Monsieur le Président de la Chambre des communes
Ottawa
Monsieur le Président,
Conformément à l’article 66 de la Loi sur les langues officielles, je soumets au Parlement, par votre intermédiaire, le rapport annuel du commissaire aux langues officielles qui couvre la période du 1 er avril 2014 au 31 mars 2015.
Le commissaire aux langues officielles,
Graham Fraser
Préface de Graham Fraser
En 1942, Bruce Hutchison a écrit : « Le Canada n’est pas anglais – c’est la première chose à comprendre.1
» [translation] À l’époque, il voulait dire qu’il existait aussi, au cœur du pays, une société francophone cohésive, traditionnelle et catholique. Il est remarquable qu’un journaliste et auteur de la Colombie-Britannique ait reconnu, il y a sept décennies, la dualité fondamentale du pays.
À cette époque, et pendant les trois décennies suivantes, les personnes qui ont immigré au Canada étaient principalement d’origine européenne. Dans les années de l’après-guerre, il y a eu une nouvelle vague d’immigration en provenance d’Italie, du Royaume-Uni, du Portugal et des Pays-Bas puis, en 1957, de Hongrie. Ce n’est qu’en 1967, après l’adoption de changements à la Loi sur l’immigration, que le Canada a commencé à accueillir un grand nombre d’immigrants venus d’Asie et d’Afrique.
Aujourd’hui, quatre décennies après l’adoption d’une politique sur le multiculturalisme, sur recommandation de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, le Canada est l’un des rares pays industrialisés présentant non seulement des niveaux d’immigration toujours élevés, mais aussi une attitude publique très positive à cet égard. En instaurant des politiques favorisant l’immigration francophone à l’extérieur du Québec, le gouvernement a reconnu que ces niveaux élevés d’immigration s’accompagnent d’un défi pour les communautés de langue officielle.
L’an dernier, mon rapport annuel a mis l’accent sur la conformité. Cette année, l’immigration, qui intéresse le Commissariat aux langues officielles depuis des années, est le thème principal de mon rapport annuel, qui comprend aussi un compte rendu de nos enquêtes sur les plaintes et les résultats de nos vérifications. En raison du calendrier électoral, je dépose le présent rapport sept mois seulement après le précédent, et il est plus court que d’habitude. Le rapport annuel du prochain exercice comportera un aperçu des réussites et des échecs en matière de conformité au cours de la dernière décennie.
Nombre de Canadiens se demandent si la politique linguistique et la politique sur le multiculturalisme sont contradictoires et si l’évolution de la démographie et des tendances de l’immigration entraînera la disparition de la dualité linguistique au pays. À mon avis, les deux politiques sont profondément liées et elles se renforcent mutuellement. Elles sont toutes deux issues de la même commission royale d’enquête. L’acceptation de notre dualité nous a permis d’apprendre à accueillir d’autres groupes et à nous percevoir en tant que membres d’une société diversifiée.
Pour les communautés francophones dont l’identité a autrefois reposé sur les pierres angulaires traditionnelles que sont la paroisse et l’Église, le passage au statut de communautés d’accueil multiculturelles représente tout un défi. Elles vivent donc un profond bouleversement. Elles doivent se préparer à l’arrivée des nouveaux venus et travailler encore plus fort, une fois que ceux-ci se sont établis. Il y a eu des expériences fructueuses, comme à Winnipeg, où les immigrants et les réfugiés francophones sont accueillis à l’aéroport et accompagnés par des membres de l’organisme communautaire Accueil francophone pour faciliter leur adaptation à la vie au Canada. D’autres initiatives ont connu moins de succès, ce qui a privé de nouveaux arrivants francophones et des communautés de langue officielle d’occasions de s’enrichir mutuellement.
Le renforcement de la vitalité des communautés de langue officielle par suite de l’arrivée d’immigrants francophones constitue une excellente nouvelle pour la francophonie. Les questions d’immigration, de diversité, d’intégration et d’adaptation sont importantes dans l’ensemble du Canada et particulièrement au Québec. Toutefois, pour certains, l’arrivée d’immigrants menace l’essence même de la communauté ou encore l’identité nationale.
Comment améliorer le sentiment d’appartenance à une communauté? Comment aider les communautés ayant déjà de solides points de référence pour leur identité culturelle à s’adapter à de profonds changements démographiques? Comment aider les immigrants à se tailler une place au pays? Comment donner une nouvelle dimension à la notion du « nous » et l’élargir de sorte que notre société demeure accueillante?
Je crois que la diversité culturelle et la dualité linguistique sont deux valeurs canadiennes fondamentales qui se complètent. La diversité culturelle de notre pays résulte directement de la croissance soutenue de sa population diversifiée au cours des dernières décennies. L’ouverture et l’esprit de conciliation du Canada, tous deux issus de l’évolution de ses deux principaux groupes linguistiques, ont contribué à encourager l’immigration et la diversité au sein de sa population. L’existence de deux langues officielles au Canada aide à mettre en relief ces valeurs.
Il importe toutefois de ne pas confondre cette vision quelque peu idéaliste de notre pays avec la réalité qui attend les immigrants. En 2011, à un atelier sur les valeurs canadiennes qui se tenait dans le cadre d’un forum à Halifax, j’ai pu prendre connaissance de l’expérience d’un homme originaire de la Colombie. Les autres participants ont tous parlé de ce qu’ils percevaient être les valeurs typiquement canadiennes – la tolérance, l’inclusion, la coopération. Quant à cet homme, il a raconté que la situation avait été tout autre à son arrivée au Canada. En effet, il a été confronté à la concurrence, à l’individualisme et au matérialisme. Ce n’est qu’après avoir quitté la grande ville pour s’installer dans une petite communauté qu’il a découvert que de bonnes valeurs, comme la solidarité et l’inclusion, existaient vraiment au pays.
Son témoignage souligne le danger de ne pas tenir compte de la façon dont les nouveaux arrivants découvrent la réalité canadienne. Il importe en effet de leur présenter franchement ce à quoi s’attendre avant leur arrivée au Canada.
Il est aussi important d’examiner les répercussions de l’immigration sur les communautés anglophones du Québec. L’an dernier, j’ai eu le plaisir d’assister à une conférence organisée et présentée par le maire Régis Labeaume sur les défis que connaissent les nouveaux arrivants anglophones à Québec. Le phénomène de l’immigration anglophone au Québec est un sujet souvent négligé, mais celle-ci constitue un élément essentiel à la revitalisation des communautés anglophones de la province.
Dans mes rapports annuels, j’ai régulièrement présenté les plaintes du public voyageur, dont nombre d’entre elles étaient contre Air Canada. Cette année, nous avons fait le suivi d’une vérification portant sur le service au public offert par le transporteur aérien. J’ai été décontenancé de constater que celui-ci n’avait pris en compte qu’une seule des douze recommandations que j’avais formulées à son intention. Personne ne s’attend à la perfection, mais il était préoccupant d’apprendre que la direction de l’institution n’avait pas adopté de mesures pour corriger les lacunes signalées.
L’année prochaine sera importante à de nombreux égards, en particulier parce qu’il y aura des élections fédérales. Toutes les élections sont importantes dans une démocratie, un exercice qui constitue aussi une manifestation des valeurs nationales. Les Canadiens ont le droit de voter dans la langue officielle de leur choix, et ils s’attendent à ce que leurs dirigeants politiques leur adressent la parole et en français et en anglais. Après les dernières élections fédérales, j’ai été interviewé par un journaliste étranger qui s’est dit étonné et impressionné par le fait que le premier ministre et le chef de l’opposition s’étaient exprimés aussi bien en français qu’en anglais au cours de la campagne, à Vancouver et à Toronto. Voilà de leur part un signe de respect à l’égard de la dualité linguistique du Canada.
Comme la plupart des réussites de la politique linguistique du Canada, c’est là quelque chose que les Canadiens tiennent pour acquis. Les échecs suscitent souvent un grand intérêt parmi le public, mais ce sont les réussites qui doivent nous guider et nous inspirer.
Prix d’excellence – Promotion de la dualité linguistique
Gracieuseté du World Trade Centre Winnipeg
Depuis 2009, le Prix d’excellence – Promotion de la dualité linguistique du commissaire aux langues officielles est décerné à une personne ou à une organisation qui n’est pas assujettie à la Loi sur les langues officielles, mais qui se démarque par sa contribution à la promotion de la dualité linguistique au Canada ou à l’étranger, ou au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays. Cette année, la lauréate du Prix d’excellence est Mariette Mulaire.
Personne de vision, Mariette Mulaire a su utiliser ses nombreux talents, dont celui de rassembleuse, pour favoriser le rapprochement entre les communautés de langue officielle du pays et à l’étranger. Elle a occupé pendant six ans le poste de présidente-directrice générale de l’Agence bilingue d’échanges commerciaux du Manitoba, dont le mandat est de favoriser le commerce et l’investissement avec les marchés francophones, ici et ailleurs, au profit des entreprises du Manitoba.
