet, il a la chance de collaborer à une campagne de sensibilisation avec la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL). « Le directeur général de la FFTNL et moi avons visité des communautés francophones aux quatre coins de Terre-Neuve et du Labrador, où j’ai présenté des séances d’information sur les services et les programmes de Service Canada, comme l’assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada ainsi que les subventions et les contributions », raconte-t-il. « Grâce à ma connaissance des langues, j’étais en mesure d’animer les séances, de répondre aux questions et de donner de l’information directement aux membres de ces communautés, et ce, toujours en français. De plus, ces efforts ont permis de renforcer les liens entre Service Canada et ces communautés francophones. »
Et nul besoin de rappeler à Jody Doyle l’importance de la dualité linguistique. Il en est pleinement conscient, lui qui dirige des employés situés dans les quatre provinces de l’Atlantique, dont au Nouveau-Brunswick, la seule province canadienne officiellement bilingue. « Je dois utiliser les deux langues officielles et encourager activement leur usage afin qu’elles fassent partie intégrante de nos opérations, tant à l’interne que pour la prestation de services au public. Pour moi, il ne s’agit pas simplement de respecter la loi ou les obligations, mais aussi d’une question de choix et d’équité », souligne-t-il. En outre, dans le cadre de ses fonctions de directeur, il est responsable de la formation et du développement du personnel, y compris de l’apprentissage des langues : « Il est très gratifiant d’aider à garantir que la population canadienne reçoit un service de qualité de la part d’employés bien formés et bien appuyés. »
D’ailleurs, même si son poste exige qu’il soit bilingue, Jody Doyle considère cette exigence comme une occasion qui lui permet d’approfondir ses relations interpersonnelles. « Aussi, comme j’habite et je travaille à Terre-Neuve-et-Labrador, où la population francophone est relativement petite, j’ai été en mesure de bien démontrer qu’il est possible d’apprendre le français et de maintenir ses acquis dans tout environnement, à condition que les bons outils soient en place », ajoute-t-il.
Cette vision, il la doit notamment aux défis qu’il a dû surmonter au cours de sa carrière, comme son passage à l’administration centrale de Service Canada, à Gatineau (Québec). « À ce moment, je ne parlais pas français et même si j’occupais un poste désigné “anglais essentiel”, je me sentais toujours quelque peu désavantagé lorsque j’interagissais avec mes collègues », raconte‑t‑il. « J’ai suivi des formations linguistiques à temps partiel au travail et participé de mon propre chef à des cours du soir, mais je regrette de ne pas avoir eu l’occasion d’apprendre davantage le français lorsque je vivais et travaillais au Québec. Heureusement, j’ai pu devenir bilingue à mon retour à Terre-Neuve-et-Labrador et j’interagis maintenant régulièrement avec des collègues francophones de partout au pays. »
En plus d’occuper une place de choix dans sa vie professionnelle, les langues officielles font aussi partie de l’héritage du fonctionnaire, car son grand-père maternel était originaire des îles françaises Saint-Pierre et Miquelon. Alors qu’il n’avait jamais eu la chance d’explorer cette partie de son histoire, Jody Doyle éprouve désormais un tout nouveau sentiment d’appartenance envers elle : « Maintenant que je maîtrise les deux langues tant à l’oral qu’à l’écrit, j’ai l’impression qu’un tout autre monde s’ouvre à moi et je suis enthousiaste à l’idée d’en apprendre plus sur mes racines à Saint-Pierre et en France. »
Fait intéressant, l’un des trucs les plus utiles pour apprendre le français fut de trouver la version française des choses qui le passionnent en anglais : « Je regarde beaucoup le hockey et je suis l’actualité politique. J’ai donc commencé à faire régulièrement ces activités en français. » Grâce aux bons outils et à un environnement favorable, cet apprentissage, qui peut sembler inaccessible à première vue, est donc loin de l’être. « Honnêtement, apprendre une langue ne se fait pas en criant ciseau. C’est un processus rempli de hauts et de bas. Cependant, les avantages de maîtriser une deuxième langue et de découvrir d’autres éléments culturels du Canada sont immenses. Apprendre une deuxième langue m’a aussi fait voir différentes façons de penser et de résoudre des problèmes que j’utilise encore régulièrement », avance-t-il.
Alors, que dirait Jody Doyle à quiconque hésite à se lancer dans l’apprentissage d’une seconde langue? « Tout simplement : allez-y! »
Kevin Crombie

Fort de ses 18 années d’expérience à la fonction publique fédérale, Kevin Crombie est souvent reconnu comme le francophone de service de son équipe… bien que sa langue maternelle soit l’anglais! Conseiller principal auprès d’un sous-ministre adjoint à Services partagés Canada, il exerce aujourd’hui sa profession dans la région de la capitale nationale.
Kevin Crombie

Kevin Crombie l’admet sans détour : « Je ne suis pas particulièrement doué pour les langues. » Pourtant, cet employé de Services partagés Canada, dont la langue maternelle est l’anglais, s’exprime aujourd’hui avec une aisance déconcertante dans la langue de Molière. Comment s’y est-il donc pris? « Ce n’est pas bien compliqué », répond-il. « Quand tu veux apprendre une langue, il faut y mettre des efforts. »
Originaire de Lindsay, en Ontario, celui qui est aujourd’hui conseiller principal auprès d’un sous‑ministre adjoint a fait ses premiers pas en français à l’école secondaire et a poursuivi son apprentissage quelques années plus tard à l’université. Tout au début de sa carrière, lorsqu’il était journaliste, notamment pour La Presse canadienne, les notions de base qu’il avait acquises quelques années plus tôt lui sont alors d’une très grande aide : « J’étais souvent le seul journaliste à comprendre les deux langues officielles du pays; cela me donnait un atout considérable puisque j’avais une meilleure compréhension des enjeux touchant les deux communautés linguistiques du pays. »
Mais le véritable déclic s’opère lorsqu’il s’installe à Montréal alors qu’il est dans la mi‑trentaine : « J’ai réalisé que mon français était limité. Je pouvais commander à manger dans un restaurant, mais ce n’était pas suffisant pour me trouver un emploi. J’ai mis une annonce dans le journal dans laquelle je proposais d’aider ceux qui voulaient apprendre l’anglais à condition qu’ils m’aident à améliorer mon français. J’ai reçu des dizaines de réponses et je me suis fait plusieurs bons amis. » Pendant 18 mois, il paye par ailleurs de sa propre poche des cours du soir de français à l’Université McGill et insiste pour se faire servir dans cette langue partout où il va. Sans grande surprise, les résultats ne se font pas attendre. Lorsqu’il a obtenu son premier emploi dans la fonction publique fédérale à Transports Canada, il a obtenu un « E » à ses tests d’évaluation de langue seconde, ce qui signifiait que ses connaissances étaient suffisamment élevées pour qu’il soit exempté indéfiniment de passer à nouveau ces tests.
Son bilinguisme teinte, dès lors, sa vie professionnelle. À Transports Canada, il travaille sur un projet d’éducation et de sensibilisation du public et, grâce à sa maîtrise des deux langues officielles, il se voit envoyé dans les salons professionnels partout au pays, un travail convoité par plusieurs. Dans sa vie personnelle, le français occupe une place importante : des rendez‑vous chez le médecin aux émissions de télévision, tout se passe en français. Il partage d’ailleurs sa vie avec un francophone depuis plus de 20 ans. « En tant qu’adulte, j’ai découvert une culture riche et fascinante à laquelle je ne pouvais accéder qu’en parlant l’autre langue », confie-t-il.
Les avantages du bilinguisme, il ne les compte donc plus. Il encourage d’ailleurs toute personne qui souhaite se lancer à y aller les yeux fermés : « Il n’y a pas d’inconvénients à connaître une deuxième langue. Une chose qui m’a grandement aidé, c’est de me rendre compte que les gens ne vous jugent pas parce que vous essayez d’apprendre. Parfois, j’avais du mal à trouver mes mots et je me sentais stupide et gêné, mais tout ça était dans ma tête. »
Aux yeux de Kevin Crombie, s’il n’existe aucune formule magique pour apprendre sans effort, la clé de la réussite se trouve dans la répétition. Au cours de ses 18 années passées à la fonction publique, il s’est toujours mis un point d’honneur à parler en français à ses collègues francophones et à lire la documentation en français pour rester à jour dans son vocabulaire. À quiconque souhaite s’améliorer, ses conseils sont définitifs : « Pratiquez, pratiquez, pratiquez. Chaque occasion est bonne. Les conversations informelles vous aideront particulièrement. »
Il va sans dire qu’avec sa volonté affirmée, Kevin Crombie déboulonne les mythes. Nul n’a besoin de posséder un talent particulier ou de commencer dès la tendre enfance pour devenir bilingue : l’apprentissage d’une langue est à la portée de qui est prêt à y mettre des efforts. S’ouvre alors un monde de possibilités.
Martin Barakengera

