Information supplémentaire
Message du commissaire aux langues officielles
Nos langues officielles sont à la base de la diversité et de l’inclusion au sein de notre société. Elles sont au centre de notre identité, comme en témoignent les langues de nos institutions, de notre démocratie, de nos écoles, de nos universités, de nos espaces publics et de notre communauté des affaires.
L’année 2019 marque le jubilé de la Loi sur les langues officielles. La Loi nous a aidés à accomplir beaucoup de choses au cours des cinquante dernières années : une plus grande représentation de nos deux communautés linguistiques au sein de l’appareil fédéral; un meilleur accès aux services fédéraux dans les deux langues officielles; la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne ainsi que le soutien au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Toutefois, les défis fusent de toutes parts, et la Loi, telle que nous la connaissons, ne suffit plus à la tâche.
C’est pourquoi une véritable modernisation de la Loi s’impose afin que les langues officielles puissent prospérer dans le Canada d’aujourd’hui et de demain. Nous avons besoin d’une Loi modernisée, qui appuie la vitalité des minorités linguistiques et qui encadre les institutions fédérales pour qu’elles se conforment à leurs obligations envers le public canadien.
Ce document fait état de nombreux constats et présente mes recommandations pour une Loi actuelle, dynamique et robuste. Il est le fruit d’un long travail de réflexion mené par le Commissariat aux langues officielles, fort de son expérience accumulée au cours des années à appliquer la Loi. Il témoigne de l’engagement continu de mon équipe envers la promotion et la reconnaissance des deux langues officielles. Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à notre consultation nationale, qui a eu une incidence importante sur ma vision pour une Loi modernisée.
Mes recommandations, si elles sont adoptées, auront des retombées tangibles sur le statut et l’usage du français et de l’anglais au Canada. Elles visent à guider le législateur dans l’adoption d’une Loi qui permet d’atteindre ses objectifs, si importants pour notre contrat social. Ma vision, qui s’appuie sur les principes d’une Loi actuelle, dynamique et robuste, est qu’il serait souhaitable que le commissaire ait plus d’outils à sa disposition afin de lui permettre de pleinement s’acquitter de son mandat. Mais, ultimement, il revient toujours aux institutions fédérales de respecter leurs obligations.
En effet, ma vision va bien au-delà de modifications de nature législative et réglementaire. En plus d’une Loi modernisée, un leadership en matière de langues officielles et un changement de culture s’imposent. Je fais appel à tous pour prendre les mesures nécessaires afin que la dualité linguistique puisse pleinement s’épanouir partout au Canada.
Sommaire
Cinquante années se sont maintenant écoulées depuis l’adoption de la toute première Loi sur les langues officielles. Alors que nous célébrons les succès et les avancées depuis 1969, le moment est propice de mener une réflexion approfondie sur les besoins des Canadiens en matière de langues officielles et de s’interroger sur la justesse des outils qu’offre la Loi pour y répondre adéquatement.
En plus des nombreux appels lancés par le commissaire pour une modernisation de la Loi, de multiples demandes ont été formulées d’un bout à l’autre du pays par les deux groupes linguistiques. Ces demandes témoignent du besoin pressant de réviser le cadre législatif existant ainsi que d’élaborer de nouveaux règlements, et ce, afin de répondre aux attentes et à la réalité de chacun.
C’est pourquoi le commissaire propose une modernisation de la Loi fondée sur une vision holistique. En effet, la vision qu’il recommande va bien au-delà de modifications de nature législative et réglementaire. Il s’attend à ce que les modifications qui seront adoptées mènent à un changement de culture afin que la dualité linguistique puisse pleinement s’épanouir partout au Canada. Pour y arriver, le commissaire propose 18 recommandations, chapeautées par les trois piliers sur lesquels repose sa vision : une loi actuelle, dynamique et robuste.
Ces recommandations sont le fruit de l’expérience et de l’expertise du Commissariat aux langues officielles, qui remonte à aussi loin qu’à l’adoption même de la première Loi, de nombreuses analyses et recherches ainsi que d’une période de consultation qui s’est étendue sur plusieurs mois auprès de la population canadienne.
Dans le cadre de ces consultations, plusieurs intervenants ont exprimé la nécessité que la Loi moderniséesoit conçue de manière à être appliquée comme un ensemble cohérent et harmonieux. Le commissaire partage entièrement cette approche et s’est efforcé, par ses recommandations et plus généralement dans ce document, d’en faire une priorité.
