Table des matières
1.0 Introduction
Le présent rapportNote de bas de page 1 décrit les principaux constats de huit groupes de discussion ciblés, constitués de personnes travaillant au sein de la fonction publique fédérale du Canada, en avril et mai 2023. Durant les échanges, les participants aux groupes de discussion ont abordé plusieurs thèmes liés à l’utilisation des langues officielles (le français et l’anglais) en milieu de travail virtuel (le télétravail, c’est-à-dire entièrement en virtuel, et le travail hybride, partiellement en virtuel), notamment l’insécurité linguistique.
En mars 2019, l’insécurité linguistique dans la fonction publique fédérale a fait l’objet d’un sondage exploratoire auprès d’environ 11 000 fonctionnaires, qui a été mené par le Commissariat aux langues officielles (le Commissariat) et le cabinet de recherche PRA inc. Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis, le Commissariat souhaitait consulter de nouveau un petit groupe de fonctionnaires fédéraux dont les expériences reflétaient, dans l’ensemble, quelques-unes des difficultés associées à l’insécurité linguistique dans l’étude initiale. Dans ce contexte, les groupes de discussion tenus cette année permettent d’ajouter de nouvelles perspectives reflétant les changements profonds dans l’organisation du travail qui ont découlé de la pandémie de COVID-19.
2.0 Sommaire de la méthodologie
Les objectifs de la présente étude de suivi sont les suivants :
- Continuer d’explorer le phénomène de l’insécurité linguistique et de faire avancer la discussion sur le sujet.
- Mieux comprendre comment la pandémie de COVID-19 et, encore plus précisément, le télétravail et le modèle hybride ont influencé et influencent encore le phénomène de l’insécurité linguistique, et déterminer des stratégies potentielles pour faire face à cette question dans le contexte du télétravail et du milieu de travail hybride.
- Selon le cas, déterminer des pistes d’avenir, y compris des recommandations, afin d’influencer les décisions des hauts fonctionnaires au sein de la fonction publique fédérale.
Les groupes de discussion ont été formés de façon à tenir compte d’une variété de contextes et de perspectives de personnes qui affirment éprouver des difficultés liées à l’usage de l’une ou l’autre langue en milieu de travail ou qui ont un intérêt particulier à utiliser l’une ou l’autre langue officielle plus souvent.
Les participants ont été sélectionnés parmi les 2 100 répondants du sondage de 2019 qui étaient situés dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail et qui avaient manifesté leur intérêt pour des suivis. Un plus petit nombre de participants ont aussi été sélectionnés à partir d’une liste d’environ 50 personnes situées dans les diverses régions unilingues. Voici les critères utilisés pour former chacun des différents groupes de discussion :
- points de vue (francophones, anglophones, membres des groupes visés par l’équité en emploi, employés des diverses régions, personnes de différents genres, etc.);
- réalités du milieu de travail (langue utilisée dans le milieu de travail, région bilingue ou unilingue, niveau de compétence en langue seconde, etc.);
- scénarios (personnes qui se sont dites mal à l’aise d’utiliser leur première ou leur seconde langue officielle, le français ou l’anglais, ou, encore, qui souhaitent utiliser plus souvent la langue de la minorité dans leur milieu de travail).
Environ 800 personnes figurant sur une liste restreinte initiale ont été contactées, et 180 d’entre elles ont manifesté leur intérêt potentiel. En fonction de ces réponses, des listes restreintes ont ensuite été dressées pour chacun des huit groupes de discussion.
Les groupes de discussion ont eu lieu entre le 19 avril et le 17 mai 2023 :
- Tous les groupes se sont déroulés par vidéoconférence et dans la ou les langues officielles de préférence des participants.
- Au total, trente-sept fonctionnaires fédéraux ont participé, en groupes de quatre à six participants.
- La première langue officielle d’environ les deux tiers des participants était le français et celle de l’autre tiers était l’anglais.
- Environ les deux tiers des participants s’identifiaient comme des femmes, et les autres comme des hommes.
- Environ une personne sur trois s’identifiait comme une personne en situation d’handicap, autochtone, non binaire, membre d’une minorité visible ou 2ELGBTQI+.