Il y a un peu plus de huit ans, Martin Barakengera faisait son entrée à la fonction publique. Chef, Approbations fédérales de l’utilisation du sol et des transactions, à la Commission de la capitale nationale, il a de quoi être fier : il a réussi à apprendre par lui-même sa langue seconde, l’anglais, après avoir suivi un cours de base à l’école secondaire.
Martin Barakengera

Martin Barakengera est déjà bien au fait des avantages du bilinguisme, tant d’un point de vue social qu’intellectuel. En effet, en plus de lui donner accès à un éventail plus large de médias et d’œuvres littéraires, cette compétence lui permet d’interagir aisément avec les membres de sa famille, ses amis et ses connaissances qui ne parlent que l’une des langues officielles. Et ce n’est pas tout. « Avec l’anglais et le français, j’ai plus de possibilités d’emploi que les adultes monolingues et j’ai beaucoup de choix quand vient le moment de choisir ma prochaine destination de voyage », ajoute-t-il.
D’ailleurs, nul besoin de lui vanter l’utilité du bilinguisme en milieu de travail; le gestionnaire met à profit sa capacité de comprendre et de parler les deux langues officielles au quotidien, lui qui travaille dans la région de la capitale nationale. En effet, en tant que leader, Martin Barakengera considère comme important d’être capable d’expliquer des problèmes complexes, d’être persuasif, d’intervenir dans un conflit au travail, de superviser son équipe et de donner des conseils, quelles que soient les préférences linguistiques de ses interlocuteurs.
Comme il l’explique si bien, le fait d’être bilingue lui est aussi d’une aide précieuse lorsqu’il doit rapidement résoudre des problèmes touchant des employés : « Généralement parlant, j’ai observé qu’en situations tendues ou lors des moments de conflit, les gens ont tendance à se détendre et à baisser un peu la garde quand je commence à leur parler dans leur langue officielle préférée. Ceci me rappelle ce qu’avait dit Nelson Mandela, l’ancien président de l’Afrique du Sud : “Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur.” »
La considération que Martin Barakengera porte aux personnes qui l’entourent n’est guère surprenante puisque les relations interpersonnelles font partie intégrante des facettes de son emploi qu’il préfère, à savoir : « coordonner le travail de mes subordonnés directs pour m’assurer que les objectifs généraux de l’organisation sont atteints; donner plus de pouvoir à mes subordonnés directs et leur donner la possibilité de répondre à leurs objectifs de développement professionnel; et, enfin, créer des liens et amitiés à l’intérieur et à l’extérieur de mon organisation ».
Au cours de ses huit années de travail au sein du gouvernement fédéral, Martin Barakengera a dû relever plusieurs défis professionnels. Heureusement, le fonctionnaire a plus d’une corde à son arc, dont sa maîtrise des langues officielles. « J’étais responsable de l’examen, aux fins d’approbation fédérale de l’utilisation du sol, du design et des transactions, d’un projet d’infrastructure très important avec beaucoup d’enjeux pour la région de la capitale nationale, sans précédent pour me guider », raconte-t-il. « En plus, il y avait beaucoup d’intervenants à rencontrer, coordonner ou persuader, et la tâche était fastidieuse. Cependant, grâce à mes compétences techniques et personnelles, y compris ma compétence bilingue, j’ai pu résoudre la grande majorité des enjeux et mener l’examen du projet à bon port, avec des résultats impressionnants. »
Ainsi, force est d’admettre que les avantages sociaux et professionnels que procure l’apprentissage des langues officielles en valent la peine. Un apprentissage que Martin Barakengera encourage d’ailleurs sans hésiter : « Ayant en grande partie appris ma seconde langue officielle par autodidaxie, je n’ai pas trouvé en cela un défi énorme. Toute personne déterminée peut le faire. »
LeeAnn Haché

Agente des services frontaliers au tunnel Detroit-Windsor, un passage international qui relie Windsor, en Ontario, et Detroit, au Michigan, LeeAnn Haché assume fièrement son bilinguisme depuis son tout jeune âge.
LeeAnn Haché

Avant même d’avoir l’âge de commencer à travailler, LeeAnn Haché est témoin des avantages du bilinguisme. « Quand j’étais petite, j’ai vu comment la capacité de communiquer en anglais et en français était un avantage pour mon père, qui occupait un emploi dans le domaine minier. Je voulais donc faire de même »
, raconte-t-elle.
Cette mentalité ne tarde pas à lui rendre service. En effet, lors de sa quête d’un emploi d’été à l’adolescence, le fait d’être bilingue lui permet non seulement de se distinguer des autres postulants, mais également de remplir ses tâches plus efficacement : « J’aimais être capable de servir les clients dans la langue de leur choix, sans être obligée de chercher quelqu’un d’autre pour les servir. »
Mais, comment LeeAnn Haché a-t-elle réussi à perfectionner sa langue seconde? Fille d’un père québécois et d’une mère native de l’Angleterre, celle qui travaille à l’Agence des services frontaliers du Canada depuis maintenant 19 ans doit une fière chandelle à ses parents. « J’ai demeuré en Abitibi, une région francophone au Québec, donc mes parents ont voulu m’envoyer à l’école anglaise afin que je puisse bien communiquer dans les deux langues officielles du Canada »
, explique-t-elle.
Ce n’est pas un secret, être bilingue apporte son lot de possibilités, et LeeAnn Haché peut en témoigner. Lorsqu’elle a 17 ans, son employeur, une agence de location d’automobiles, annonce qu’un des employés aura la chance d’aller travailler à Baie-James, au nord du Québec, pendant deux semaines. À quelle condition? La personne choisie doit être bilingue afin de pouvoir servir la clientèle de l’entreprise. « Je me suis donc fait offrir l’occasion de travailler pour eux, et ceci n’aurait pas été possible si je n’avais pas été capable de communiquer dans les deux langues »
, se souvient-elle. Évidemment, sa capacité à très bien communiquer en français et en anglais a aussi contribué à son embauche comme agente des services frontaliers. Accueillir les touristes qui visitent le Canada, particulièrement lorsqu’ils ne sont jamais venus auparavant, représente d’ailleurs l’un des aspects de son emploi qu’elle préfère, sans oublier son devoir d’assurer la sécurité et le bien-être de la population canadienne.
Bien qu’elle n’ait jamais douté de l’importance d’être bilingue, LeeAnn Haché ne pourrait pas, aujourd’hui, être plus fière de sa maîtrise des deux langues officielles. En effet, en offrant un service aux membres du public dans la langue officielle de leur choix, l’agente leur donne le sentiment d’être les bienvenus à leur arrivée à la frontière canadienne. Plus encore, il s’agit d’une compétence qui lui permet d’aider à s’occuper des réfugiés et de les mettre à l’aise tout au long du processus de leur cas d’immigration dans lequel elle est impliquée.
Au-delà du travail, les langues officielles sont aussi bien présentes dans la vie personnelle de LeeAnn Haché. « Je suis fière d’être Québécoise et d’être Canadienne et je trouve non seulement important, mais nécessaire d’être capable de communiquer en français et en anglais »
, souligne-t-elle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a transmis ces valeurs à son garçon de 14 ans, dans l’espoir qu’il puisse lui aussi profiter un jour des nombreux avantages du bilinguisme.
Enseignants de langue seconde
Rhonda Fox