Ainsi, que ce soit dans les domaines de la justice, des communications avec le public et de la prestation des services, de la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale, de la gouvernance, de la conformité, de la promotion des deux langues officielles ou encore de l’épanouissement et du développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, des modifications législatives et de nouveaux cadres réglementaires sont proposés dans les pages qui suivent.
Je constate qu’après des efforts qui se sont échelonnés sur plus d’un demi-siècle, il faudra qu’on se penche à nouveau sur la question du contrat social. Les langues officielles sont l’affaire de tous1
Aperçu des transformations qui ont caractérisé la Loi sur les langues officielles
La première Loi sur les langues officielles a été adoptée à l’unanimité en juillet 1969 et est entrée en vigueur le 7 septembre suivant. Dix-neuf ans plus tard, une nouvelle loi a été adoptée en juillet 1988 et est entrée en vigueur le 15 septembre de cette même année. Outre une modification à la partie VII en 2005, la Loi n’a donc pas été soumise à un examen approfondi depuis 1988.
Après cinq décennies, il est possible de constater que la dualité linguistique fait partie de l’histoire nationale du Canada et que la Loi a grandement contribué à sa progression. Toutefois, il est important de rappeler que cette valeur canadienne n’a pas toujours fait l’objet d’un consensus populaire.
La Loi de 1969 et celle de 1988 répondaient à des contextes et à des réalités sociales qui leur étaient propres. En effet, les auteurs de la Loi de 1969 avaient pour objectif de renforcer l’unité nationale à travers une affirmation de l’égalité de statut du français et de l’anglais et de l’accès aux services fédéraux dans l’une ou l’autre des langues officielles2. Le gouvernement d’alors avait endossé l’esprit des recommandations de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en faisant du français et de l’anglais les langues officielles du pays3. Le droit d’être entendu par les tribunaux fédéraux4 ainsi que celui de communiquer avec le gouvernement fédéral et d’en recevoir les services dans la langue officielle de son choix5 avaient leur place officielle dans cette première loi.
Des résolutions, des politiques et des mesures réglementaires en matière linguistique ont suivi, y compris : la Résolution sur les langues officielles dans la fonction publique du Canada6, adoptée par le Parlement en 1973, qui visait notamment à permettre aux employés de la fonction publique fédérale de travailler dans la langue officielle de leur choix; le Règlement sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation7, entré en vigueur en 1974, qui prévoyait que certaines informations sur un produit donné devaient y figurer en français et en anglais; ainsi que le document de politique gouvernementale Un choix national8, publié en 1977, qui exposait les raisons historiques de la politique linguistique du pays et qui faisait le bilan de son application. En 1982, la Charte canadienne des droits et libertés a constitutionnalisé l’égalité de statut des deux langues officielles et les droits linguistiques, y compris le droit en matière d’éducation des communautés de langue officielle en situation minoritaire9. Ces mesures cherchaient collectivement à mettre fin à plus d’un siècle de débats et d’ambiguïtés à savoir si le Canada était un pays anglophone avec une francophonie limitée au Québec ou un pays bilingue où il y aurait assez d’espace pour que deux langues officielles puissent s’épanouir dans tous les coins du pays10.
L’adoption de la Loi en 1969 et les années qui ont suivi ont ainsi permis de réaliser d’importants progrès sur le plan linguistique et identitaire canadien. Pourtant, à cette époque, cette loi fédérale avait encore une portée relativement limitée qui se résumait au droit du public de communiquer avec l’État fédéral et d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre langue officielle11.
C’est dans ce contexte que la Loi de 1988 est venue donner un nouvel élan à la dualité linguistique,notamment en cristallisant les droits en matière de langue de travail et en reconnaissant l’importance de la promotion du français et de l’anglais ainsi que de l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. En effet, l’ajout à la Loi de la partie VII tentait, en partie, de pallier les défis démographiques vécus par ces communautés12 ainsi que de leur offrir un appui à la lumière de l’introduction de l’Accord du lac Meech en 1987, qui aurait modifié la Constitution canadienne et reconnu le Québec comme « société distincte » au sein du Canada13. Constituant le prolongement des garanties linguistiques constitutionnelles enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 et jouissant d’un statut quasi constitutionnel14, la Loi de 1988 a élargi considérablement la portée de la dualité linguistique.