Elle a mis sur pied de nombreuses initiatives de développement économique et d’immigration francophone au nom de sa province, notamment la création et l’animation de Centrallia, le tout premier forum international interentreprises dans l’Ouest canadien.
M me Mulaire a joué un rôle clé dans la création du World Trade Centre Winnipeg, dont elle est la présidente-directrice générale depuis 2013. Cet organisme contribue à renforcer la vitalité économique et la diversité culturelle au Manitoba, et à consolider la place de la francophonie au Canada et à l’étranger. De plus, il facilite l’intégration d’immigrants francophones dans la province en offrant un programme gratuit destiné à les aider dans les démarches administratives.
M me Mulaire a su convaincre ses collègues anglophones que le bilinguisme pourrait ouvrir les horizons du World Trade Centre Winnipeg et élargir le bassin de ses contacts. Ce dernier est un organisme pleinement bilingue : la langue de travail est le français, et tous ses employés sont bilingues, une réussite exemplaire parmi les World Trade Centres du monde entier.
L’expérience de M me Mulaire en matière de développement économique comprend la direction générale du Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba pendant dix ans. Elle a aussi travaillé au sein du ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest et du ministère du Patrimoine canadien.
Mariette Mulaire est membre bénévole de divers organismes au Manitoba. En tant que coprésidente de la société hôte des Jeux du Canada 2017, à Winnipeg, elle a exprimé sa détermination de voir cette manifestation sportive réussir aussi bien en matière de langues officielles que les Jeux du Canada à Sherbrooke, au Québec, en 2013.
Le commissaire aux langues officielles félicite Mariette Mulaire pour sa contribution inspirante à la valorisation de l’apport de la communauté francophone à l’échelle provinciale, nationale et internationale.
Introduction
Le rapport annuel 2014-2015 du commissaire aux langues officielles comprend deux chapitres.
Le premier a pour sujet l’immigration et les communautés de langue officielle2. Cette question de grande actualité, qui a fait l’objet d’un important rapport sénatorial en décembre 20143, méritait d’être examinée. En effet, la vitalité des communautés francophones et anglophones4, à l’instar de celle des deux majorités linguistiques du pays, repose de plus en plus sur l’apport de nouveaux arrivants. Les communautés de langue officielle auront cependant besoin du soutien du gouvernement fédéral pour maximiser chez elles les effets positifs que peut avoir l’immigration.
Le deuxième chapitre du rapport a pour objet la conformité des institutions fédérales5 à la Loi sur les langues officielles. Il brosse un portrait sommaire des plaintes que le commissaire a reçues en 2014-2015, présente succinctement les vérifications que celui-ci a entamées ou terminées cette année et explique les décisions rendues par les tribunaux dans deux affaires importantes.
Chapitre 1 - Immigration et langues officielles
Le Canada a toujours été une terre d’accueil. L’immigration a permis son peuplement, favorisé son développement économique et l’amélioration de sa compétitivité internationale, et contribué à l’enrichissement de ses deux majorités linguistiques et à leur ouverture sur le monde. Le nombre d’immigrants au Canada a varié au fil des ans, notamment en fonction d’événements à l’échelle mondiale. Avant les années 1960, la plupart des immigrants provenaient d’Europe et des États-Unis. Depuis les années 1980, le nombre de nouveaux arrivants européens et américains diminue alors qu’augmente le nombre d’immigrants en provenance d’autres régions du monde, comme l’Afrique et l’Asie6. Au cours des dernières décennies, le Canada a accueilli chaque année au moins 200 000 immigrants ou résidents permanents7.
En 2011, près de 6,8 millions de Canadiens étaient nés à l’étranger, soit 20,6 % de la population totale, ce qui constitue le plus haut pourcentage parmi les pays du G88. L’expérience canadienne en matière d’immigration et d’intégration est perçue à l’échelle internationale comme une réussite, et de nombreux pays, dont l’Allemagne9, cherchent aujourd’hui à s’en inspirer.
Le profil linguistique des immigrants dans les communautés francophones et anglophones du Canada, tel que l’illustrent les graphiques graphique 1 et graphique 2 , indique qu’il serait souhaitable d’accroître les retombées positives de l’immigration pour la vitalité des communautés de langue officielle, tout comme les immigrants pourraient mieux tirer profit de leur participation à la vie de ces communautés 10. Ces questions déterminantes pour l’avenir de la dualité linguistique font l’objet de ce chapitre.
Description – Graphique 1 Première langue officielle parlée selon le statut d’immigrant (non-immigrants et immigrants), Canada, Québec, Canada moins le Québec, Enquête nationale auprès des ménages 2011
Endroit | Pourcentage de non-immigrants (nés au Canada) dans la population selon la première langue officielle parlée (PLOP) | Pourcentage d’immigrants (nés à l’étranger et devenus immigrants reçus ou résidents permanents) dans la population, selon la première langue officielle parlée (PLOP) |
---|---|---|
Canada – Total PLOP (Nombre = 32 852 320) | 78 % | 21 % |
Canada – Anglais PLOP (Nombre = 24 719 000) | 76 % | 23 % |
Canada – Français PLOP (Nombre = 7 593 070) | 90 % | 9 % |
Québec – Total PLOP (Nombre = 7 732 520) | 87 % | 13 % |
Québec – Anglais PLOP (Nombre = 1 046 493) | 64 % | 34 % |
Québec – Français PLOP (Nombre = 6 618 173) | 91 % | 9 % |
Canada moins le Québec – Total PLOP (Nombre = 25 119 800) | 76 % | 23 % |
Canada moins le Québec – Anglais PLOP (Nombre = 23 672 508) | 77 % | 22 % |
Canada moins le Québec – Français PLOP (Nombre = 974 898) | 88 % | 12 % |
Source:Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages, 2011, produit n o 99-010-x2011043.
Table notes
- Table note *
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Le pourcentage de la première langue officielle parlée est calculé après répartition égale de la catégorie « français-anglais » entre chaque groupe linguistique. La catégorie « ni anglais ni français » est incluse dans le total de la première langue officielle parlée
- Table note *
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La catégorie « résident non permanent » ne figure pas dans le graphique
Description – Graphique 2 Statut d’immigrant (non-immigrants et immigrants) selon la première langue officielle parlée, Canada, Québec, Canada moins le Québec, Enquête nationale auprès des ménages 2011
Endroit | Anglais, première langue officielle parlée | Français, première langue officielle parlée | Ni anglais, ni français, première langue officielle parlée |
---|---|---|---|
Canada – Total (Nombre = 32 852 320 ) | 75 % | 23 % | 2 % |
Canada – Non-immigrants (Nombre = 25 720 175 ) | 73 % | 27 % | 0 % |
Canada – Immigrants (Nombre = 6 775 765 ) | 83 % | 10 % | 6 % |
Quebec – Total (Nombre = 7 732 520 ) | 14 % | 86 % | 1 % |
Quebec – Non-immigrants (Nombre = 6 690 535 ) | 10 % | 90 % | 0 % |
Quebec – Immigrants (Nombre = 974 890 ) | 36 % | 60 % | 4 % |
Canada moins le Quebec – Total (Nombre = 25 119 800 ) | 94 % | 4 % | 2 % |
Canada moins le Quebec – Non-immigrants (Nombre = 19 029 640 ) | 95 % | 5 % | 0 % |
Canada moins le Quebec – Immigrants (Nombre = 5 800 875) | 91 % | 2 % | 7 % |
Source: Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages, 2011, produit n o 99-010-x2011043.
Table notes
- Table note ***
-
La première langue officielle parlée est calculée après répartition égale de la catégorie « français-anglais » entre chaque groupe linguistique
Immigration francophone à l'extérieur du Québec
L’importance de l’immigration pour les communautés francophones
Quoique la vitalité des communautés francophones varie fortement d’une région du Canada à une autre, celles-ci ont réalisé d’importants progrès au cours des dernières décennies. Cependant, les communautés francophones seraient plus aptes à se développer, donc à favoriser l’épanouissement personnel et professionnel de leurs membres, et à continuer de contribuer à l’avancement de la société canadienne si elles réussissaient à attirer davantage d’immigrants francophones11.
Dans un rapport publié récemment, le commissaire aux langues officielles du Canada et le commissaire aux services en français de l’Ontario soulignaient l’importance de l’immigration pour assurer la vitalité des communautés francophones, car historiquement, selon Statistique Canada, ces dernières ont peu profité de l’arrivée des immigrants, qui, dans une large mesure, tendent à s’intégrer à la communauté anglophone majoritaire.