- Un peu plus de la moitié des participants provenaient de la région de la capitale nationale, et les autres de partout au pays, à l’exception des Territoires.
- La grève de certains employés de la fonction publique fédérale, qui a eu lieu en avril 2023, a mené au report de trois groupes de discussion, qui se sont toutefois déroulés sans autres délais.
En plus des groupes de discussion, la conceptualisation du projet et l’analyse des résultats s’appuient sur une recension des écrits.
3.0 Ce que nous avons appris
Les perspectives des participants aux groupes de discussion permettent d’explorer la manière dont le travail virtuel (télétravail et travail hybride) transforme les réalités linguistiques des fonctionnaires fédéraux et son incidence potentielle sur l’insécurité linguistique. En prenant acte des perspectives décrites dans les prochaines sous-sections, il est important de prendre en considération les éléments ci-dessous quant à la portée et aux limites de l’étude :
- D’abord, la présente étude qualitative ne vise pas à offrir une perspective représentative sur le plan statistique des opinions de l’ensemble des membres de la fonction publique fédérale. Elle vise plutôt à fournir des perspectives riches, franches et informées de personnes provenant de la fonction publique fédérale. L’information recueillie offre, entre autres, des pistes qui peuvent guider d’autres activités de recherche et d’autres interventions sur cette question.
- Ensuite, il faut souligner qu’au moment de procéder aux groupes de discussion, les fonctionnaires fédéraux venaient de passer du mode de télétravail à temps plein (habituellement de la maison) au modèle hybride, où environ deux ou trois jours d’une semaine normale de travail se déroulent en présentiel dans les bureaux des agences et des ministères fédéraux, alors que les autres jours se déroulent en télétravail. Les participants étaient donc plus à même de discuter de l’incidence du télétravail, qui avait commencé dès le mois de mars 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19, bien que plusieurs participants aient également parlé du modèle hybride.
3.1 Contexte entourant la langue de travail dans la fonction publique fédérale
Encadrement de la Loi sur les langues officielles
La partie V de la Loi sur les langues officielles confirme d’abord que « le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales ». Sur cette base, elle établit certains paramètres relatifs à leur usage. Ainsi, dans les régions bilingues du Canada aux fins de la langue de travail, dont la région de la capitale nationale, il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que « leur milieu [de travail] soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles, tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ». Dans les autres régions du pays, les institutions fédérales doivent veiller à ce que « la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine ». Par ailleurs, certains employés peuvent avoir des obligations linguistiques relativement au service au public dans ces régions.
Les fonctionnaires dont le poste se rattache à un bureau situé dans les régions bilingues aux fins de la langue de travail ont, entre autres, le droit de travailler et d’être supervisés dans la langue officielle de leur choixNote de bas de page 2, y compris le droit d’utiliser la langue officielle de leur choix lors des réunions, d’utiliser des systèmes informatiques dans l’une ou l’autre langue officielle et de recevoir la documentation qui leur est destinée à titre d’employés dans la langue officielle de leur choix.
En somme, l’objectif est de créer, dans les régions bilingues, un milieu propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permet aux employés d’utiliser l’une ou l’autre langue officielleNote de bas de page 3.
Le défi découlant de l’unilinguisme
En théorie, il peut sembler relativement simple d’offrir un milieu où il est possible de travailler dans la langue officielle de son choix, si tous les employés du bureau concernés sont bilingues. Les agences et les ministères n’auraient qu’à s’assurer que les réunions soient présidées de façon bilingue et que les documents destinés aux employés et les outils (comme les logiciels) soient disponibles dans les deux langues officielles, à titre d’exemple. Pour le reste, chacun serait libre de s’exprimer dans la langue officielle de son choix dans le cadre de ses interactions en milieu de travail.