La dernière avancée importante a eu lieu en 2005, lorsque des obligations pour mettre en œuvre l’engagement prévu à la partie VII de la Loi ont été ajoutées, rendant cette partie justiciable15. Cela signifie qu’elle impose maintenant des obligations précises aux institutions fédérales et permet la possibilité d’intenter un recours judiciaire en cas de manquement à ces obligations. À la suite de ces modifications, les institutions fédérales sont maintenant tenues de prendre des mesures positives pour favoriser le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage des deux langues officielles dans la société canadienne.
Ce cheminement législatif a consolidé et codifié les assises juridiques sur lesquelles repose la dualité linguistique canadienne. Le défi aujourd’hui consiste à poursuivre une mise en œuvre intégrale de la Loi pour y donner son plein effet. À la lumière de son expérience et du contexte contemporain, le Commissariat aux langues officielles est d’avis que cela ne peut être accompli sans y apporter des modifications majeures et structurelles.
Pourquoi moderniser la Loi sur les langues officielles?
Encore aujourd’hui, des questions subsistent partout au pays quant à l’importance à accorder à la dualité linguistique en tant que valeur canadienne. Malgré le statut constitutionnel du français et de l’anglais et les avancées jurisprudentielles importantes sur le plan des droits linguistiques au fil des années, la pérennité des langues officielles au Canada est à la merci des priorités changeantes du gouvernement au pouvoir. C’est pourquoi la modernisation de la Loi est l’occasion de redonner un nouveau souffle à la dualité linguistique, tant pour préserver ses acquis que pour assurer sa progression continue.
Déjà, à l’occasion du 40e anniversaire de la Loi, en 2009, le commissaire aux langues officielles Graham Fraser avait constaté un plafonnement de sa mise en œuvre. À ce moment-là, il faisait état de la lenteur du progrès accompli depuis plusieurs années en matière de bilinguisme institutionnel au sein de l’administration fédérale :
D’une part, les services publics ne sont toujours pas offerts automatiquement dans les deux langues partout dans les bureaux désignés bilingues et, d’autre part, la situation en ce qui a trait à la langue de travail stagne. Par ailleurs, le problème de la sous-représentation chronique des anglophones dans la fonction publique fédérale au Québec persiste. Les compressions trop fréquentes et le manque continu de leadership inquiètent16.
Prononcés il y a maintenant une décennie, ces propos sont toujours pertinents. Ce plafonnement a également eu d’autres conséquences importantes, particulièrement sur le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Alors que des progrès importants ont été accomplis, plusieurs enjeux récurrents font toujours obstacle à la pleine réalisation des objectifs de la Loi. Après 50 ans, l’expérience du Commissariat a révélé que, de façon générale, les dispositions de la Loi sont appliquées de manière fragmentée par les institutions fédérales. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette application parcellaire de la Loi, telles que l’ambiguïté et les difficultés d’application de certaines de ses dispositions – notamment celles qui reposent sur des divisions géographiques datant de près de 40 ans. Au-delà de ces considérations, la Loi pourrait comprendre de nouvelles dispositions afin d’inclure des éléments qui ont échappé aux rédacteurs de la Loi de 1988.
Qui plus est, le commissaire actuel, Raymond Théberge, est d’avis qu’une modernisation de la Loi s’impose, puisque plusieurs changements ont marqué la société canadienne depuis le dernier examen majeur à la fin des années 1980. Les changements démographiques et identitaires ou encore la place croissante des nouvelles technologies dans les communications et la prestation des services du gouvernement fédéral en sont de bons exemples. À eux seuls, ces changements témoignent du réel besoin de moderniser la Loi afin qu’elle continue d’être un outil efficace pour la protection et la promotion de la dualité linguistique au Canada.
Plus qu’une simple mise à jour, la modernisation de la Loi doit ainsi mener à des résultats qui auront des effets réels et tangibles sur l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ainsi que sur la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Le Canada a besoin d’une loi moderne qui appartient à la réalité de la génération actuelle et des générations futures, et cela ne peut être réglé que par voie législative et réglementaire.