Le rapport Portrait statistique de la population immigrante de langue française à l’extérieur du Québec (1991 à 2006), de Statistique Canada, est la publication la plus récente à présenter des données de recensement sur les immigrants, leur répartition sur le territoire et leurs caractéristiques démographiques et socio-économiques12. En 2006, selon ce rapport, 70 % des immigrants francophones vivaient en Ontario. Par ailleurs, deux tiers des immigrants francophones habitaient à Toronto, à Ottawa ou à Vancouver. Une forte proportion des immigrants francophones était originaire d’Afrique. En comparaison de la population immigrante non francophone, la population immigrante francophone était relativement jeune, une grande partie étant âgée de 0 à 19 ans. En outre, les immigrants francophones avaient également un niveau d’instruction plus élevé que les francophones nés au Canada et que les immigrants non francophones. Toutefois, selon le rapport, comparativement aux immigrants non francophones, ils étaient plus susceptibles d’être sans emploi. La date d’arrivée au Canada et le continent d’origine des immigrants constituent deux des principaux facteurs d’employabilité. Les immigrants d’origine africaine semblaient particulièrement désavantagés13.
Malgré de nombreux obstacles, il est possible de réduire l’écart démographique entre les immigrants francophones et anglophones à l’extérieur du Québec et de favoriser leur intégration linguistique, culturelle et sociale afin que l’immigration devienne, pour les communautés francophones, l’outil de développement puissant qu’elle constitue déjà pour les deux majorités linguistiques du Canada. Comme nous le verrons plus loin dans cette section, cela ne se réalisera que si le gouvernement fédéral assure un fort leadership dans ce dossier.
L’immigration francophone à l'extérieur du Québec : un exemple de relation gagnant-gagnant
Les données du Recensement de 2006 montrent qu’un travailleur franco-ontarien de la santé sur cinq est né à l’étranger, tandis que les immigrants constituent seulement 13,7 % de la population francophone de l’Ontario 14. D’une part, il semble que les immigrants francophones contribuent grandement à la prestation de soins de santé en français dans la communauté franco-ontarienne. D’autre part, cette communauté de langue officielle en situation minoritaire aide de nombreux immigrants francophones à se bâtir, au Canada, un avenir professionnel et personnel à la mesure de leurs ambitions.
L’immigration et les communautés francophones : portrait de la situation
En 2003, le gouvernement fédéral a établi qu’il fallait qu’au moins 4,4 % des immigrants qui arrivent au Canada et qui s’installent à l’extérieur du Québec soient francophones pour que les communautés francophones maintiennent leur poids démographique relatif. À l’époque, on avait estimé que cet objectif pouvait être atteint en 2008, mais cette échéance a été reportée à 202315.
Les problèmes d’attraction et de rétention des immigrants que connaissent les communautés francophones sont attribuables à des causes diverses. N’ayant pas reçu l’information pertinente, trop d’immigrants francophones ne savent pas, avant leur arrivée au pays, qu’il existe des communautés francophones dans l’ensemble des régions du Canada et que celles-ci offrent de bonnes possibilités d’intégration aux personnes qui s’y établissent. Par conséquent, ils n’envisagent pas la possibilité de s’installer à ces endroits.
En outre, les organismes anglophones ou bilingues d’aide aux immigrants qui ont été mis en place dans les provinces et les territoires n’informent pas toujours les nouveaux arrivants du fait qu’ils pourraient s’intégrer à une communauté francophone locale et choisir de recevoir certains services importants en français plutôt qu’en anglais. Par exemple, ces organismes ont parfois le réflexe d’orienter les immigrants francophones vers les écoles de langue anglaise, même s’il existe des établissements scolaires de langue française dans la communauté. Ou, faute de connaissances, ils ne détrompent pas les nombreux nouveaux arrivants francophones qui « pensent que, pour apprendre l’anglais, ils doivent inscrire leurs enfants dans un système d’éducation anglophone
» et, ainsi, choisissent de « s’installer dans des régions ou dans des quartiers anglophones 16
». Pourtant, lorsque l’accompagnement est offert par les organismes de soutien francophones, les nouveaux arrivants francophones tissent généralement des liens solides avec leur communauté d’accueil.
Enfin, les acteurs gouvernementaux et socioéconomiques n’ont pas toujours pleinement conscience des avantages que présentent la présence de communautés francophones dans leur province, territoire ou municipalité et la venue, dans une région, d’immigrants pouvant s’exprimer en français. Par conséquent, tous ne font pas les efforts possibles pour recruter davantage d’immigrants francophones. Le dynamisme des communautés francophones rapporte pourtant à l’ensemble de la population canadienne. Selon une étude commandée par le Réseau de développement économique et d’employabilité Canada, « la connaissance du français joue un rôle essentiel sur la vitalité et la rentabilité de l’économie du pays
» et « les citoyens bilingues produisent une valeur ajoutée dans la mesure de la performance en affaires17
».
Mesures prises par le gouvernement fédéral pour favoriser l’immigration francophone
L’immigration francophone est un phénomène ancien, mais il faudra attendre les années 1990 pour que les communautés mènent leur première grande étude sur ce sujet : Les communautés francophones et acadiennes du Canada face au pluralisme. En 1999, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada poursuit ce travail d’analyse au moyen d’une tournée pancanadienne baptisée « Dialogue ». À l’issue de cette initiative, un groupe de travail recommande que la Fédération et ses membres créent un comité national qui verra à l’élaboration d’un plan d’action dans le dossier de l’immigration.
En 2002, Citoyenneté et Immigration Canada donne suite à cette recommandation en créant le Comité Citoyenneté et Immigration Canada – Communautés francophones en situation minoritaire. Ce comité définira des stratégies visant à accroître le nombre d’immigrants francophones et travaillera à faciliter leur accueil et leur intégration.
En 2003, le Comité Citoyenneté et Immigration Canada – Communautés francophones en situation minoritaire publie le Cadre stratégique pour favoriser l’immigration au sein des communautés francophones en situation minoritaire. En outre, le gouvernement fédéral, dans son premier plan d’action quinquennal pour les langues officielles, fait part de son intention de consacrer neuf millions de dollars au démarrage de projets pour la promotion de l’immigration dans les communautés francophones.
L’année 2003 marque aussi le lancement de Destination Canada, un événement qui vise à faire connaître le Canada et ses communautés francophones aux immigrants potentiels d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient. Les provinces, les territoires et les associations communautaires collaborent à l’organisation de cette rencontre, que le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes qualifiera, en 2010, de pratique exemplaire.
En 2008, le gouvernement canadien annonce, dans la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne 2008-2013 : Agir pour l’avenir, son intention de continuer à encourager l’immigration dans les communautés francophones. L’Agence de promotion économique du Canada atlantique reçoit dix millions de dollars sur cinq ans pour attirer un plus grand nombre d’immigrants francophones au Nouveau-Brunswick.
Une certaine incertitude commence toutefois à peser sur la situation de l’immigration au début des années 2010. Le gouvernement adopte alors la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018 : éducation, immigration, communautés, selon laquelle Citoyenneté et Immigration Canada injectera près de 30 millions de dollars pour soutenir la venue d’immigrants dans les communautés francophones. Cependant, à la même époque, ce ministère ferme certains de ses bureaux régionaux et élimine le financement dont pouvaient se prévaloir les communautés francophones pour se rendre en Europe ou en Afrique afin de participer à Destination Canada. Et surtout, le gouvernement fédéral adopte une toute nouvelle politique d’immigration centrée sur le développement économique.
Changements récents à la politique d’immigration du gouvernement fédéral
La politique d’immigration que le gouvernement fédéral a instaurée vise surtout à faciliter le recrutement d’immigrants dotés de compétences professionnelles qui sont demandées au Canada. Elle repose en bonne partie sur la création du système Entrée express, qui permet aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi qu’aux employeurs de choisir les immigrants de la catégorie économique les plus susceptibles de réussir leur intégration, au lieu de sélectionner ceux dont le nom figure en haut de la liste d’attente. La politique instaure aussi de nouvelles règles pour l’admission des travailleurs temporaires, des étudiants étrangers et des réfugiés.
Ces changements pourraient avoir des retombées positives selon les mesures que prendront le gouvernement fédéral, ses partenaires et les communautés francophones dans les années à venir.
On sait que les entreprises joueront un plus grand rôle que par le passé dans le repérage des travailleurs qualifiés à qui le Canada permettra d’immigrer. Selon une étude commandée en 2013 par la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne, les communautés francophones devront donc passer « d’un mode réactif d’accueil et d’intégration des immigrants qui se présentent aux portes [de leurs] organismes et [de leurs] établissements [...] à une stratégie proactive18
». En d’autres mots, elles devront établir des partenariats étroits avec les employeurs francophones et anglophones d’une région, pour les inciter à privilégier l’embauche d’immigrants francophones. De plus, les communautés francophones devront convaincre les entreprises et les acteurs qui les soutiennent d’ajouter des pays francophones à la liste de ceux — surtout anglophones — où ils recrutent actuellement de nouveaux travailleurs.