Mais la réalité se complique lorsque l’effectif est composé d’employés qui souhaitent utiliser l’une ou l’autre langue officielle et d’autres qui n’en maîtrisent qu’une seule. Comment fait-on alors pour permettre l’usage « effectif » des deux langues officielles, notamment lors des réunions d’équipe? Et qu’advient-il si des collègues sont unilingues, mais dans des langues officielles différentes? Qu’advient-il lorsque certains collègues sont bilingues, mais qu’ils souhaitent parler ou écrire dans une des langues officielles qui ne sont peut-être pas comprises par leurs collègues? Comment s’assurer de ne pas faire reposer sur les épaules des personnes bilingues la responsabilité d’accommoder systématiquement les collègues unilingues?
Ces différents scénarios illustrent les défis et les difficultés liés à l’utilisation des langues officielles en milieu de travail. Et ce sont précisément ces dynamiques qui ont été explorées durant les groupes de discussion.
Sondage de 2019 du Commissariat
Le sondage exploratoire sur l’insécurité linguistique que le Commissariat et PRA ont mené en 2019 a permis de mieux comprendre les différentes réalités qui façonnent l’utilisation des langues officielles en milieu de travail dans les régions désignéesNote de bas de page 4. Les résultats du sondage ont notamment permis d’entrevoir que le sentiment d’insécurité linguistique était vécu par plusieurs fonctionnaires. Par insécurité linguistique, on entend « le sentiment de malaise, d’inconfort ou d’anxiété ressenti lorsqu’on utilise ou tente d’utiliser sa première ou seconde langue officielle à cause de divers facteurs : environnement, perceptions, relations interpersonnelles, organisation et dimension culturelle et sociale »Note de bas de page 5.
Au total, 44 % des répondants francophones et 39 % des répondants anglophones ayant une capacité en français ont indiqué ressentir un malaise en lien avec l’utilisation du français au travail. En outre, 11 % des répondants francophones et 15 % des répondants anglophones ont indiqué ressentir un malaise en lien avec l’utilisation de l’anglais.
Les facteurs ayant contribué à l’insécurité linguistique dans la première langue officielle et la seconde langue officielle des répondants sont différents, mais tout de même interreliés :
- Les répondants qui se disaient mal à l’aise d’utiliser leur première langue officielle (que ce soit le français ou l’anglais) étaient généralement préoccupés par la perception d’inconvénients que cela pourrait créer pour les autres collègues (p. ex. l’idée que certains collègues ne seraient pas en mesure de comprendre ce qui a été dit, qu’il serait nécessaire de traduire ce qui a été dit, rallongeant ainsi une conversation ou une rencontre, ou même être perçu comme un « fauteur de trouble »).
- Les répondants qui se sentaient mal à l’aise d’utiliser leur deuxième langue officielle étaient souvent préoccupés par l’effort supplémentaire requis, la crainte d’être jugés sur la qualité de leur langue parlée ou écrite, ou la tendance des collègues de passer à l’autre langue, surtout pour les anglophones qui essaient de parler français.
Selon l’étude, il serait avantageux pour ces deux groupes de répondants de savoir que certains de leurs collègues sont plus bilingues qu’ils ne le croient (p. ex. capacité ou, à tout le moins, aisance de comprendre [bilinguisme réceptif]) et que certains d’entre eux, tant les locuteurs de langue première que ceux de langue seconde, pourraient en fait vouloir utiliser la langue minoritaire plus souvent.
Cette étude a également touché à d’autres éléments dont nous allons discuter dans ce qui suit, notamment l’importance des situations informelles et du leadership pour favoriser un environnement de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles.
Émergence d’un modèle de travail hybride
Comme de nombreux travailleurs au pays, une grande partie des employés de la fonction publique fédérale ont été contraints de travailler à distance, habituellement de la maison, lorsque les autorités publiques ont annoncé, en mars 2020, des mesures de confinement en réponse à la pandémie de COVID-19. Puis, en décembre 2022, le gouvernement fédéral a annoncé l’instauration progressive d’un modèle hybride commun, en prévision du retour des employés au bureau, à raison de deux ou trois jours par semaine, alors que les autres jours se déroulent en télétravail.