Chemin parcouru depuis la recommandation formulée dans le rapport annuel 2016-2017
Beaucoup de chemin a été parcouru par le Commissariat depuis 2017, mais aussi par plusieurs acteurs intéressés aux langues officielles, en ce qui concerne la réflexion sur la modernisation de la Loi, qui célèbre ses 50 ans en 2019.
Dans son rapport annuel 2016-2017, la commissaire aux langues officielles par intérim, Ghislaine Saikaley, recommandait au gouvernement « … d’évaluer la pertinence de moderniser la Loi dans l’optique d’adopter une position claire en 2019 »17. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles s’était également lancé, au printemps 2017, dans une étude en cinq volets sur la modernisation de la Loi. Le Comité a entendu les témoignages de jeunes, de communautés de langue officielle en situation minoritaire, de personnes qui ont été témoins de l’évolution de la Loi, du secteur de la justice et d’institutions fédérales18. Dans les deux dernières années, le Comité permanent des langues officielles de la Chambres des communes s’est aussi beaucoup intéressé à la question, notamment en effectuant une étude sur la modernisation de la Loi19 et en formulant, à l’intention du gouvernement, différentes recommandations à ce sujet dans le cadre d’autres études20.
Quant au processus de réflexion du commissaire, un comité de travail interne sur la modernisation de la Loi a été formé au Commissariat à l’été 2017; ce dossier est rapidement devenu l’une des priorités de l’organisation. À l’automne 2017, le Commissariat a entrepris une série de consultations informelles avec des chefs de file des communautés de langue officielle en situation minoritaire et d’autres intervenants clés, dans le but de les informer de sa démarche et d’échanger sur les enjeux entourant une éventuelle réforme de la Loi. Au printemps 2018, le Commissariat a publié un questionnaire en ligne à l’intention du grand public et a obtenu plus de 4 200 réponses de toutes les provinces et de tous les territoires du Canada. Finalement, des rencontres formelles ont été organisées partout au pays avec des personnes et des groupes possédant une expérience particulière en matière de langues officielles. Ces rencontres ont pris fin à l’été 2018. Au total, le Commissariat a rencontré plus de 300 personnes. Il a également reçu quelques soumissions écrites. L’esprit de collaboration qui s’est dégagé de toutes ces formes de consultations a eu une incidence importante sur la vision du commissaire pour une loimodernisée – en effet, plusieurs suggestions des intervenants trouvent leur place dans les recommandations qui en découlent.
Au-delà des démarches entreprises par le Commissariat, plusieurs personnes et organisations ont déjà demandé que des modifications soient apportées à la Loi pour qu’elle reflète davantage l’avenir de la dualité linguistique au pays, les nouvelles réalités de la société canadienne et, plus particulièrement, celles des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Des mémoires et des propositions détaillés ont été soumis au Comité sénatorial permanent des langues officielles21. Force est de constater que, parmi les nombreuses propositions émises, un consensus se dégage concernant les lacunes que présente la Loi ainsi que certains changements qui pourraient y être apportés.
Le 6 juin 2018, le premier ministre, Justin Trudeau, annonçait officiellement que le gouvernement canadien allait moderniser la Loi22, une réponse ferme et directe à la recommandation formulée par la commissaire par intérim il y a maintenant deux ans. Par la suite, le 11 mars 2019, la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie annonçait le début de son examen de la Loi en vue de la moderniser23. Ainsi, au moment où le gouvernement amorce sa réflexion sur les changements à y apporter, le Commissariat contribue au dialogue public étant donné sa perspective unique, et ce, grâce à près d’un demi-siècle d’expérience à appliquer et à faire respecter la Loi.
La vision du commissaire aux langues officielles
Alors que la société canadienne se tourne résolument vers l’avenir, la Loi doit faire de même. La dernière refonte majeure de la Loi remonte à loin, bien avant Internet, les médias sociaux et la naissance de la jeunesse actuelle. Les jeunes d’aujourd’hui imaginent un pays où il sera désormais normal de vivre en français et en anglais et ils ont une soif de connaître la culture de l’autre. Ils sont d’avis que le gouvernement fédéral doit affirmer un leadership continu dans la concrétisation de cette idée. Incontestablement, la Loi de 1988 a vieilli et les nouvelles générations ne peuvent s’y retrouver.