Les nouvelles politiques d’immigration ciblent particulièrement les étudiants étrangers, qui, après avoir passé quelques années au pays, sont généralement plus susceptibles de s’intégrer harmonieusement. Pour que les établissements postsecondaires des communautés francophones et leurs partenaires puissent attirer et fidéliser un plus grand nombre d’étudiants étrangers francophones, les gouvernements devront leur accorder davantage de ressources. Selon l’Association des universités de la francophonie canadienne, ces établissements devront notamment améliorer l’accès aux services d’orientation en français destinés aux étudiants étrangers et offrir des programmes grâce auxquels ces derniers acquerront des compétences recherchées dans leur communauté d’accueil19.
Dans un mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des langues officielles, la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, Marie-France Kenney, a rappelé que « bien que les communautés aient déjà adapté bon nombre de leurs activités et pratiques pour assurer la pertinence et l’efficacité de celles-ci dans le nouveau contexte en matière d’immigration, cela n’enlève rien à la responsabilité des gouvernements de veiller à ce que les changements récents au système d’immigration aient des impacts positifs pour les communautés francophones20
».
Pour aider les communautés francophones à s’adapter à la nouvelle situation, il sera important de les faire participer aux discussions portant sur l’immigration. Citoyenneté et Immigration Canada s’est doté d’un nouveau Secrétariat des langues officielles et a amélioré le fonctionnement du Comité Citoyenneté et Immigration Canada – Communautés francophones en situation minoritaire. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a annoncé des consultations pour repérer et définir des moyens ou des pratiques visant à augmenter le nombre d’immigrants francophones qui s’établissent dans les communautés francophones. Par contre, quelques jours après l’annonce, le Ministère a aboli le programme Avantage significatif francophone. Ce programme visait à simplifier l’immigration temporaire de professionnels ou d’employés spécialisés francophones à l’extérieur du Québec.
Par ailleurs, il est clair que seules l’adoption d’une perspective francophone sur les questions d’immigration et la mise en œuvre de programmes répondant aux besoins particuliers des communautés francophones permettront à ces dernières d’attirer et de retenir les immigrants dont elles ont besoin.
Enfin, le gouvernement canadien devra redoubler d’ardeur pour faire en sorte que les mentalités changent en profondeur et que l’immigration francophone soit enfin perçue par toutes les parties concernées — les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux ainsi que les organismes et les entreprises — comme un atout dont la valorisation rapportera aux communautés francophones, certes, mais aussi à la société canadienne dans son ensemble.
Le Commissariat aux langues officielles et l’immigration francophone
Au début des années 2000, la commissaire aux langues officielles de l’époque a mis en lumière le dossier de l’immigration francophone en y faisant référence dans son premier rapport annuel et en commandant deux études clés sur le sujet.
Entre 2007 et 2012, le commissaire actuel a poursuivi ce travail en organisant, à Toronto, à Vancouver, à Halifax et à Montréal, des forums de discussions qui ont permis de recueillir de l’information sur la façon dont les Canadiens d’origines diverses, y compris les immigrants, perçoivent la dualité linguistique. Puis en 2013, en raison de l’importance croissante de l’immigration pour les communautés francophones, le commissaire en a fait l’une de ses priorités.
La stratégie d’intervention en immigration pour les communautés francophones 2013-2016 du Commissariat aux langues officielles poursuit deux objectifs : inciter les institutions fédérales et leurs partenaires à soutenir l’immigration dans les communautés francophones, et examiner dans quelle mesure le gouvernement canadien assume la responsabilité qui lui incombe de travailler à l’accroissement du nombre d’immigrants francophones.
Deux gouvernements provinciaux sont invités à agir
Dans son rapport annuel 2013-2014, le commissaire aux services en français de l’Ontario, M François Boileau, a recommandé au gouvernement de la province de créer un groupe d’experts sur l’immigration francophone. Ce groupe, qui devrait selon lui inclure des acteurs de terrain, comme des chefs d’entreprise et des administrateurs scolaires, aurait notamment pour mission d’élaborer une stratégie permettant de faire en sorte que 5 % des immigrants s’installant en Ontario soient francophones.
Dans un communiqué de presse publié en avril 2014, la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, a pour sa part demandé au gouvernement de la province et au gouvernement fédéral d’adopter une entente-cadre sur l’immigration francophone qui tient compte des droits constitutionnels des deux communautés linguistiques de cette province.
Pour atteindre ces deux objectifs, le commissaire a commencé à étudier l’incidence des modifications apportées au système d’immigration; il a entrepris de resserrer sa relation avec Citoyenneté et Immigration Canada, et il est intervenu, de concert avec ses homologues de l’Ontario et du Nouveau- Brunswick, pour mettre en relief l’importance, pour le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires, d’intervenir activement dans le dossier de l’immigration francophone.
Dans un communiqué de presse commun publié en octobre 2014, le commissaire aux langues officielles du Canada, le commissaire aux services en français de l’Ontario et la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick ont souligné qu’il faudra de solides partenariats entre le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires et les communautés de langue officielle, ainsi que des stratégies à long terme et des mesures de financement adéquates pour réussir à attirer et à retenir un nombre suffisant d’immigrants dans les communautés francophones.
Dans leur rapport commun sur l’immigration francophone, intitulé Agir maintenant pour l’avenir des communautés francophones : Pallier le déséquilibre en immigration, publié en novembre 2014, le commissaire aux langues officielles du Canada et le commissaire aux services en français de l’Ontario ont en outre rappelé que l’immigration ne pourra devenir un atout pour les communautés francophones que si le gouvernement fédéral et Citoyenneté et Immigration Canada font preuve d’un leadership de premier plan et d’un grand esprit de collaboration. En effet, la bonne évolution du dossier de l’immigration francophone reposera en forte partie sur la qualité des interventions du gouvernement canadien ainsi que sur la participation active de nombreux autres acteurs.
Recommandation 1
Dans leur rapport commun sur l’immigration francophone, intitulé Agir maintenant pour l’avenir des communautés francophones : Pallier le déséquilibre en immigration, publié en novembre 2014, le commissaire aux langues officielles du Canada et le commissaire aux services en français de l’Ontario ont présenté sept recommandations21 au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dont la mise en œuvre favorisera l’atteinte des cibles en immigration. Le commissaire aux langues officielles voudrait réitérer ces recommandations.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de mettre en œuvre d’ici le 31 décembre 2015 l’ensemble des recommandations suivantes :
- Retenir, dans le cadre des appels de propositions, les services des organismes francophones, principalement, pour l’offre de services et d’accompagnement aux nouveaux arrivants d’expression française.
- Élaborer une stratégie et des outils pré-départ en français à l’intention des candidats d’expression française désirant s’établir dans une communauté francophone à l’extérieur du Québec.
- Mettre en place un mécanisme qui permette de s’assurer que, dans leurs échanges avec le gouvernement, avant et après leur arrivée au Canada, les nouveaux arrivants d’expression française sont informés de façon systématique de la présence de services, de ressources et d’organismes francophones dans leur région d’accueil.
- Développer, en collaboration avec les provinces et les territoires, un plan d’action concret assorti de cibles en immigration francophone et d’un échéancier pour accroître les efforts en vue de mieux réaliser l’objectif du Programme des candidats des provinces visant à stimuler la croissance des communautés de langue officielle.
- Élaborer des outils et des incitatifs durables à l’intention des employeurs canadiens pour favoriser le recrutement et la sélection de travailleurs d’expression française et bilingues à l’extérieur du Québec et ainsi pallier les retards qu’ont connus les communautés francophones en termes d’immigration.
- Rendre compte des incidences ou des incidences anticipées des modifications apportées au système d’immigration canadien, incluant l’Entrée express, sur l’immigration dans les communautés francophones.
- Rendre compte du travail réalisé par Citoyenneté et Immigration Canada pour donner suite à toutes ces recommandations.
Immigration anglophone au Québec
L’immigration anglophone : portrait de la situation
Aujourd’hui comme hier, le Québec constitue le foyer de l’Amérique française. Nul autre endroit en Amérique du Nord n’abrite un aussi grand nombre de francophones : en 2011, près de 6,7 millions de personnes, soit 86 % des Québécois, avaient le français comme première langue officielle parlée22. Et aucun autre n’a le français comme unique langue officielle.
La langue et la culture françaises donnent indéniablement un caractère unique au Québec, mais on aurait tort de croire que la langue et la culture anglaises y sont étrangères. La présence d’anglophones sur le territoire québécois remonte en effet à plus de 250 ans, conséquence de la signature du Traité de Paris, qui a fait de la Nouvelle-France une colonie britannique.