Dès le début du confinement en 2020, des voix se sont fait entendre pour souligner les répercussions négatives que le télétravail généralisé semblait avoir sur l’utilisation des langues officielles (malgré son incidence positive sur la qualité de vie de plusieurs employés, y compris pour un bon nombre de participants aux groupes de discussion). On rapportait, entre autres, que les réunions virtuelles avaient tendance à se dérouler uniquement en anglais et que certains documents n’étaient pas traduits en français, contribuant par le fait même au phénomène préexistant de l’anglonormativité ou de prédominance d’une langue, surtout l’anglais, dans le milieu de travail fédéral.
3.2 Une nouvelle réalité prend forme
Nature des interactions
La grosse différence, ce sont les petits échanges au cours de la journée qu’on a complètement perdus, pour ne s’en tenir qu’à des rencontres officielles préprogrammées. Désormais, tout se fait de manière virtuelle.
Dans le contexte du modèle de travail virtuel (soit à temps complet en télétravail ou à temps partiel en modèle hybride), les participants aux groupes de discussion ont ciblé d’importants changements dans la nature de leurs interactions avec leurs collègues :
- Plusieurs ont observé que les interactions sont beaucoup plus structurées et formelles. Certains participants avaient l’impression qu’utiliser un logiciel de vidéoconférence, comme Microsoft Teams, est plus formel que d’aller voir un collègue pour lui poser une question. Même au bureau, les interactions se déroulent souvent par vidéoconférence.
- Selon plusieurs participants, le nombre de rencontres a généralement augmenté, occupant par le fait même une plus grande proportion de leur journée. À cet égard, on a noté que les rencontres en vidéoconférence sont plus faciles à organiser, ce qui contribue à cette tendance.
- Plusieurs ont remarqué que la composition des équipes de travail a changé, les rencontres par vidéoconférence permettant d’inclure des personnes provenant d’autres régions qui n’auraient habituellement pas été en mesure de se joindre en personne auparavantNote de bas de page 6.
J’ai passé plus de cinq mois en isolement et je me suis rendu compte que je n’avais pas parlé français du tout pendant ce temps. Je n’étais pas conscient que j’avais régulièrement des occasions d’échanger en français. Comme tous les membres de mon équipe sont anglophones, nous faisons tout notre travail en anglais. [Traduction.]
Bien que certains aient indiqué n’avoir observé aucune incidence, plusieurs participants ont noté que ce nouveau modèle de travail avait mené à un certain sentiment d’isolement. En ne côtoyant plus autant les collègues en personne et de façon informelle, les interactions sont devenues essentiellement de nature purement « d’affaires », où les considérations plus sociales et humaines sont quelque peu reléguées au second plan. (De façon intéressante, quelques participants travaillant en régions éloignées se sentaient plus connectés.)
Déjà avant la pandémie de COVID-19, la langue de la majorité (surtout l’anglais) prédominait comme « langue des affaires », tel qu’exprimé par certains participants, tandis que la langue de la minorité (surtout le français) était plutôt utilisée dans des situations informelles. Avec la diminution des situations informelles en raison du travail à distance, et l’ajout dans certains cas de collègues moins bilingues provenant d’autres régions, la langue de la minorité est encore moins utilisée et moins entendue selon plusieurs participants. En somme, la « langue des affaires » gagne et la « langue informelle » perd du galon.
Je manque de confiance lorsque vient le temps de parler français. L’environnement virtuel a en quelque sorte accru ce sentiment, car j’étais moins exposé au français. Par exemple, je ne croisais plus mes collègues francophones dans les corridors. Et comme je ne suis pas exposé au français à la maison, je suis probablement plus nerveux. [Traduction.]
Pour certains, notamment les anglophones à l’extérieur du Québec qui souhaitent pratiquer leur français, les situations informelles en milieu de travail étaient souvent leur seule occasion de pouvoir le faire. Avec l’absence de telles occasions, les capacités linguistiques peuvent s’éroder et les employés deviennent encore moins à l’aise de prendre le « risque » d’utiliser leur seconde langue.