Rhonda Fox baigne dans le domaine de l’enseignement depuis près de 30 ans, dont plus de la moitié en tant qu’enseignante d’anglais langue seconde au Canada et à l’étranger. Empathique et à l’écoute, voilà des qualités qui décrivent bien celle qui travaille aujourd’hui à l’école secondaire catholique John Cabot à Mississauga, en Ontario.
Rhonda Fox

Pourquoi Rhonda Fox est-elle devenue enseignante? Parce qu’elle était passionnée par les langues. Cette passion l’a amenée à obtenir un baccalauréat ès arts en linguistique et un baccalauréat en éducation de l’Université Memorial de Terre-Neuve, puis à commencer sa carrière comme enseignante de littérature anglaise au secondaire.
Il y avait toutefois un morceau manquant. « J’aimais explorer la littérature avec mes étudiants; cependant, j’étais toujours attirée par les rouages de la langue et en train de discuter avec des étudiants des nuances de l’anglais et du pouvoir des mots. Cette passion fut le catalyseur qui m’a poussée à obtenir une qualification de spécialiste en enseignement de l’anglais langue seconde de l’Université York, une décision qui a changé le cours de ma carrière et de ma vie. »
En effet, Rhonda Fox a choisi de se consacrer à une profession qu’elle apprécie profondément, et qui en retour, la fait grandir quotidiennement : « En tant qu’enseignante d’anglais, j’accueille le monde dans ma classe tous les jours, ce qui est tout un honneur. »
En plus d’apprendre de ses élèves, elle a également le privilège d’assister à un échange de connaissances unique entre eux, « car la plupart n’ont jamais vécu dans une ville aussi diversifiée sur le plan culturel que Mississauga. Les élèves sont de fiers ambassadeurs de leur pays de naissance »
.
Être enseignant de langue seconde, c’est recevoir une constante dose d’humilité et se faire rappeler la chance que nous avons de vivre dans un pays comme le Canada. « Les raisons qui ont poussé bon nombre de mes élèves à quitter leur maison et à déménager en Ontario sont marquées par des difficultés inimaginables. C’est pour cela que des choses magiques se produisent dans une classe d’anglais langue seconde, lorsque des élèves se soutiennent les uns les autres, car ils sont liés par les tragédies et les triomphes qui les ont amenés au Canada. La classe d’anglais langue seconde est un endroit sécuritaire où ils peuvent faire leurs premiers pas en anglais et dans la culture canadienne en compagnie de compagnons de classe empathiques. »
Côtoyer ces jeunes donne ainsi souvent lieu à des rencontres marquantes.
« J’enseigne à de nombreux élèves qui ont déjà vécu dans des zones de conflit. Bien que je ne leur pose jamais de questions sur leurs expériences passées, je les informe des services de soutien offerts par l’école et par la communauté pour eux et leurs familles, et je leur fais comprendre qu’ils peuvent faire appel à moi en cas de besoin […] L’an dernier cependant, inspirée par une lecture faite en classe, une élève a pris la plume et a raconté pour la première fois les expériences traumatisantes qu’elle a vécues durant la guerre, et ce, non pas parce que je l’avais demandé, mais plutôt à sa propre initiative dans le cadre de son cheminement personnel et de son processus de guérison, raconte Rhonda Fox. Après avoir écrit plus de dix pages, cette élève m’a remis sa composition et m’a dit qu’elle était peut-être maintenant prête à commencer à raconter son histoire. Elle souhaitait que je l’aide à réviser son texte afin que les gens puissent bien comprendre ses expériences si elle décide un jour de le faire lire à d’autres. En me faisant le grand privilège de me confier son histoire, cette jeune fille m’a donné un aperçu du passé de bon nombre des élèves qui sont présents devant moi tous les jours, ce qui oriente depuis mes méthodes d’enseignement. »
Soucieuse de répondre aux besoins de ses élèves, l’enseignante de Mississauga s’est d’ailleurs donné la mission d’en apprendre le plus possible sur leur réalité en parcourant le monde. « Enseigner l’anglais au Mexique et en Chine, par exemple, m’a aidée à mieux comprendre à quel point il peut être difficile d’apprendre à connaître un pays et une culture lorsqu’on n’en parle pas la langue. »
Et son dévouement ne s’arrête pas là. Afin d’acquérir une perspective mondiale de l’éducation, Rhonda Fox a aussi pris part au Projet outre-mer, un programme international géré par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants en collaboration avec les syndicats provinciaux d’enseignants. Ce projet constituait une occasion de développement professionnel inestimable à ses yeux : « Au cours de la dernière décennie, je suis allée en Mongolie, à la Grenade, à la Dominique et en Ouganda pour collaborer avec les syndicats nationaux d’enseignants à l’offre d’activités de développement professionnel aux éducateurs […] Pour les enseignants d’anglais langue seconde, les voyages sont des investissements qui font d’eux de meilleurs professeurs et citoyens du monde. »
Rhonda Fox ne saurait être plus fière du chemin parcouru par ses élèves, surtout lorsqu’on considère les lacunes comblées par certains d’entre eux qui, par le passé, « n’ont pas eu l’occasion de développer les capacités de lecture et d’écriture ainsi que de calcul nécessaires pour contribuer à leur réussite scolaire »
. Évidemment, le soutien et l’empathie de la part de leurs enseignants et de la communauté scolaire élargie sont aussi des facteurs clés de leur réussite.
Sa philosophie est d’ailleurs bien simple : « Je rappelle toujours à mes élèves à quel point ils sont chanceux de tous parler au moins deux langues, car pour les jeunes Canadiens, le bilinguisme est synonyme de possibilités. Plus d’options s’offriront à eux au Canada et à l’étranger puisqu’ils ont pris le temps d’apprendre une autre langue. Je leur rappelle également qu’il est payant, littéralement, d’être bilingue! »
Leah Marie Fornwald