Le rapport de Citoyenneté et Immigration Canada Portrait statistique des immigrants anglophones au Québec, qui présente les données du Recensement de 2006, est la plus récente publication sur les immigrants anglophones23. En 2006, un peu plus de la moitié ( 53 % ) des Québécois anglophones nés au Canada et près des trois quarts ( 73 % ) des immigrants anglophones vivaient à Montréal. Des proportions importantes de la population anglophone, tant immigrante que non immigrante, se trouvaient en Montérégie, avec 11 % et 16 % respectivement, à Laval, avec 8 % et 7 %, et en Outaouais, avec 3 % et 8 %24.
Le rapport s’est également penché sur les immigrants dont la première langue officielle parlée est l’anglais et ceux dont la première langue officielle parlée est « français-anglais ». Il a montré que ceux dont la première langue officielle parlée est l’anglais étaient généralement plus âgés, installés dans la vie et qu’ils étaient moins susceptibles de connaître les deux langues officielles ou d’avoir une langue maternelle autre que l’anglais ou le français. Ils étaient également plus souvent qu’autrement originaires d’Asie du Sud ou de Chine, tandis que les immigrants ayant « français-anglais » comme première langue officielle parlée étaient plus nombreux à avoir des origines latines ou arabes. Si de nombreux facteurs sont associés au statut socio-économique, il semble que les immigrants ayant « français-anglais » comme première langue officielle parlée avaient un niveau d’éducation et un taux d’emploi supérieurs, mais un revenu médian d’emploi inférieur 25 .
Le rapport met aussi en évidence la diversité de la population immigrante de langue anglaise dans l’ensemble du Québec et dans ses diverses régions économiques. Ainsi, il indique des écarts importants entre les régions quant au nombre d’immigrants anglophones bilingues26. Puisque la connaissance des deux langues officielles peut s’acquérir au fil des ans, il est intéressant de constater que plus de la moitié des immigrants anglophones27 ont immigré avant 1991, le quart entre 1991 et 2000 et un cinquième entre 2001 et 200628.
« Seul le Québec a été caractérisé par une progression relativement soutenue à chaque période entre 1961 et 201129.
» En 2011, la proportion de Québécois anglophones bilingues était de 61 %, comparativement à 6 % chez les anglophones du reste du Canada, et 87 % des francophones hors du Québec étaient bilingues, comparativement à 38 % des Québécois francophones30.
L’immigration et les communautés anglophones : des défis particuliers
Jusqu’à un certain point, les difficultés que connaissent les communautés anglophones du Québec en matière d’immigration sont similaires à celles que doivent surmonter les communautés francophones du reste du pays. En effet, certaines ont de la difficulté à attirer un nombre suffisant d’immigrants anglophones pour pallier leur faible taux de natalité et l’exode des jeunes, et pour revitaliser leurs institutions à long terme.
Par exemple, ensemble, les communautés anglophones de l’Est et du Nord du Québec regroupent 5 % des anglophones de la province, mais seulement 1 % des immigrants anglophones s’y sont établis24.
Les communautés anglophones sont cependant aux prises avec quatre autres défis dont la nature n’est pas purement démographique, quatre situations qui entravent leur renouveau et nuisent à leur vitalité.
Premièrement, la contribution des Québécois d’expression anglaise et des immigrants anglophones n’est pas toujours perçue à sa juste valeur au Québec. En réalité, les anglophones aident la province à tirer son épingle du jeu dans tous les secteurs d’activité. Par exemple, le Québec compte 2,2 fois plus d’entrepreneurs anglophones que francophones31. Cinq des dix principales découvertes scientifiques québécoises en 2013 sont attribuables à des chercheurs qui ont l’anglais comme première langue officielle parlée32. Et des artistes anglophones issus de l’immigration, comme David Homel ou Rawi Hage, font rayonner la culture québécoise et le Québec tout entier par leurs traductions ou leurs créations originales.
Deuxièmement, trop d’anglophones quittent chaque année le Québec pour s’établir ailleurs au Canada ou à l’étranger — parmi eux, une personne sur huit est un immigrant33. Leur départ affaiblit considérablement les communautés anglophones dont ils sont issus, de même que le Québec tout entier, puisque beaucoup d’entre eux sont plus jeunes et plus scolarisés que la moyenne des Québécois, et un plus grand pourcentage d’entre eux sont bilingues.
Troisièmement, les communautés anglophones sont dotées d’organismes capables d’offrir un soutien de qualité aux immigrants anglophones. Toutefois, ces organismes ne jouissent d’aucune reconnaissance officielle de la part de l’État québécois. Ils n’ont donc pas toutes les ressources requises pour fournir à certains immigrants anglophones l’aide qui leur permettrait d’améliorer leur connaissance du français et du Québec, et de participer pleinement à son essor.
Finalement, des ressources relativement importantes et stables sont consacrées par Citoyenneté et Immigration Canada à l’étude de la question de l’immigration francophone, mais ce n’est pas le cas en ce qui a trait à l’immigration anglophone. Résultat : on sait relativement peu de choses sur le sujet, ce qui nuit à la capacité des acteurs concernés par cette situation problématique de prendre des décisions éclairées.
Mesures gouvernementales relatives à l’immigration au Québec
Les changements récents que le gouvernement fédéral a apportés au système d’immigration du Canada ne s’appliqueront pas au Québec. En vertu de l’entente Cullen-Couture, de 1978, et de l’ Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, de 1991, le Québec est en effet seul responsable de la sélection, de l’accueil et de l’intégration linguistique et culturelle de la vaste majorité des immigrants qui s’installent sur son territoire. Il est aussi seul à décider du nombre d’immigrants qui seront admis chaque année.
L’entente Cullen-Couture avait pour objectifs de préserver le poids démographique du Québec au sein de la Confédération et d’assurer que l’arrivée d’immigrants se fasse dans le respect du caractère unique de cette province. Si ces objectifs ont largement été atteints, il est indéniable, juge le Comité sénatorial permanent des langues officielles, que « les lois et politiques en vigueur limitent le recrutement et la rétention d’immigrants et de nouveaux arrivants au sein des communautés anglophones du Québec 34
».
La ville de Québec : un exemple à suivre pour dynamiser les communautés anglophones
Pour résoudre les difficultés relevées plus haut, il faudra que tous les acteurs concernés par la question de l’immigration anglophone travaillent en collaboration. L’exemple de la ville de Québec donne un bon aperçu du travail à accomplir pour que les communautés et les immigrants anglophones puissent contribuer pleinement à la société québécoise et s’y épanouir.
Dans les années 2000, des acteurs économiques clés de Québec, comme la Chambre de commerce et d’industrie et le Parc technologique, se sont alliés à des organismes anglophones locaux, tels Voice of English-speaking Quebec et le Comité d’employabilité et de développement économique communautaire Québec-Chaudière-Appalaches, et à des institutions gouvernementales, comme Emploi Québec et Industrie Canada, pour créer le Comité Québec multilingue. Le Comité avait pour mission de faire du bilinguisme et du multilinguisme une priorité et de valoriser la présence de milliers d’anglophones et d’allophones dans la capitale et ses environs.
Voice of English-speaking Quebec
Voice of English-speaking Quebec aide les anglophones nouvellement arrivés à Québec à apprendre le français, à s’adapter en douceur à la culture québécoise et à se trouver un emploi ou à fonder une entreprise. « Les ressources consacrées à l’intégration [des anglophones] sont limitées dans la région
», déplore le directeur de l’organisme, Jean-Sébastien Gignac. Grâce au partenariat conclu entre Voice of English-speaking Quebec et la Ville de Québec, « on est quand même passés d’un programme [d’appui] passif à un programme proactif35
».
Le Comité a mis fin à ses activités en 2012, mais les efforts qu’il a déployés se sont perpétués. Ainsi, Puissance Onze, un regroupement de compagnies d’assurance de Québec et de Lévis dont 40 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’extérieur du Québec, continue de mettre l’accent sur l’importance de la connaissance du français et de l’anglais parmi les travailleurs de ce secteur. Cet organisme sans but lucratif cherche aussi à attirer de nouveaux arrivants bilingues dans la grande région de Québec.
La Ville de Québec est aussi déterminée à communiquer aux migrants et aux immigrants anglophones, particulièrement aux plus qualifiés d’entre eux, qu’ils sont les bienvenus à Québec. Pour que les 400 à 500 anglophones qui arrivent chaque année dans cette région s’y intègrent avec succès, la Ville veille notamment à briser leur isolement et à faciliter leur recherche d’emploi en les mettant en contact avec des partenaires communautaires, comme Voice of English-speaking Quebec.