Pour les francophones en milieu de travail minoritaire, il est également moins probable qu’ils entendent le français au travail. Les occasions de petites conversations en parallèle dans la langue de la minorité au travail se font plus rares, car ces conversations se tiennent habituellement durant les réunions en personne pendant lesquelles la langue de la majorité prédomine. Comme un participant francophone l’a expliqué, le sentiment de solidarité linguistique engendré par la présence physique autour de la table d’autres francophones et d’anglophones qui maîtrisent le français s’est estompé pour eux dans le quasi-anonymat de plus grosses réunions en ligne.
Je travaille en présentiel, mais mes collègues sont en télétravail et en mode hybride. Par conséquent, je travaille toujours en mode hybride. Désormais, il faut créer une réunion pour chaque interaction, même pour cinq minutes de discussion.
Plusieurs ont souligné que le retour au bureau à raison de deux ou trois jours par semaine atténuait peu ou n’atténuait pas la prédominance d’une langue officielle, notamment l’anglais. Comme les dispositions pour le retour en présentiel varient au sein de chaque institution fédérale, il est difficile de généraliser ce constat. Les participants ont tout de même rappelé que, même en présentiel, leurs bureaux n’étaient plus nécessairement situés au même endroit ni avec les mêmes collègues, et que la majeure partie de leur journée continuait de se dérouler en mode virtuel.
Absence d’encadrement clair
Plusieurs participants aux groupes de discussion ont souligné l’absence d’encadrement clair relatif à l’utilisation des langues officielles dans le modèle de télétravail et de travail hybride. Aux dires de ces participants, aucune directive formelle liée aux langues officielles n’a été émise par le gouvernement fédéral, qui porte spécifiquement sur le télétravail et le travail hybrideNote de bas de page 7.
Selon divers participants, il revient plutôt à chaque gestionnaire d’encadrer ou non l’utilisation du français et de l’anglais dans l’environnement de travail virtuel, que ce soit durant les rencontres de groupe ou les rencontres bilatérales avec les gestionnaires. Dans certains cas, les gestionnaires ont spécifiquement invité les employés à utiliser l’une ou l’autre langue durant les rencontres d’équipe. Des participants ont souligné que certains gestionnaires ont même tenté d’avoir des rencontres largement bilingues, où les propos tenus étaient traduits soit dans les deux langues, soit dans la langue officielle qui n’est pas comprise par certains employés. Toutefois, aux dires des participants, ces efforts pour accommoder les deux langues officielles finissent souvent par être abandonnés s’ils ralentissent le travail ou rallongent les rencontres.
Je ne me souviens pas d’une directive particulière. Il y a tellement de directives sur le bilinguisme. Il y a beaucoup de communication à cet effet. Mais dans la pratique, ça ne change pas grand-chose.
En outre, un certain nombre de participants ont signalé que des directives formelles pourraient être fixées concernant les nouveaux outils technologiques, comme les logiciels de sous-titrage et de traduction automatiques intégrés aux programmes de vidéoconférence, directives qui sont actuellement manquantes. Des participants ont affirmé qu’ils utilisent déjà activement ces outils de leur propre chef.
Dans la réalité, si je me mets à parler en français dans une réunion, 90 % des employés ne comprendront pas. Pourquoi je ferais l’effort de m’exprimer en français et de traduire ce que j’ai dit? Je choisis de m’exprimer dans la langue de la majorité.
Pour plusieurs participants, les défis qu’ils rencontraient avant la pandémie de COVID-19, documentés dans le sondage exploratoire du Commissariat en 2019, continuent donc à se manifester dans le modèle hybride, que ce soit dans l’utilisation de la langue officielle de leur choix lors des réunions, de la langue dans laquelle ils souhaitent rédiger des documents, dans laquelle ils sont supervisés ou dans laquelle ils souhaitent s’exercer et développer ou maintenir leurs capacités. Pour la vaste majorité de ces participants, à la fois pour les francophones et les anglophones, la langue en question était le français.