Ancienne élève de l’École secondaire Weyburn Comprehensive en Saskatchewan, Leah Marie Fornwald y joue aujourd’hui un rôle complètement différent, mais ô combien essentiel : celui d’enseignante de français langue seconde.
Leah Marie Fornwald

Comme plusieurs autres jeunes à cet âge, Leah Marie Fornwald n’est pas enthousiaste à l’idée de suivre des cours de français lors de ses études secondaires. Elle décide donc de s’en passer en se disant que, de toute façon, ils ne lui seront jamais utiles mais, ironiquement, elle deviendra enseignante de français langue seconde quelques années plus tard. En effet, Leah Marie Fornwald se laisse séduire par la profession, car elle lui permet de combler son besoin insatiable d’apprendre. « Apprendre à enseigner, c’est le travail d’une vie complète, et l’apprentissage des langues, c’est un défi qui me tient à cœur. Le monde est fascinant et les langues nous permettent de découvrir ce monde ensemble. »
Elle connaît toutefois des débuts difficiles, qui la mènent à quitter l’enseignement après deux ans pour travailler comme agente des services frontaliers. Leah Marie Fornwald fait finalement son retour en salle de classe en 1998. « Avec une meilleure appréciation pour les professeurs comme membres de mon équipe, pour les élèves et pour la vie chaotique et heureuse du milieu scolaire », explique-t-elle.
Et l’enseignante de la Saskatchewan n’a jamais regardé derrière depuis. En effet, elle apprécie chaque moment, aussi banal soit-il, comme lorsqu’elle attend ses élèves à la porte de la classe à la sonnerie de la cloche. « Je les vois et je me dis “comme je suis chanceuse de pouvoir apprendre avec ces personnes intéressantes et curieuses” »
.
Leah Marie Fornwald s’efforce d’ailleurs de donner à ses élèves tous les moyens de réussir, que ce soit à travers la musique, les films ou les histoires. Elle est ainsi remplie de fierté chaque fois qu’elle est témoin d’un « light bulb moment »
comme elle les appelle, c’est-à-dire lorsqu’un de ses élèves fait une découverte ou voit le monde d’une autre façon. Au-delà de la matière, elle tient aussi à leur enseigner des stratégies, en lecture par exemple, qui leur seront utiles tout au long de leur parcours scolaire, tant en histoire, en anglais, en français qu’en mathématiques. Malheureusement, même avec la meilleure volonté du monde, la réalité de sa profession la rattrape parfois. « Ce qui est difficile, c’est qu’il y a tant de besoins, et les jours passent si vite. Nous voulons tout faire pour tout le monde, mais c’est impossible »
, avoue-t-elle.
Cela dit, Leah Marie Fornwald est déterminée à affronter ces défis afin de changer la vision des jeunes qui, comme elle autrefois, pourraient douter de l’importance d’apprendre une seconde langue. « Pour moi, l’apprentissage des langues, c’est une façon de bâtir des ponts pour que nous puissions partager nos expériences, nos histoires et nos intérêts. En partageant, nous découvrons ce que Maya Angelou dit dans son poème intitulé Human Family : “We are more alike, my friends, than we are unalike.” Ce qui est, pour moi, la clé de la vie. »
Stephen Hare

Avec 13 années d’expérience en enseignement des langues secondes, en français et en anglais, au Canada et à l’étranger, Stephen Hare possède une feuille de route impressionnante.
Stephen Hare

En 2003, Stephen Hare s’envole vers Paris pour enseigner l’anglais à nos voisins Français. Il nourrit alors l’espoir de transmettre aux élèves sa vision du bilinguisme, un concept qui « nous ouvre au monde autour de nous. »
Lors de son séjour, Stephen Hare prend toutefois conscience de son amour pour la langue de Molière. « Mes amis Français étaient très accueillants, et les élèves et étudiants étaient tellement motivés à apprendre l’anglais. Alors, je me suis dit qu’être enseignant de français en tant que langue seconde au Canada m’offrirait le même sentiment dans mon propre pays, et c’est le cas! »
, souligne-t-il.
Ainsi, depuis 2008, Stephen Hare enseigne le français langue seconde à l’école Madeline Symonds Middle School à Hammonds Plains, en Nouvelle-Écosse. Une profession qui le motive jour après jour. « Pour moi, l’enseignement est un acte social d’une haute conscience »
, explique-t-il. En effet, les enseignants ne cessent jamais de réfléchir à de nouvelles méthodes d’apprentissage pour encourager et motiver leurs élèves. Fait inusité, Stephen Hare garde toujours en tête le film Groundhog Day de 1993 lorsqu’il commence sa journée de travail :« Chaque jour, on a la possibilité d’améliorer quelques éléments par rapport à hier, et cela me motive sans cesse. »
Aussi simples soient-ils, les petits gestes de reconnaissance que reçoit l’enseignant lui font d’ailleurs chaud au cœur. « Cet été, j’ai reçu un courriel d’une ancienne étudiante. Elle constatait que chaque fois qu’elle pense ne pas pouvoir réussir, elle se dit que M. Hare croit en elle […] et que cela fait la différence »
, raconte-t-il humblement.
Mais Stephen Hare admet aussi avoir subi quelques coups durs au cours de sa carrière, comme la première fois où il a dû présenter ses excuses à une élève à la suite de ses commentaires trop abrupts. Une situation délicate qui « ne s’apprend pas dans la formation d’enseignement, et pourtant, c’est un savoir-faire si nécessaire. »
Ressentant le profond bouleversement de la jeune fille, l’enseignant savait qu’il avait eu tort, bien que son intention fût simplement de pousser l’élève à fournir un effort à la hauteur de ses capacités. « Après une nuit blanche remplie de réflexions, je lui ai fait mes excuses les plus sincères. Je n’oublierai jamais comment elle avait répondu avec “Je respecte ça, M. Hare.” »
« Il n’y a rien qui vaille plus chez les jeunes qu’un être authentique, ajoute-t-il. Ils savent intuitivement que tout le monde fait des erreurs, et les avouer nous rend humains à leurs yeux. »
Nicole Tryon

S’il y a une personne capable de se mettre dans la peau des élèves des classes d’immersion française, c’est bien Nicole Tryon. L’enseignante à l’École Campbelltown d’Edmonton (Alberta) a elle-même suivi un tel programme de la maternelle à la 12e année, puis pendant ses études universitaires.
Nicole Tryon