Le maire de Québec s’engage en faveur du bilinguisme
« Il ne s’en fait pas assez en matière de bilinguisme à Québec, regrette le maire Régis Labeaume. J’ai le goût de m’investir là-dedans pour faire en sorte que les gens soient plus bilingues. Autant on demande aux gens de bien parler français, autant il faut être bilingue. Tous les employeurs me disent qu’on n’a pas suffisamment de gens bilingues à Québec36.
»
Le maire de Québec, Régis Labeaume, rappelait à l’occasion d’un forum sur l’intégration des nouveaux arrivants anglophones, coorganisé par son administration en septembre 2014, que beaucoup de membres de la communauté anglophone ne choisiront de s’installer à Québec que s’ils s’y sentent respectés. Cette conviction a amené M. Labeaume à poser des gestes hautement symboliques ces dernières années. Il a, entre autres, relancé le défilé de la Saint-Patrick après 84 ans d’absence.
En conclusion du forum sur l’intégration, la maire suppléante de Québec, Michelle Morin-Doyle, a souligné l’importance de valoriser la communauté anglophone en raison de la richesse qu’elle représente pour la capitale.
Le Commissariat aux langues officielles et l’immigration anglophone
Le commissaire est souvent intervenu sur la place publique pour rappeler que l’anglais et les Anglo-Québécois ont leur place au Québec. Il a aussi profité de certaines tribunes pour souligner qu’il serait important que les communautés anglophones obtiennent des ressources pour continuer à travailler à l’intégration des immigrants anglophones.
Pour que cela se réalise, le Commissariat a adopté sa stratégie d’intervention en immigration pour les communautés anglophones du Québec 2013-2016. Cette stratégie vise surtout à améliorer la perception que la majorité francophone du Québec a de la contribution des communautés et des immigrants anglophones.
En ce sens, le commissaire a entrepris et compte mener des discussions avec les gouvernements du Québec et du Canada, certaines municipalités québécoises, les organisations québécoises de soutien aux immigrants, les organismes communautaires anglophones et des leaders d’opinion francophones.
Recommandation 2
En 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a annoncé l’octroi d’un financement, dans le cadre de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018 : éducation, immigration, communautés, pour la réalisation de recherches sur l’immigration dans les communautés anglophones du Québec. Afin qu’elles puissent bénéficier pleinement de cet investissement, ces communautés ont besoin d’un processus de financement souple et transparent qui répond à leurs besoins et à leurs priorités de recherche.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration :
- d’apporter les modifications nécessaires afin que le processus d’octroi de financement destiné aux projets de recherche prioritaires déterminés par les communautés anglophones du Québec soit souple, transparent et sensible à leurs besoins;
- de rendre compte des mesures prises à cet égard d’ici le 31 mai 2016.
Recommandation 3
Dans son bilan des langues officielles de 2013-2014, le Secrétariat des langues officielles de Citoyenneté et Immigration Canada présente quelques exemples de collaboration avec les communautés anglophones du Québec. Le commissaire aux langues officielles loue les efforts déployés en ce sens.
À l’instar des institutions fédérales, Citoyenneté et Immigration Canada doit veiller, en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, à prendre des mesures positives en vue de favoriser la vitalité des communautés de langue officielle.
En vertu de l’ Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, le Québec est responsable de la prestation des services d’accueil et d’intégration dans la province.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration :
- d’établir clairement les mesures qu’il entend prendre pour favoriser la vitalité des communautés anglophones du Québec par l’entremise de l’immigration;
- de nouer le dialogue avec le gouvernement du Québec au sujet de l’accroissement de la vitalité de ces communautés;
- de rendre compte de ces mesures d’ici le 31 mai 2016.
Chapitre 2 - Conformité
Le commissaire aux langues officielles est l’ombudsman du Canada en matière de droits linguistiques. Il reçoit les plaintes des citoyens, les examine et intervient auprès des institutions fédérales pour les amener à corriger les lacunes qui nuisent au respect des droits linguistiques établis par la Loi sur les langues officielles.
Le commissaire effectue des vérifications pour évaluer dans quelle mesure les institutions fédérales, choisies en fonction de leur importance ou de leurs activités, s’acquittent de leurs obligations linguistiques en vertu de la Loi. Il réalise ensuite des suivis pour vérifier la mise en œuvre des recommandations qu’il a formulées à l’issue de ces vérifications.
Enfin, le commissaire intervient parfois devant les tribunaux pour protéger les droits linguistiques des Canadiens.
Le rapport annuel 2013-2014 portait entièrement sur la conformité des institutions fédérales à la Loi. Puisque la publication du rapport annuel 2014-2015 a été avancée au printemps, le présent chapitre s’en tient à un aperçu des plaintes que le commissaire a reçues cette année, aux vérifications qu’il a menées et aux recours judiciaires auxquels il a participé. Le rapport annuel 2015-2016 comprendra une analyse détaillée de la conformité, notamment au moyen de multiples bulletins de rendement qui dresseront un portrait des progrès à ce chapitre au sein des institutions fédérales.
Les plaintes
Analyse des plaintes reçues en 2014-2015
Pendant l’exercice 2014-2015, le Commissariat aux langues officielles a reçu 550 plaintes jugées recevables ( tableau 1 ). Il s’agit d’une augmentation de 74 plaintes par rapport à l’exercice 2013-2014. Les plaintes relatives à la partie IV de la Loi, Communications avec le public et prestation des services, sont les plus nombreuses. Elles représentent 58 % des plaintes reçues cette année.
La partie ontarienne de la région de la capitale nationale a fait l’objet du plus grand nombre de plaintes (193) en 2014-2015. Parmi les provinces et les territoires, l’Ontario (sans la région de la capitale nationale) est le plus souvent visé, avec 78 plaintes. La situation demeure donc inchangée par rapport à 2013-2014.
En 2014-2015, le Commissariat a reçu deux fois plus de plaintes de l’extérieur du Canada (12) qu’en 2013-2014 (5). Ces 12 plaintes concernent la partie IV de la Loi, et 8 d’entre elles mettent en cause Air Canada. De même, les plaintes provenant de l’Alberta ont triplé cette année (28) comparativement à 2013-2014 (9). De ces plaintes, 15 portent sur la partie IV et 12, sur la partie VII. De plus, 11 des 12 plaintes portant sur la partie VII visent l’Office national de l’énergie. Enfin, en Saskatchewan, des 16 plaintes reçues, la plupart portent sur la partie IV, dont 12 concernent l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien.
Service au public (Partie IV) | Langue de travail (Partie V) | Participation équitable (Partie VI) | Promotion du français et de l'anglais (Partie VII) | Exigences linguistiques ( Partie XI, article 91 ) | Autres parties ou articles | Total | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Terre-Neuve-et-Labrador | 9 | 0 | 0 | 2 | 1 | 0 | 12 |
Île-du-Prince-Édouard | 4 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 4 |
Nouvelle-Écosse | 11 | 0 | 0 | 0 | 1 | 1 | 13 |
Nouveau-Brunswick | 24 | 15 | 2 | 0 | 1 | 0 | 42 |
Québec | 36 | 16 | 1 | 0 | 1 | 2 | 56 |
Région de la capitale nationale (Québec)) | 25 | 24 | 3 | 0 | 11 | 1 | 64 |
Région de la capitale nationale (Ontario) | 95 | 54 | 2 | 12 | 27 | 3 | 193 |
Ontario | 54 | 12 | 3 | 3 | 3 | 3 | 78 |
Manitoba | 9 | 4 | 0 | 0 | 0 | 0 | 13 |
Saskatchewan | 15 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 16 |
Alberta | 15 | 1 | 0 | 12 | 0 | 0 | 28 |
Colombie-Britannique | 11 | 0 | 0 | 7 | 0 | 0 | 18 |
Yukon | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 0 | 1 |
Territoires du Nord-Ouest | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Nunavut | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
À l’extérieur du Canada | 12 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 12 |
Total | 320 | 126 | 11 | 37 | 45 | 11 | 550 |
Plaintes recevables (2011-2012 à 2014-2015)
Le tableau 2 montre que le nombre de plaintes recevables relatives à la partie IV de la Loi a diminué au cours de la période du 1 er avril 2011 au 31 mars 2013. Toutefois, on observe une augmentation depuis ce temps. Année après année, la majorité des plaintes recevables concerne cette partie.
Il importe de noter que le nombre de plaintes concernant la partie V de la Loi, Langue de travail, est à la hausse.