Implication pour l’utilisation des langues officielles au travail
Bien qu’il y ait eu des exceptions, divers participants aux groupes de discussion avaient l’impression que le télétravail et le modèle hybride tendent à créer ou à renforcer un milieu de travail qui est moins « propice à l’usage effectif des deux langues officielles », contrairement à ce qu’exige la Loi sur les langues officielles (certains participants ont indiqué n’avoir observé aucune différence). Plus particulièrement, divers participants ont noté les répercussions suivantes :
- La nature plus formelle des rencontres favoriserait l’unilinguisme : Divers participants étaient d’avis que les rencontres plus formelles créaient une pression pour utiliser la langue de la majorité, afin de s’assurer d’être directement compris par tous les collègues, et qu’il est plus difficile de discerner les capacités linguistiques d’autrui lorsqu’on est en ligne. Selon certains, le fait de pouvoir s’exprimer dans la langue de son choix n’a véritablement de sens que si la personne peut raisonnablement présumer que ses propos vont recevoir la même attention que ceux des collègues qui utilisent l’autre langue officielle. Sachant ou présumant qu’elle pourrait ne pas être bien comprise par certains collègues, la personne décidera ainsi d’utiliser la langue majoritaire.
Ce n’est pas parce qu’une réunion est bilingue que tu auras satisfait les besoins des deux langues officielles. Avec une réunion bilingue avec beaucoup de français, les anglophones ne se connecteront pas. C’est la même chose avec les réunions bilingues avec beaucoup d’anglais; les francophones ne se présenteront pas parce qu’ils n’ont pas l’impression d’avoir l’option d’utiliser leur langue et d’être pleinement compris et pleinement valorisés.
- L’absence d’interactions atténuerait l’engagement envers le bilinguisme : Divers participants ont noté que le modèle hybride contribue à créer un milieu où les employés sont moins exposés à l’utilisation des deux langues officielles. Surtout dans les régions où l’une des langues officielles est particulièrement dominante, le milieu de travail fédéral constitue souvent l’endroit où les employés de langue majoritaire sont le plus exposés à la langue de la minorité. Comme souligné précédemment, cependant, même lorsqu’ils sont en présentiel deux ou trois jours par semaine, plusieurs employés ont toujours peu d’interactions avec leurs collègues, ce qui contribue à une exposition réduite à la langue minoritaire, une érosion des compétences, une utilisation moindre et donc un risque accru de marginalisation de cette langue.
- L’incidence sur la formation serait à la fois positive et négative : Le travail virtuel peut favoriser des occasions de formation professionnelle, notamment en créant un accès en ligne à davantage de séances dans la langue officielle de choix du participant. Pour le maintien des compétences en langue seconde, le travail virtuel a contribuer à créer de nouvelles opportunités, comme les programmes de jumelage, très appréciés de participants anglophones qui veulent pratiquer leur français. Mais la pandémie de COVID-19 a bouleversé la formation linguistique de façon générale, et certains participants étaient d’avis qu’il peut être beaucoup plus difficile et impersonnel d’apprendre sa langue seconde dans un cours en ligne qu’en présentiel et en personne.
- Le besoin d’empathie les uns envers les autres : Selon certains participants anglophones, les francophones ne sont pas toujours conscients des difficultés liées à l’apprentissage du français en temps de pandémie et de travail virtuel, et de son incidence sur les chances d’avancement professionnel. Selon certains participants francophones, les anglophones ne sont pas toujours conscients de la charge mentale et du travail supplémentaire qui découlent de devoir toujours travailler en anglais, et de leur incidence sur le rendement et sur les chances d’avancement professionnel. Au cours de l’étude, les occasions de faire preuve d’empathie ont semblé plus nombreuses dans les groupes de discussion bilingues comprenant des francophones et des anglophones, où les participants de chaque groupe linguistique pouvait entendre directement l’autre parler de ses difficultés et de ses expériences.
Je pense que les anglophones ne pratiquent pas beaucoup par gêne. Ils sont gênés de parler et gênés de faire des erreurs. Je crois qu’eux aussi ont ce sentiment d’insécurité, probablement encore plus fort que nous les francophones.