Nicole Tryon est initiée au bilinguisme dès son tout jeune âge par sa participation à un programme d’immersion française et grâce à l’influence positive de ses parents. Rapidement, elle comprend que la contribution d’une deuxième langue à notre culture et à notre identité est incontestable. « Je voulais exercer une profession qui me permettrait d’inspirer ce sentiment »
, souligne-t-elle.
Mais Nicole Tryon n’a pas choisi sa profession, c’est sa profession qui l’a choisie. En effet, après avoir travaillé avec des enfants pendant des années au camp d’été du YMCA et avoir pris part aux Cadets de l’Armée, son chemin vers le monde de l’enseignement s’est tracé naturellement. Sautant à pieds joints dans cette aventure, elle entame aujourd’hui sa deuxième année en tant qu’enseignante de français langue seconde. « J’aime l’imprévisibilité des élèves et de mes journées de travail. J’ai non seulement la chance de les voir tomber amoureux du français, mais également de faire partie de leur histoire avec cette langue. »
Pour ce faire, Nicole Tryon peut compter sur des conditions favorables à l’épanouissement de la langue française dans un milieu anglophone, ce qui n’est pas toujours le cas. « J’ai la chance de travailler dans un milieu où tout le monde a le bilinguisme à cœur et veille à favoriser son développement et sa promotion auprès de tous les élèves »
, affirme-t-elle.
Alors que ses parents ont autrefois fait confiance à des enseignants de langue seconde pour l’aider à devenir bilingue, c’est maintenant à son tour d’avoir l’honneur d’épauler les enfants dans leur apprentissage d’une nouvelle langue. Nicole Tryon prend d’ailleurs plaisir à les voir progresser lors des cercles d’échange qu’elle organise dans sa classe chaque semaine. « Un de mes élèves ne participait qu’en anglais ou répondait uniquement “jeux vidéo” lorsque je lui demandais ce qu’il avait fait la veille ou la fin de semaine précédente. Après avoir adopté ce comportement pendant un mois et demi, période pendant laquelle je lui ai suggéré des corrections et des mots en français, l’élève m’a souri, puis a souri à la classe et a dit : “J’ai joué les jeux vidéo.” Toute la classe s’est mise à applaudir. Non seulement cet élève a gardé son sourire pendant le reste de la journée, mais il a continué à utiliser et à améliorer sa phrase jusqu’à la fin de l’année. »
L’enseignante d’Edmonton tente également de donner une vitrine aux jeunes par l’entremise d’activités organisées sous le thème « montrer et raconter »
. Par exemple, elle a un jour demandé à ses élèves de présenter un objet qu’ils avaient rapporté d’un voyage familial ou d’une aventure à l’extérieur de l’Alberta. « Un élève a décidé de créer une vidéo qui intégrait de la musique, des photos et du texte qu’il avait écrit. Non seulement le texte, qui passait d’un côté à l’autre de l’écran, était en français, mais l’élève avait également fait la narration de sa vidéo, ce qui a exigé qu’il cherche divers mots en français qui ne faisaient pas partie de son vocabulaire courant. J’étais vraiment très heureuse de voir que cet élève avait déployé autant d’efforts pour raconter son histoire en Français à la classe. »
Pourquoi le bilinguisme est-il si important à ses yeux? « En tant que Canadienne, je crois que le bilinguisme est plus qu’une question de compréhension et de reconnaissance. Il faut plus particulièrement savoir reconnaître la valeur non seulement de nos deux langues officielles, mais également d’autres langues et cultures, et faire preuve de compréhension à leur égard. C’est ce que j’essaie d’enseigner à mes élèves »
, affirme Nicole Tryon.
Stephen Ferguson

Les langues officielles sont loin d’être étrangères à Stephen Ferguson, qui enseigne le français langue seconde à l’école régionale de Souris à l’Île-du-Prince-Édouard pendant l’année scolaire et l’anglais langue seconde à l’école secondaire Colonel-Gray à Charlottetown durant la saison estivale.
Stephen Ferguson

Enseignant chevronné, Stephen Ferguson a entamé sa carrière à Chicoutimi, au Québec, en 1986 alors qu’il apprenait lui-même les rudiments du français. Passionné par l’enseignement de l’anglais langue seconde, il s’inscrit dans cette discipline à l’Université Concordia.
Pour Stephen Ferguson, enseigner ne se limite pas au cadre linguistique : « Ce que j’aimais le plus de l’enseignement de l’anglais langue seconde, c’est que je n’enseignais pas seulement les principes de la langue, mais aussi des notions telles que la science, la littérature et les sciences humaines dans cette langue. »
Ainsi, pendant dix ans, il continue d’enseigner l’anglais au Québec, tout en poursuivant en français ses études de 2e cycle en littérature canadienne comparée.
Le fait de vivre en français et d’enseigner en anglais au Québec lui a donné une perspective unique lui permettant de faire le saut et d’enseigner le français au Canada anglais! « Vivre dans une langue officielle et enseigner l’autre semblait tout naturel, et lorsque j’ai déménagé au Canada anglais, j’ai commencé à enseigner le français et à enseigner en français »
, explique-t-il.
Ce que préfère par-dessus tout Stephen Ferguson dans son travail, c’est l’esprit de collaboration. « J’ai eu la chance de faire partie de communautés d’apprentissage professionnelles très solidaires tout au long de ma carrière »
, souligne l’enseignant. Ainsi, il s’est rendu jusqu’au Yukon afin d’étudier la méthode neurolinguistique de l’enseignement des langues secondes, sous la direction de Pascal Saint-Laurent, conseiller pédagogique réputé. L’enseignant a pu mettre à l’épreuve cette nouvelle vision lors de son passage à l’Île-du-Prince-Édouard auprès d’une équipe formidable à la Direction des écoles publiques, où il poursuit aujourd’hui sa carrière florissante dans deux écoles secondaires.
Certes, son cheminement dans les écoles francophones est parsemé de moments mémorables. « Ici, j’ai pu transmettre ma connaissance de la langue anglaise et des matières connexes tout en travaillant dans un milieu francophone. Il s’agit pour moi du mariage parfait de deux mondes. En tant que professionnel, j’avais l’impression que mes connaissances et mon expertise étaient valorisées et, en tant que personne, je me sentais en parfaite harmonie, car je pouvais participer comme membre à part entière de ma société d’adoption. »
Néanmoins, l’un des moments les plus marquants remonte à l’époque où il enseignait à Grise Fiord au Nunavut, ou Aujuittuq en inuktitut, le « lieu qui ne dégèle jamais »
. Là-bas, la fin du printemps coïncide avec la saison de chasse et les examens de fin d’année. Cette année-là, une harde de caribous de Peary s’était aventurée près du village, phénomène très rare dans cette région. Les élèves prévoyaient donc partir à l’aventure aussitôt leur examen d’anglais langue seconde terminé. Quelque temps auparavant, Stephen Ferguson avait lu un article à ce sujet dans une revue : la même chose s’était produite à Resolute Bay. Hélas, des chasseurs un peu trop enthousiastes avaient décimé tous les caribous, jusqu’au dernier. Puisque cet animal ne fait pas partie d’une espèce indigène, aucun quota de chasse n’est établi. Stephen Ferguson a donc profité de l’occasion pour intégrer ces questions dans l’examen final : « Croyez-vous en l’importance de transmettre la tradition de la chasse au caribou à vos enfants et vos petits-enfants? Si oui, comment comptez-vous y arriver s’il ne reste aucun caribou vivant? »
Après l’examen, les élèves sont partis chasser. À leur retour, l’un d’entre eux s’est confié à l’enseignant. « L’un des élèves de douzième année est venu me voir pour me dire qu’il avait réfléchi à la question de l’examen et que les élèves n’avaient pas tué tous les caribous. Cet élève est maintenant un agent de conservation au Nunavut »
, raconte-t-il.
Avide de nouvelles aventures, Stephen Ferguson s’est exilé en Corée du Sud pendant 12 ans pour enseigner l’anglais. De retour au Yukon, il s’est consacré à l’enseignement du français langue seconde au niveau primaire, ce qui comportait son lot de défis. Les méthodes d’enseignement et les besoins des élèves avaient bien changé. « Je me suis rapidement plongé dans le perfectionnement professionnel. J’ai mis l’accent sur l’apprentissage axé sur les projets et sur les ressources ainsi que sur les méthodes optimales pour reconnaître les besoins socioémotionnels des élèves. Ce ne fut cependant pas une transition rapide. »
Heureusement, fort de nouvelles compétences axées sur les besoins socioémotionnels et bien appuyé par ses collègues, l’enseignant a tôt fait d’établir et de tisser des liens avec ses apprenants.
Stephen Ferguson a contribué à l’apprentissage d’une seconde langue chez des milliers de jeunes Canadiens au fil des ans. Toutefois, qu’est-ce que le bilinguisme veut dire pour eux? « Je crois que le bilinguisme permet aux jeunes Canadiens d’ouvrir des portes, tant vers une communauté canadienne et mondiale plus vaste que vers de nouveaux volets de leur identité et de leurs passions qu’ils peuvent découvrir par le biais d’une autre langue. »
Il croit qu’en se dépassant pour apprendre une deuxième langue, les jeunes gagnent en confiance. Selon Stephen Ferguson, « maîtriser une autre langue et s’immerger dans une autre culture donnent l’occasion de voir le monde sous un angle différent, ce qui favorise la tolérance et l’acceptation des différences »
.
Lisa Deguire