2011–2012 | 2012–2013 | 2013–2014 | 2014–2015 | |
---|---|---|---|---|
Service au public (Partie IV) | 341 | 252 | 282 | 320 |
Langue de travail (Partie V) | 79 | 83 | 103 | 126 |
Participation équitable (Partie VI) | 1 | 6 | 13 | 11 |
Promotion du français et de l'anglais (Partie VII) | 45 | 39 | 30 | 37 |
Exigences linguistiques ( Partie XI, article 91) | 42 | 30 | 44 | 45 |
Autres parties ou articles | 10 | 5 | 4 | 11 |
Total | 518 | 415 | 476 | 550 |
Le tableau 3 présente l’évolution du nombre de plaintes au cours des quatre dernières années. On constate, par exemple, qu’en 2014-2015, le nombre de plaintes provenant de l’Alberta a été beaucoup plus élevé que pour chacune des trois années précédentes. Il s’agit de la province qui a connu la plus grande augmentation du nombre de plaintes. À l’inverse, le nombre de plaintes provenant de la Nouvelle-Écosse et du Manitoba sont en baisse depuis 2011-2012.
2011–2012 | 2012–2013 | 2013–2014 | 2014–2015 | |
---|---|---|---|---|
Terre-Neuve-et-Labrador | 11 | 8 | 18 | 12 |
Île-du-Prince-Édouard | 3 | 3 | 4 | 4 |
Nouvelle-Écosse | 33 | 9 | 8 | 13 |
Nouveau-Brunswick | 36 | 24 | 31 | 42 |
Québec | 55 | 70 | 59 | 56 |
Région de la capitale nationale (Québec) | 49 | 49 | 37 | 64 |
Région de la capitale nationale (Ontario) | 200 | 152 | 182 | 193 |
Ontario | 77 | 52 | 75 | 78 |
Manitoba | 25 | 20 | 20 | 13 |
Saskatchewan | 2 | 2 | 8 | 16 |
Alberta | 13 | 9 | 9 | 28 |
Colombie-Britannique | 7 | 8 | 19 | 18 |
Yukon | 0 | 0 | 0 | 1 |
Territoires du Nord-Ouest | 1 | 0 | 1 | 0 |
Nunavut | 0 | 0 | 0 | 0 |
À l’extérieur du Canada | 6 | 9 | 5 | 12 |
Total | 518 | 415 | 476 | 550 |
Les vérifications
En 2014-2015, le Commissariat a fait le suivi de deux vérifications, réalisées en 2010 et en 2011 auprès d’Air Canada et d’Industrie Canada, respectivement.
Air Canada
En 2010, le Commissariat a réalisé une vérification des façons de faire d’Air Canada pour offrir à ses passagers des services de qualité égale, en français et en anglais. Le rapport de vérification comportait 12 recommandations visant à permettre au transporteur de mieux se conformer à la partie IV de la Loi, qui concerne les communications avec le public et la prestation des services.
Le suivi de la vérification que le Commissariat a terminé en 2014 révèle que le transporteur n’a mis en œuvre de façon satisfaisante qu’une seule de ces 12 recommandations.
D’une part, Air Canada a ignoré cinq des recommandations du commissaire. Par exemple, il n’a pas revu, comme il aurait dû le faire, la manière dont il signale aux passagers leur droit d’utiliser la langue officielle de leur choix dans les diverses aires de service. Résultat : les problèmes qui ont été cernés en 2010 persistent encore aujourd’hui, tels que des écriteaux dans une seule langue officielle, des pictogrammes placés aux mauvais endroits ou encore non existants.
D’autre part, Air Canada n’a que partiellement appliqué les six autres recommandations. Par exemple, le transporteur n’a pas mis en place tous les mécanismes de surveillance permanents qui lui permettraient de veiller à la disponibilité de services en français et en anglais de qualité partout où celle-ci s’impose.
En fait, la seule recommandation pleinement appliquée par Air Canada portait sur l’importance d’élaborer et de communiquer au personnel une directive ou une politique relative à l’ensemble des responsabilités du transporteur en matière de prestation de services bilingues.
Les lacunes relevées dans le suivi de vérification ont amené le commissaire à réitérer, à Air Canada, la nécessité de se doter, dans les plus brefs délais, de mesures visant à régler les lacunes concernant les langues officielles. Le transporteur devra notamment définir les objectifs linguistiques que devront atteindre ses cadres supérieurs et ses gestionnaires, préciser de quelle façon les employés de première ligne seront mis au courant de leurs obligations en matière d’offre active et de prestation de services bilingues, et établir de quelle manière il augmentera sa capacité à respecter les droits linguistiques des voyageurs. Air Canada devra aussi définir des mécanismes de surveillance de son rendement en matière de langues officielles.
Somme toute, beaucoup de travail reste à faire pour que le transporteur se conforme pleinement à la Loi. Air Canada doit donc mettre en œuvre sans tarder les onze recommandations partiellement ou non mises en œuvre afin de disposer de tous les outils et mécanismes qui lui permettront de satisfaire pleinement à ses obligations linguistiques.
Industrie Canada
En 2012, le Commissariat a publié un rapport de vérification dans lequel il examinait les mesures prises par Industrie Canada pour soutenir le développement des communautés de langue officielle du pays. Ce rapport contenait six recommandations.
Le suivi de vérification que le Commissariat a réalisé en 2014 révèle qu’Industrie Canada a complètement ou partiellement mis en œuvre ces recommandations. En effet, cette institution a pris des mesures proactives et systémiques pour encourager la participation des communautés de langue officielle à l’élaboration des programmes qui les concernent.
Industrie Canada devra cependant chercher à mieux soutenir l’avancement du français et de l’anglais dans la société canadienne en incluant, dans son plan d’action sur les langues officielles, des projets portant spécifiquement sur la promotion de la dualité linguistique. Toujours dans ce but, l’institution devra établir une démarche structurée et coordonnée afin que son personnel des bureaux régionaux consulte régulièrement les représentants des communautés de langue officielle.
Autres vérifications
En 2014-2015, le Commissariat a poursuivi des vérifications auprès d’Élections Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Il a aussi entamé un suivi de la vérification de Parcs Canada réalisée en 2012.
La vérification auprès d’Élections Canada vise à déterminer si l’institution a pris des mesures en vue d’offrir des services de qualité égale aux électeurs francophones et anglophones. Elle vise aussi à établir si cet organisme indépendant planifie ses campagnes de recrutement de personnel en tenant compte du potentiel que représente le fort niveau de bilinguisme parmi les membres des communautés de langue officielle.
La vérification à l’Agence des services frontaliers du Canada permettra de déterminer la manière dont elle se conforme, aux postes d’entrée dans les aéroports internationaux ainsi qu’aux frontières terrestres du pays, aux obligations que lui confère la partie IV de la Loi.
La vérification au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada vise à établir de quelle façon cet organisme s’est acquitté, lors de l’examen stratégique et fonctionnel de 2011-2012, des responsabilités que la partie VII de la Loi lui attribue en matière de développement des communautés de langue officielle.
Finalement, le suivi de la vérification entrepris chez Parcs Canada servira à déterminer de quelle façon cette institution a appliqué les neuf recommandations que le commissaire a formulées à son intention en 2012. Ces recommandations portaient sur divers sujets, tels que l’évaluation des compétences linguistiques des employés de Parcs Canada et la prise en compte des besoins des communautés de langue officielle.
Recours judiciaires
Pour assurer la protection des droits linguistiques des Canadiens, le commissaire a joué un rôle important devant les tribunaux, en agissant comme partie à certaines instances.
En 2014-2015, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada ont toutes deux rendu des jugements importants dans des affaires auxquelles a participé le commissaire.
Thibodeau c Air Canada37
En 2009, Michel et Lynda Thibodeau ont fait deux voyages internationaux au cours desquels ils n’ont pas réussi à se faire servir en français par le personnel de la compagnie aérienne Jazz, transporteur contractuel d’Air Canada.
Dans l’affaire Thibodeau c Air Canada portée devant la Cour suprême du Canada, il n’a pas été contesté que le transporteur aérien avait violé les droits linguistiques prévus à la partie IV de la Loi, qui concerne les communications avec le public et la prestation des services. En effet, les procédures visaient uniquement à déterminer la réparation appropriée.
Dans le jugement qu’elle a prononcé, la plus haute cour du Canada a reconfirmé le statut quasi constitutionnel de la Loi, y compris de sa partie X, qui prévoit l’exercice d’un recours judiciaire. Toutefois, la Cour suprême a souligné que, en l’espèce, il y avait chevauchement entre la Loi et la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (la Convention de Montréal), traité qui établit le régime de responsabilité applicable aux vols internationaux. Elle a déclaré que, puisque la Convention de Montréal interdit le recours en dommages-intérêts, sauf dans la mesure où elle le prévoit, les tribunaux canadiens ne peuvent accorder une indemnité en cas de violations à la Loi commises par Air Canada sur ses vols internationaux.
Cela dit, les tribunaux pourraient néanmoins ordonner à Air Canada de verser une indemnité si le transporteur ne se conforme pas à la Loi dans d’autres circonstances, notamment durant des vols intérieurs. De plus, il est possible d’intenter des recours non pécuniaires contre Air Canada lorsque celui-ci ne remplit pas ses obligations linguistiques au cours de vols internationaux.