- Les compétences linguistiques des collègues sont difficiles à discerner : En l’absence d’interactions quotidiennes plus informelles en présentiel, divers participants ont noté qu’il est plus difficile de discerner les capacités linguistiques des collègues, particulièrement dans leur langue seconde. Dans ce contexte, les gens vont souvent présumer que la personne en ligne ne parle que l’anglais, même si elle peut parler ou au moins comprendre le français. En retour, cela réduit les occasions qu’ont les francophones de pouvoir parler leur langue première et des anglophones de pouvoir exercer leur langue seconde. Cela peut nourrir davantage le sentiment d’insécurité linguistique, ce qui peut contribuer à la réticence à utiliser le français et, par le fait même, contribuer à l’érosion des capacités dans cette langue.
- Les risques de marginalisation supplémentaire sur des membres de groupes d’équité : Quelques participants, qui se sont identifiés comme membres d’un groupe d’équité, ont fait allusion au risque de marginalisation supplémentaire qui peut survenir lorsqu’une personne d’une minorité visible ou qu’une personne avec un handicap utilise la langue minoritaire, soit comme langue première ou comme langue seconde.
Les cadres supérieurs essaient de s’exprimer dans les deux langues, mais je dirais que 95 % ou plus de nos réunions se déroulent en anglais. C’est simplement plus rapide et plus efficace de pouvoir donner des explications en anglais. Sauf que la moitié des membres de notre équipe sont des francophones, et deux d’entre eux habitent à Montréal. [Traduction.]
- La décentralisation du leadership en langues officielles : L’absence de directives claires et robustes concernant l’utilisation des langues officielles dans le nouvel environnement hybride mène à un leadership décentralisé, où les gestionnaires doivent jouer un rôle déterminant sur la place qu’occuperont les langues officielles. Divers participants aux groupes de discussion ont noté que leur capacité de travailler dans un milieu propice à l’utilisation des deux langues officielles repose largement sur les épaules de leurs superviseurs et de leurs cadres supérieurs. Dans ces circonstances, le roulement de personnel peut entraîner une transformation rapide du milieu de travail, pour le meilleur ou pour le pire.
4.0 Conclusion et suivis
Que leurs employés travaillent de la maison, du bureau ou des deux, les institutions fédérales doivent veiller, dans les régions bilingues, à ce que leur environnement de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles.
Déjà avant la pandémie de COVID-19, comme le démontrait le sondage exploratoire du Commissariat, plusieurs institutions fédérales avaient peine à créer un milieu véritablement « propice à l’usage effectif des deux langues officielles ». Les groupes de discussion tenus dans le cadre de la présente étude de suivi ont mis en lumière des défis importants que peut entraîner le travail virtuel (y compris le télétravail et le modèle de travail hybride) sur le plan de l’utilisation des langues officielles. Selon ce que nous avons entendu dans l’ensemble, le travail virtuel réduit souvent les possibilités de s’exprimer dans l’une des langues officielles, qui se trouve à être la plupart du temps, mais pas uniquement, le français. Ceci peut avoir pour effet d’exacerber le sentiment d’insécurité linguistique des locuteurs de cette langue comme langue première ou langue seconde.
Des fois, il y a des petits points d’insécurité qui viennent me rentrer dedans et je trouve ça difficile. Ça m’affecte psychologiquement, tu te retiens des fois pour ne pas pleurer.
Ce n’est pas le virtuel qui change les choses. Ce sont les attitudes linguistiques de nos gestionnaires. Ceux qui ont des aptitudes linguistiques de bilinguisme, on peut travailler avec eux dans la langue de notre choix. Mais des fois, on en a qui ont un CBC, je ne sais comment ils ont réussi à avoir les exigences linguistiques. Pour se faire comprendre, on parle en anglais, même si ce n’est pas ma préférence.
Cela dit, l’utilisation des deux langues officielles ne devrait pas être tributaire du travail en personne. Le gouvernement devrait plutôt trouver des façons de tirer profit des nouvelles possibilités qu’offre le travail hybride, à la fois en personne et en ligne, pour assurer l’utilisation équitable des deux langues officielles. Il faut agir maintenant, avant que les normes et les habitudes linguistiques de la nouvelle réalité hybride deviennent plus enracinées et difficiles à modifier.
Dans ce contexte, les constats émanant des groupes de discussion ont permis de formuler une recommandation et d’établir des pistes d’action possibles pour exploration afin d’atténuer les défis.