Conférencière prisée et férue de technologie, Lisa Deguire est aussi professeure d’anglais langue seconde au Cégep de Jonquière à Saguenay, au Québec, où elle y enseigne depuis 1996 et occupe depuis peu le rôle de conseillère pédagogique. Depuis les six dernières années, elle collabore à des échanges virtuels avec des collègues d’autres régions, pays et continents. Cette semaine, faites la connaissance de Lisa Deguire!
Lisa Deguire

D’où viens-tu? Cette question, l’enseignante la pose souvent à ses étudiants afin de leur faire prendre conscience de leur propre histoire et culture. La réponse n’est toutefois pas si évidente pour Lisa Deguire, une Anglo-Québécoise, qui vient… d’un peu partout!
Née au Québec dans une famille linguistiquement mixte (anglais-français), Lisa Deguire se considère à bien des égards comme le fruit de la politique des langues officielles du Canada. Fille d’une famille de militaires, elle a « grandi dans un foyer qui valorisait et parlait non seulement les deux langues officielles, mais aussi la langue et la culture des endroits où nous étions affectés »
. Elle a reçu une éducation en anglais sur des bases des Forces armées canadiennes situées au pays et à l’étranger et elle a aussi appris l’allemand à un jeune âge. « Lors de récents échanges virtuels avec des étudiants et des enseignants d’outre-mer, j’ai tenté d’améliorer mes connaissances en espagnol et en hébreu, et je continue à apprendre et à améliorer mon français. D’une certaine façon, je souhaitais rendre la pareille, redonner ce que je recevais. »
Après des années d’exil et d’éducation en anglais, Lisa Deguire ne sentait pas qu’elle maîtrisait suffisamment sa deuxième langue officielle pour en faire sa langue de travail. C’est pour cette raison qu’elle a décidé d’utiliser sa langue maternelle, sa véritable force, afin d’aider les autres à apprendre une deuxième langue. « J’étais fière de mon héritage bilingue et je souhaitais le transmettre. »
Selon elle, l’enseignement et l’apprentissage des langues ont un côté rassembleur, car elles permettent de mieux se comprendre. Par contre, l’enseignement des langues est également une science, un art et une compétence. « C’est une science en ce sens que les éducateurs doivent rester bien au fait des meilleures pratiques et de la recherche cognitive pour mieux appuyer les étudiants dans leur processus d’apprentissage. De même, c’est un art dans la mesure où l’on communique nos passions et notre histoire par les mots, et la création de liens. C’est une compétence en ce sens que nous devons être capables non seulement de nous adapter aux besoins de nos étudiants, mais aussi de diversifier nos stratégies d’enseignement »
, explique-t-elle.
Ce que Lisa Deguire apprécie au plus haut point, c’est d’apprendre de ses étudiants, même si ça peut sembler un peu cliché. Pour elle, enseigner une langue revêt un côté multidimensionnel : « Notre profession est une combinaison complexe d’interactions, de communications, de mots, d’idées, de cultures, de règles et, surtout, de personnes. »
Passionnée par la « conception et le développement ainsi que par l’intégration efficace de la technologie en enseignement et en apprentissage »
, les débuts de l’enseignante coïncident avec les tout premiers balbutiements du Web en salle de classe. Aujourd’hui, la technologie n’influence pas seulement « comment nous enseignons, mais de plus en plus ce que nous enseignons à nos étudiants »
, ajoute-t-elle.
Récemment, l’Association québécoise de pédagogie collégiale a décerné une mention d’honneur à Lisa Deguire pour souligner sa contribution à l’enseignement. Elle affirme que c’est l’une des choses les plus gratifiantes et les plus stimulantes qu’elle ait jamais vécues. « D’une part, je suis heureuse que mes efforts soient reconnus, mais d’autre part, je pense à tant de collègues qui le méritent autant, sinon plus! »
Elle ajoute qu’elle a le sentiment de représenter « tous les membres de notre département d’anglais en acceptant cet honneur, car il est impossible de réussir sans des collègues inspirants. Aucun d’entre nous ne travaille seul; nous nous appuyons sur l’expérience et sur la créativité de nos collègues. »
Cependant, malgré les distinctions et les hommages, Lisa Deguire considère toujours qu’enseigner l’anglais langue seconde au Québec demeure un défi. Elle croit que dans une province majoritairement francophone, les enseignants de la langue officielle majoritaire au Canada doivent avoir une idée très claire de leurs objectifs : « En tant qu’éducateurs, nous pouvons choisir d’ignorer la politique partisane, mais la vérité est que nous mettons en œuvre des politiques gouvernementales et faisons donc partie du système. »
En tant que professeure de langue et personne bilingue, Lisa Deguire reconnaît le droit de toute minorité de protéger et de promouvoir sa langue et sa culture. Depuis quelques années, ce droit s’applique aux langues autochtones et elle s’en réjouit.
Interrogée sur la signification du bilinguisme pour les jeunes Québécois, Lisa Deguire affirme qu’elle préfère se concentrer sur les aspects positifs de la question : « Plus de 50 % des jeunes Québécois sont bilingues. Cela démontre l’ouverture de ces jeunes. Ils sont très conscients de l’importance, dans notre économie mondiale, de respecter et de reconnaître les langues et les cultures. Ils en savent souvent bien plus sur leur langue seconde qu’un locuteur natif. Somme toute, la langue est l’essence même de l’identité d’une personne. »
Niki Robichaud

L’école Smithers Secondary School, qui est située à Smithers, une petite ville dynamique au cœur de la Bulkley Valley, au nord de la Colombie-Britannique, compte parmi ses rangs une enseignante de français langue seconde dévouée, enthousiaste et ouverte d’esprit.
Niki Robichaud