Le Commissaire aux langues officielles du Canada et Dr Karim Amellal c CBC/Radio-Canada38
En 2009-2010, le commissaire a reçu 876 plaintes concernant la décision de CBC/Radio-Canada de procéder à des compressions budgétaires visant CBEF Windsor, une station radio de langue française du Sud de l’Ontario. En 2010-2011, la réaction du radiodiffuseur à ces plaintes liées à la partie VII de la Loi, qui concerne la promotion du français et de l’anglais, a incité le commissaire et un représentant de la communauté francophone de Windsor à intenter un recours devant la Cour fédérale.
En septembre 2014, la Cour fédérale a confirmé que le commissaire avait compétence pour faire enquête sur les plaintes en matière linguistique déposées contre CBC/Radio-Canada sous le régime de la Loi, notamment en vertu de la partie VII. Le diffuseur public a donc l’obligation de collaborer avec le commissaire dans les enquêtes futures, puisque « la Constitution, la [ Loi ] et le principe constitutionnel de protection des minorités ne tolèrent pas qu’un agent de Sa Majesté invoque une immunité quelconque39
».
La décision a également établi que les obligations découlant de la émoignent de la volonté du Parlement de reconnaître pleinement l’égalité du français et de l’anglais, et de favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle. Selon la Cour, il s’agissait d’un « impératif catégorique, non négociable40 » pour CBC/Radio-Canada et les autres institutions fédérales.
Le jugement constitue une étape importante pour la dualité linguistique, car c’est la première fois que la Cour fédérale déclare que les institutions fédérales doivent non seulement favoriser le développement des communautés de langue officielle, mais aussi « agir de façon à ne pas nuire au développement et à l’épanouissement des minorités anglophones et francophones du Canada41
».
CBC/Radio-Canada en a appelé de ce jugement en Cour d’appel fédérale.
En bref
Les décisions rendues dans les recours judiciaires témoignent, une fois de plus, de l’importance de la Loi sur les langues officielles. Si la Cour suprême a rappelé, dans l’affaire Thibodeau c Air Canada , que la Loi a un statut quasi constitutionnel, la Cour fédérale a conclu, dans l’affaire Le Commissaire aux langues officielles du Canada et Dr Karim Amellal c CBC/Radio-Canada , que la partie VII de la Loi est un impératif catégorique, non négociable.
Malheureusement, certaines institutions fédérales ne prennent pas toutes les mesures à leur portée pour respecter la Loi et les droits linguistiques qui y sont définis.
Pour satisfaire à l’ensemble de leurs obligations linguistiques, les institutions fédérales doivent planifier leurs actions, sensibiliser et former leur personnel, et analyser régulièrement les résultats des mesures adoptées. Surtout, elles doivent faire preuve de bonne volonté et d’une solide détermination.
Si le succès sourit aux audacieux, il vient aussi, en matière de respect des langues officielles comme ailleurs, à ceux qui travaillent sans relâche à l’atteinte des objectifs qu’ils se sont donnés.
Conclusion
Parce qu’elle marquera l’entrée en vigueur du système Entrée express, dans le cadre de la politique d’immigration du gouvernement fédéral, parce qu’un événement international d’envergure, les Jeux panaméricains et parapanaméricains, se tiendra en juillet 2015, à Toronto, et parce que les préparatifs en vue du 150 anniversaire de la Confédération se multiplieront, l’année 2015 sera à surveiller de près sur le plan de la dualité linguistique.
Pour que les communautés de langue officielle tirent avantage, elles aussi, de l’immigration, pour que le français et l’anglais jouissent d’une présence égale durant les Jeux panaméricains et parapanaméricains, et pour que les deux langues officielles prennent leur place dans la trame historique présentée durant les festivités en 2017, les institutions fédérales devront s’efforcer de traiter la dualité linguistique comme une valeur fondamentale du Canada.
Concrètement, elles gagneront à appliquer les recommandations formulées dans le rapport sur l’immigration que le Comité sénatorial permanent des langues officielles a déposé en 2014-2015, celles du rapport commun sur l’immigration francophone du commissaire aux services en français de l’Ontario et du commissaire aux langues officielles du Canada, ainsi que celles du commissaire Fraser dans le présent rapport annuel en vue de soutenir les communautés anglophones du Québec.
Les institutions fédérales devront aussi suivre, du début à la fin des Jeux panaméricains et parapanaméricains, les conseils énoncés dans le document L’organisation d’un événement sportif d’envergure au Canada : guide pratique pour mettre en valeur les langues officielles. Finalement, en vue des festivités menant au 150 anniversaire de la Confédération, elles devront s’assurer de mettre en œuvre les pratiques exemplaires décrites dans Canada en fête : guide pour réussir un événement bilingue.
Les langues officielles constituent un outil formidable dont le Canada peut tirer profit chez lui comme à l’étranger. Il faut espérer que les défis qui se profilent à l’horizon serviront de tremplin vers un renforcement de la place du français et de l’anglais dans notre société et, ultimement, celui de notre pays.
Recommendations
Recommandation 1
Dans leur rapport commun sur l’immigration francophone, intitulé Agir maintenant pour l’avenir des communautés francophones : Pallier le déséquilibre en immigration, publié en novembre 2014, le commissaire aux langues officielles du Canada et le commissaire aux services en français de l’Ontario ont présenté sept recommandationsNote de bas de page21 au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dont la mise en œuvre favorisera l’atteinte des cibles en immigration. Le commissaire aux langues officielles voudrait réitérer ces recommandations.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de mettre en œuvre d’ici le 31 décembre 2015 l’ensemble des recommandations suivantes :
- Retenir, dans le cadre des appels de propositions, les services des organismes francophones, principalement, pour l’offre de services et d’accompagnement aux nouveaux arrivants d’expression française.
- Élaborer une stratégie et des outils pré-départ en français à l’intention des candidats d’expression française désirant s’établir dans une communauté francophone à l’extérieur du Québec.
- Mettre en place un mécanisme qui permette de s’assurer que, dans leurs échanges avec le gouvernement, avant et après leur arrivée au Canada, les nouveaux arrivants d’expression française sont informés de façon systématique de la présence de services, de ressources et d’organismes francophones dans leur région d’accueil.
- Développer, en collaboration avec les provinces et les territoires, un plan d’action concret assorti de cibles en immigration francophone et d’un échéancier pour accroître les efforts en vue de mieux réaliser l’objectif du Programme des candidats des provinces visant à stimuler la croissance des communautés de langue officielle.
- Élaborer des outils et des incitatifs durables à l’intention des employeurs canadiens pour favoriser le recrutement et la sélection de travailleurs d’expression française et bilingues à l’extérieur du Québec et ainsi pallier les retards qu’ont connus les communautés francophones en termes d’immigration.
- Rendre compte des incidences ou des incidences anticipées des modifications apportées au système d’immigration canadien, incluant l’Entrée express, sur l’immigration dans les communautés francophones.
- Rendre compte du travail réalisé par Citoyenneté et Immigration Canada pour donner suite à toutes ces recommandations.
Recommandation 2
En 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a annoncé l’octroi d’un financement, dans le cadre de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018 : éducation, immigration, communautés, pour la réalisation de recherches sur l’immigration dans les communautés anglophones du Québec. Afin qu’elles puissent bénéficier pleinement de cet investissement, ces communautés ont besoin d’un processus de financement souple et transparent qui répond à leurs besoins et à leurs priorités de recherche.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration :
- d’apporter les modifications nécessaires afin que le processus d’octroi de financement destiné aux projets de recherche prioritaires déterminés par les communautés anglophones du Québec soit souple, transparent et sensible à leurs besoins;
- de rendre compte des mesures prises à cet égard d’ici le 31 mai 2016.
Recommandation 3
Dans son bilan des langues officielles de 2013-2014, le Secrétariat des langues officielles de Citoyenneté et Immigration Canada présente quelques exemples de collaboration avec les communautés anglophones du Québec. Le commissaire aux langues officielles loue les efforts déployés en ce sens.
À l’instar des institutions fédérales, Citoyenneté et Immigration Canada doit veiller, en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, à prendre des mesures positives en vue de favoriser la vitalité des communautés de langue officielle.
En vertu de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains, le Québec est responsable de la prestation des services d’accueil et d’intégration dans la province.
Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration :
- d’établir clairement les mesures qu’il entend prendre pour favoriser la vitalité des communautés anglophones du Québec par l’entremise de l’immigration;
- de nouer le dialogue avec le gouvernement du Québec au sujet de l’accroissement de la vitalité de ces communautés;
- de rendre compte de ces mesures d’ici le 31 mai 2016.