Recommandation :
- Des directives claires et robustes à l’intention des institutions fédérales : Il apparaît essentiel que le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada émette des directives beaucoup plus claires et robustes concernant l’utilisation généralisée des langues officielles dans le milieu de travail hybride, particulièrement durant les rencontres virtuelles, mais aussi pour ce qui est de la rédaction de documents, la gestion d’employés et le leadership de la haute direction. Ces directives doivent être communiquées de façon fréquente et efficace à l’ensemble de la fonction publique fédérale. Elles doivent également chercher à sensibiliser les fonctionnaires aux risques potentiels de marginalisation supplémentaire des membres de groupes d’équité utilisant la langue officielle minoritaire, soit comme langue première ou comme langue seconde.
Pistes d’action :
- Le leadership proactif de la haute direction : La haute direction doit exercer pleinement son leadership pour s’assurer que les droits et les obligations linguistiques soient respectés et que l’usage effectif des deux langues officielles demeure au cœur des priorités de la fonction publique. Puisque le contexte de travail hybride peut exacerber le phénomène de l’insécurité linguistique, il devient d’autant plus important de donner l’exemple et de réitérer des messages clairs concernant la place qu’occupent les langues officielles dans le quotidien, tant en présentiel qu’en virtuel. Ces messages et des attentes clairs pourraient, par exemple, être intégrés aux objectifs de rendement des cadres supérieurs et des gestionnaires.
- Des capacités de compréhension linguistique plus faciles à repérer : De la même façon que les employés sont invités à indiquer leurs pronoms, il peut également être utile d’inviter les personnes qui peuvent au moins comprendre les deux langues (notamment le français, lorsque cette langue est minoritaire) à faire connaître leurs capacités à communiquer dans les deux langues (p. ex. dans leur signature électronique, leur arrière-plan ou leur identifiant lors de réunions virtuelles). L’annexe A inclut des exemples à cet effet qui pourraient être explorés, par exemple dans le cadre d’un projet pilote.
- Les options technologiques au service de la langue de travail : Même si les options technologiques (p. ex. traduction visuelle simultanée lors de rencontres virtuelles) donnent des résultats incertains pour le moment, la technologie évolue très rapidement et les fonctionnaires l’utilise de leur propre initiative. Il importe donc de se tenir au courant des nouvelles possibilités et de s’assurer d’intégrer pleinement les outils qui peuvent faciliter l’utilisation des deux langues officielles en milieu de travail, sans toutefois nuire à l’égalité réelle des deux langues officielles.
- Les échanges informels remis au goût du jour : Un des constats marquants qui se dégage des groupes de discussion est l’importance des échanges informels dans la création d’un contexte favorable à l’usage effectif des deux langues officielles. Il serait particulièrement avantageux pour les institutions fédérales de miser sur des occasions d’échanges entre employés, en virtuel et en présentiel (p. ex. organiser des jumelages et des groupes de discussion virtuels et en présentiel pour acquérir et maintenir les capacités dans l’une ou l’autre langue, créer des journées où l’on encourage les employés à utiliser leur seconde langue officielle, inviter les membres d’équipe à se présenter au bureau en même temps, etc.).
Annexe A – Exemples d’identifiants bilingues
Exemples d’identifiants reflétant les capacités linguistiques
Exemple pour signature :
Doug Smith (il|him)
Agent de programme | Program Officer
Ministère des programmes | Department of Programs
N’hésitez pas à répondre dans la langue officielle de votre choix.
Please feel free to respond in the official language of your choice.
Exemple pour identifiant Microsoft Teams :
(E/F) Doug Smith, il-him
Le (E/F) indique qu’au minimum Doug comprend assez bien l’anglais et le français, et que les gens sont invités à lui parler dans l’une ou l’autre langue (même s’il est possible qu’il réponde dans une seule langue, lorsqu’approprié).
Le fait d’avoir le « E » en premier suggère que l’anglais est sa première langue officielle préférée. Il pourrait toujours le changer à (F/E), par exemple, afin d’indiquer qu’il souhaite exercer son français plus souvent.