Dans le cadre des consultations menées par le Commissariat au sujet de la modernisation de la Loi au cours du printemps et de l’été 2018, plusieurs intervenants ont exprimé la nécessité que la Loi moderniséesoit conçue de manière à être appliquée dans sa totalité. Ils ont soulevé qu’une application coordonnée des parties de la Loi aurait une incidence positive sur l’ensemble des obligations et, plus particulièrement, sur celle visant à prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Afin d’atteindre cet objectif, la Loi modernisée doit reconnaître l’interdépendance de ses parties, notamment les liens intrinsèques qui existent entre la représentation des deux groupes linguistiques au sein de la fonction publique fédérale, les droits en matière de langue de travail, les obligations en matière de communications avec le public et de prestation des services, ainsi que leur incidence plus globale sur les autres parties de la Loi. Il va sans dire que les institutions fédérales qui tendent à refléter les deux groupes linguistiques dans leur effectif, qui assurent une dotation de postes fondée sur des exigences linguistiques appropriées et qui valorisent l’égalité du français et de l’anglais dans leurs propres milieux sont davantage aptes à fournir des services au public et à communiquer avec lui dans les deux langues officielles, à appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire au moyen de mesures concrètes et à favoriser la progression de la dualité linguistique dans la société canadienne.
Les recommandations que le commissaire émet à ce moment-ci visent à mener, dans leur ensemble, à une loi dont l’architecture est intelligible et où la cohérence entre ses parties est manifeste. Cette approche se dégage des pages qui suivent, où les recommandations sont chapeautées par les trois piliers sur lesquels repose la vision du commissaire, soit l’obtention d’une loi actuelle, dynamique et robuste.
Les changements proposés par le commissaire n’ont pas été analysés en vase clos. Au contraire, la majorité d’entre eux visent à créer un effet transversal sur le reste de la Loi. Sans y apporter des changements qui visent une application holistique de ses parties ni y ajouter des outils réglementaires appropriés, la Loi demeurera dans un état statique et deviendra de plus en plus désuète.
Une loi actuelle
Pour le commissaire, le premier objectif d’une modernisation est d’en faire une loi qui est actuelle et pertinente. En effet, la Loi modernisée devrait, dans tous ses aspects, refléter la société canadienne d’aujourd’hui, ses besoins, mais aussi ses aspirations pour un pays qui valorise pleinement la dualité linguistique.
Afin d’y parvenir, plusieurs modifications doivent être apportées à différentes parties de la Loi. Le gouvernement doit notamment assurer un meilleur accès, en français et en anglais, au système de justice fédéral; veiller à ce que les obligations en matière de communications et de prestation des services soient claires et répondent aux besoins de la population canadienne; actualiser et clarifier les droits et les obligations en matière de langue de travail dans la fonction publique fédérale; élaborer un cadre réglementaire visant à concrétiser l’engagement du gouvernement à l’égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire ainsi que celui visant à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage des deux langues officielles.
Pour un meilleur accès au système judiciaire et quasi judiciaire fédéral dans les deux langues officielles
[L]e rôle des tribunaux établis par le pouvoir fédéral demeure essentiel pour la préservation et l’évolution d’un système juridique qui non seulement est composé d’éléments de droit civil et d’éléments de common law, mais qui se distingue également par l’utilisation du français et de l’anglais dans toutes les régions du pays24
La partie III de la Loi porte sur les obligations et les droits linguistiques dans l’administration de la justice à l’échelle fédérale. Les tribunaux fédéraux, qui incluent les tribunaux quasi judiciaires créés par le Parlement, se sont vu imposer des obligations touchant l’emploi du français et de l’anglais dans les procédures civiles.
Dans les dernières décennies, des lacunes importantes ont été cernées, telles que l’absence de garantie que tous peuvent être entendus et compris dans la langue officielle de leur choix à la Cour suprême du Canada, et ce, sans l’aide d’un interprète25; les difficultés entourant la mise à la disposition, dans les deux langues officielles, des décisions des tribunaux fédéraux qui sont d’intérêt et d’importance pour le public; les obstacles freinant l’affichage simultané en français et en anglais des décisions communiquées au public.
Des modifications à cette partie de la Loi s’imposent afin de combler ces lacunes et ainsi de tendre vers la réalisation du principe sur lequel elle repose, c’est-à-dire « l’universalité d’accès dans [l]es deux langues [officielles] en ce qui a trait [...]aux tribunaux »26.