L’étincelle de Niki Robichaud pour sa profession se produit lors d’un voyage en Europe à la fin de ses études secondaires. Elle est alors impressionnée par la facilité avec laquelle les Européens parlent plusieurs langues. « La maison de mon enfance était unilingue, et l’anglais était la seule langue parlée. J’ai compris que je voulais cette qualité que les Européens possédaient, de pouvoir passer d’une langue à l’autre avec fluidité »
, mentionne-t-elle.
À son retour au Canada, la jeune femme se met donc au travail : « J’ai commencé à me renseigner au sujet de tous les programmes incroyables dont nous disposons ici pour aider une personne à apprendre l’une de nos langues officielles. »
Son choix s’arrête sur l’Université Laval, à Québec, où elle y fait un baccalauréat pendant quatre ans afin d’améliorer ses compétences en français. « Mes années passées à Québec comptent parmi mes souvenirs les plus mémorables. Le fait de parler en français et de pouvoir être bilingue est un cheminement d’apprentissage continu pour moi »
, raconte Niki Robichaud. En plus de confirmer son désir de devenir enseignante, son séjour dans la vieille capitale lui permet de faire un constat important. « Je crois que ce que je considérais initialement comme une qualité européenne est aussi une qualité canadienne importante : le bilinguisme. »
Niki Robichaud est ainsi enseignante de français langue seconde depuis maintenant vingt ans. Vingt ans à montrer aux jeunes que le bilinguisme est une occasion pour eux « de grandir en tant que personne, de mieux comprendre leur langue maternelle et d’être de meilleurs apprenants de leur langue seconde. »
Plus important encore est le fait qu’ « avec le bilinguisme, on constate un engagement constant de comparaison et de contraste dans la structure de la langue et dans l’expression des idées, ajoute-t-elle. Par exemple, comment cette idée est-elle représentée en anglais et comment est-elle représentée en français? C’est amusant d’explorer. »
Même après toutes ces années, l’enthousiasme qui habite l’enseignante n’est pas près de s’essouffler. « J’aime aider les élèves à voir les possibilités qu’offre l’apprentissage du français, et comment le fait de parler en français va au-delà de la salle de classe. J’aide les élèves à comprendre qu’être bilingue peut aussi être une réalité pour eux, peu importe leur âge ou le programme dans lequel ils ont commencé le français : immersion ou de base. »
Et pas question de mettre l’accent sur la performance dans sa classe. En effet, pour Niki Robichaud, « l’apprentissage du français […] vise la création d’une expérience qui permet aux élèves de former et d’approfondir leur langue et leur sensibilité culturelle.»
C’est d’ailleurs ce que l’enseignante a tenté de faire en concevant un cours de cuisine en français. Une méthode créative qui « offre aux élèves une expérience individualisée en vue d’apprendre l’une de nos langues officielles et un format pour créer une relation avec la langue »
, explique-t-elle. De ce fait, Niki Robichaud avoue qu’il est difficile d’encourager les jeunes à poursuivre leurs études dans leur langue seconde. « Cela a constitué un défi particulier, surtout aux niveaux supérieurs dans les écoles secondaires. J’encourage les élèves à réfléchir à quelque chose qu’ils aiment faire, puis à l’explorer en français. J’aime cuisiner et faire de la pâtisserie, donc j’améliore mes compétences linguistiques et je les maintiens en participant à une activité que j’aime déjà faire. »
Le moins que l’on peut dire, c’est que le bilinguisme occupe une place de choix dans la vie de Niki Robichaud. « L’une de mes citations préférées à propos du bilinguisme est celle de Frank Smith, un psycholinguiste, qui dit ceci : “Une langue vous place dans un corridor pour la vie, mais deux langues vous ouvrent toutes les portes en cours de route”. »
Krista Guezen

Une chose est sûre, les 20 années d’expérience de Krista Guezen en tant qu’enseignante d’anglais langue seconde lui ont permis de découvrir plusieurs facettes de sa profession. Enseignante dans une école secondaire francophone de la région de l’Outaouais québécois depuis huit ans, sa passion et sa polyvalence ne passent pas inaperçues.
Krista Guezen

En s’inscrivant à l’université, Krista Guezen s’imagine devenir professeur d’anglais. Sa carrière prend toutefois un tournant inattendu lorsqu’elle décroche un contrat d’enseignante de langue seconde dans une école française. Comme quoi les défis ne lui font pas peur. « C’était trois jours avant le début de l’année scolaire et j’ai été jetée dans l’arène. J’ai adoré cela. Je ne peux pas dire que ça n’a pas été difficile, mais ça en a valu la peine, raconte-t-elle. Je n’ai jamais regardé en arrière. Je suis restée dans le système francophone, en tentant tous les jours de montrer à mes élèves à quel point l’anglais peut être important et amusant. »
L’enseignante polyvalente saute également sur toutes les occasions pour se perfectionner sur le plan professionnel, que ce soit en côtoyant des élèves de la première année du secondaire à la cinquième année du secondaire, en enseignant à Saint-Jérôme, à Lachute, à Outremont et même au Japon, ou en passant de la version normale du programme à celle enrichie. « Je suis devenue, comme bon nombre d’entre nous, un touche-à-tout. L’un des seuls aspects de cette profession que je n’ai pas encore essayés, et que j’aimerais bien essayer, est de travailler avec un stagiaire en enseignement »
, souligne-t-elle.
Au-delà de la variété de sa profession, Krista Guezen profite de la chance qu’elle a de pouvoir parler d’un sujet qui la passionne avec des jeunes aux opinions variées, en plus de la liberté de création dont elle dispose pour concevoir ses plans de cours. Comme elle le dit si bien, « chaque nouvelle année est un nouveau départ qui offre un potentiel illimité. »
« J’aime les débats, la formation, la communication et l’établissement de la confiance, ajoute-t-elle. J’aime les moments où les élèves croient enfin qu’ils peuvent le faire; lorsqu’ils parlent avec des phrases complètes ou qu’ils récitent un poème qu’ils ont écrit. J’adore pouvoir leur offrir des possibilités en leur enseignant cette langue. »
Questionnée sur les défis auxquels elle a été confrontée au cours de sa carrière, l’enseignante avoue que « celui qui me contrarie le plus en est un qui est toujours présent : la résistance à l’égard de l’apprentissage de l’anglais. »
En effet, Krista Guezen déplore « la perspective selon laquelle l’apprentissage de l’anglais n’est pas nécessaire »
, voire inutile. « Je me suis battue contre cela pendant toute ma carrière. »
Et ce n’est pas tout. La nature hétérogène des groupes est sans aucun doute l’un des plus grands défis auxquels les enseignants de langue seconde doivent faire face. « J’ai eu des élèves qui ne comprenaient pas un mot de ce que je disais assis à côté d’enfants bilingues prêts à lire leur prochain roman de Tolkien. Essayer de garder chacun de ces types d’élèves engagés est un défi quotidien. Je me rappelle certaines années où j’avais le sentiment d’enseigner à trois classes différentes en une seule. »
Toutefois, le bilinguisme est à ses yeux un élément essentiel de l’identité canadienne, d’où son travail acharné. Krista Guezen estime que « lorsque vous connaissez une autre langue, cela signifie que vous ne vous attendez pas à ce que tout le monde se conforme à vous. Vous avez la capacité de vous adapter aux autres. Cela équilibre l’égo et permet aux élèves de comprendre leur place au Canada. En outre, en Europe, de nombreux élèves apprennent trois langues, ce qui signifie que pour s’intégrer dans notre communauté mondiale, une personne doit au moins apprendre une deuxième langue. »
Kristie St Croix

Depuis septembre 2002, Kristie St Croix fait la promotion du bilinguisme auprès des jeunes. Comment? En étant enseignante de français langue seconde. Après un passage de six ans à Calgary, en Alberta, elle travaille aujourd’hui à l’école primaire Elizabeth Park, dans la communauté de Paradise, à Terre-Neuve-et-Labrador.
Kristie St Croix

L’histoire d’amour de Kristie St Croix avec le bilinguisme ne date pas d’hier. À l’âge de 12 ans, elle participe à un programme d’immersion française tardive au cours duquel elle apprend une seconde langue, mais surtout, où elle côtoie des enseignants inspirants. « Des enseignants qui m’ont donné envie d’en apprendre plus, de découvrir et de vivre la culture au-delà de ce qu’une salle de classe peut offrir »
, souligne-t-elle.
Une fois ses études secondaires terminées, la jeune femme n’est toujours pas rassasiée. Elle séjourne alors dans diverses communautés francophones pendant ses études postsecondaires, notamment à Montréal. Une expérience révélatrice à ses yeux : « J’ai commencé à réaliser à quel point mon identité canadienne était importante pour moi et ce que cela signifiait que d’être Canadienne. J’ai commencé à réaliser à quel point je m’identifiais, en tant que citoyenne, à ce magnifique pays, et que le fait de pouvoir communiquer dans ses deux langues officielles était très important pour mon parcours. »
Ce qui est loin d’être surprenant. Après tout, « le bilinguisme est un cadeau précieux de possibilité. Un cadeau qui offre de nombreuses aventures et des expériences de vie importantes »
, admet Kristie St Croix.
En vieillissant, l’importance du bilinguisme dans sa vie est de taille. Il lui ouvre plusieurs portes, tant sur le plan professionnel que personnel, en passant par la création de nouvelles amitiés à une meilleure compréhension des individus qui l’entourent. En effet, pour cette enseignante passionnée, le bilinguisme est, encore aujourd’hui, bien plus que la capacité à communiquer dans deux langues différentes. « Il s’agit du chemin que l’on suit pour acquérir cette langue et de toutes les choses que l’on apprend le long de ce chemin. Il s’agit de prendre des risques, de vivre et de faire l’expérience de cultures différentes et de comprendre et de reconnaître que nous sommes tous différents; c’est ce qui est beau »
, explique-t-elle.
L’envie de transmettre ces valeurs et de guider les enfants dans leur parcours scolaire ont ainsi poussé Kristie St Croix à devenir enseignante de langue seconde, en espérant qu’un jour ces enfants « seront en contact avec les autres et qu’ils comprendront la tolérance et adopteront toutes les différences parmi nous, en tant que citoyens du monde. »
De ce fait, grâce à son expérience, l’enseignante de Terre-Neuve-et-Labrador a vite compris que les jeunes, peu importe leur âge, ont soif d’apprendre et sont curieux. C’est pourquoi elle essaie de leur inculquer « la confiance de savoir qu’ils peuvent apprendre et faire de nouvelles choses dans la mesure où ils sont prêts à travailler dur et qu’ils aiment ce qu’ils font! »
Elle est toujours prête à aider ses élèves, et l’un d’entre eux l’a d’ailleurs particulièrement marquée. « Il y avait ce garçon qui avait de nombreux défis. Il avait de la difficulté à tisser des liens avec les autres et il avait également besoin de beaucoup de soutien en classe. C’était un garçon qui recherchait l’amitié, l’acceptation et qui cherchait à être rassuré. »
L’enseignante a travaillé avec lui pendant de nombreuses heures pour l’aider à développer sa confiance et sa curiosité. Se sentant soutenu par ses pairs, le jeune garçon a alors commencé à entreprendre ses propres projets d’apprentissage, à améliorer ses résultats scolaires et à entretenir des amitiés importantes. « J’ai été touchée par sa détermination à réussir et à faire des progrès. Son travail acharné et son attitude positive étaient inspirants pour toutes les personnes qui l’entouraient. Même lorsque les choses étaient très difficiles pour lui, il était prêt à essayer et il ne se décourageait jamais »
, se souvient l’enseignante.
Kristie St Croix tire ainsi une leçon importante de sa carrière jusqu’à présent : « Je crois qu’un enseignant a toujours la possibilité d’apprendre et parfois, la meilleure occasion d’apprendre vient des élèves qui nous entourent. »
Manon Jetté

Enseignante d’anglais langue seconde depuis près de 30 ans, Manon Jetté a toujours baigné dans le monde de l’éducation. Rapidement séduite par le métier, elle est aujourd’hui professeure à l’école primaire Sainte-Lucie à Val-d’Or.
Manon Jetté

Avec une mère orthopédagogue et des tantes enseignantes, Manon Jetté a rapidement su que le métier d’enseignante pourrait l’intéresser. Bien qu’elle ait hésité entre le domaine de l’éducation ou celui de la traduction, c’est son « besoin de pouvoir être en interaction avec des gens »
qui a guidé sa décision.
Après avoir obtenu son baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire, Manon Jetté est devenue titulaire de classe. Deux ans plus tard, on lui offre un poste en anglais langue seconde au primaire. Elle était loin de se douter que ses passions pour l’éducation et la langue finiraient par se jumeler. « J’ai accepté en me disant que je ferais ça pour un an. J’ai eu la piqûre… solide. J’ai donc rajouté un certificat en enseignement de l’anglais langue seconde à mon parcours scolaire. “The rest is history!” »
, affirme celle qui travaille à la même école depuis plus de 20 ans.
La carrière de Manon Jetté est ponctuée de moments forts, comme son expérience en tant que professeure pilote pour le nouveau programme d’anglais au premier cycle du primaire dans la province. « Pendant deux ans, la petite équipe de profs que nous étions, dont cinq au Québec pour la première année, validions le programme, épaulée par l’équipe du ministère de l’Éducation. »
D’ailleurs, l’enseignante de Val-d’Or n’a pas à rougir de ses performances, elle qui a remporté le prix de la Société pour le perfectionnement de l’enseignement de l’anglais, langue seconde, au Québec en 2013. La principale intéressée avoue que « …recevoir cet honneur, donné par des pairs, c’est très valorisant et stimulant. »
Puis, en 2016, son travail lui a valu le prix H.H. Stern de l’Association canadienne des professeurs de langues secondes, remis chaque année à un enseignant de langue seconde ayant fait preuve de pratiques novatrices en classe.
Cela dit, le métier d’enseignante de langue seconde n’est pas de tout repos. « Il n’est pas facile d’être spécialiste et de passer d’une école à une autre. Ça prend de l’organisation […] »
, affirme Manon Jetté. Toutefois, elle soutient « qu’il faut voir les changements comme des défis. […] Oui, il y a des changements qui ont été plus demandant, comme l’arrivée des nouveaux programmes avec la réforme, mais lorsque l’équipe avec laquelle on travaille est soudée, ça fait toute une différence. »
En effet, l’enseignante s’estime chanceuse de côtoyer des individus stimulants et de travailler avec des directions qui croient en ce qu’elle fait.
De ce fait, Manon Jetté salue la variété de sa profession et en retire une grande fierté. « Prendre un élève de 1re année et le voir évoluer jusqu’en 6e année, ça n’a pas de prix. De plus, apprendre une langue est quelque chose de culturel pour moi. Ça nous permet de comprendre et d’apprécier notre propre culture et de nous ouvrir sur celle des autres. C’est un peu comme ajouter des fenêtres à notre vue sur le monde. »