(1) Veiller à ce que tous puissent être entendus et compris dans la langue officielle de leur choix devant la Cour suprême du Canada
Dans le cadre d’affaires civiles devant les tribunaux fédéraux, ceux-ci doivent veiller à ce que la personne qui entend l’affaire comprenne le français ou l’anglais, ou les deux, selon la ou les langues choisies par les parties. Toutefois, cette obligation prescrite à l’article 16 de la Loi ne s’applique pas à la Cour suprême du Canada, celle-ci bénéficiant d’une exemption.
Le commissaire et ses prédécesseurs ont constamment soutenu et réitéré que, « [p]our siéger à la Cour suprême, le bilinguisme est une compétence fondamentale »27. Des propos semblables ont résonné chez des intervenants intéressés aux langues officielles et plusieurs parlementaires depuis déjà maintes années28.
Alors que la question de la nomination ne concerne pas la Loi, le retrait de cette exception assurerait aux justiciables qui comparaissent devant la plus haute cour du pays d’être compris par les juges qui entendent l’affaire, dans la langue qu’ils auront choisie, et ce, sans l’aide d’un interprète.
Ainsi, bien que cette proposition ne constitue pas un remède complet au problème de nomination de juges bilingues à la Cour suprême du Canada, une telle modification législative contribuerait à un meilleur accès à la justice pour de nombreux Canadiens dans la langue officielle de leur choix.
Recommandation 1
Le commissaire aux langues officielles recommande le retrait de l’exception visant la Cour suprême du Canada à l’article 16 de la Loi sur les langues officielles.
(2) Assurer un meilleur accès aux décisions des tribunaux fédéraux qui sont d’intérêt et d’importance pour le public
Après avoir été rendues par les juges, l’ensemble des décisions définitives des tribunaux fédéraux doivent être mises à la disposition du public dans les deux langues officielles, par leur dépôt au greffe. Cette étape s’inscrit dans le cadre d’un processus judiciaire, qui est régi par la partie III de la Loi. Ainsi, lorsque les décisions sont « mises à la disposition du public », elles ne sont pas « communiquées » au sens de la partie IV de la Loi29.
Par ailleurs, cette mise à la disposition du public dans les deux langues officielles est sujette à différents délais. En effet, l’article 20 de la Loi prévoit que, dans certaines circonstances, les décisions définitives doivent l’être simultanément dans les deux langues officielles et, dans d’autres, la version dans l’autre langue officielle doit être disponible dans les meilleurs délais30.
Depuis déjà plusieurs années, l’application de cette disposition présente des défis importants pour les tribunaux fédéraux. Déjà en 1999, le commissaire Victor Goldbloom avait noté qu’en raison notamment de contraintes opérationnelles31, il peut s’avérer difficile pour certains tribunaux fédéraux de respecter leurs obligations prévues à l’article 2032. Il avait notamment recommandé des modifications législatives afin d’assurer la pleine réalisation des obligations qui y sont énoncées33. Encore tout récemment, le Service administratif des tribunaux judiciaires, qui offre des services à la Cour d’appel fédérale, à la Cour fédérale, à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada ainsi qu’à la Cour canadienne de l’impôt, indiquait que le manque de ressources, et les délais encourus en conséquence, sont des obstacles majeurs qui l’empêchent de satisfaire efficacement aux exigences de l’article 2034.
Bien qu’elles datent de deux décennies, les recommandations de Victor Goldbloom sont toujours aussi pertinentes aujourd’hui. En effet, l’obligation de mettre à la disposition du public toutes les décisions définitives des tribunaux fédéraux dans les deux langues officielles a une très grande portée. Elle impose la traduction, dans l’autre langue officielle, de décisions qui sont factuelles et qui ne présentent aucune importance pour le public. Cela a pour effet d’imposer à bon nombre de tribunaux fédéraux l'obligation de rendre disponible dans les deux langues officielles une multitude de décisions issues de procédures unilingues qui sont purement factuelles35. Un examen des justifications entourant la nécessité de rendre disponible dans l'autre langue officielle de telles décisions devrait être effectué36.
Cette évaluation permettrait d’assurer que les décisions ayant une valeur de précédent ou présentant une importance pour le public soient mises à sa disposition dans les deux langues officielles plus rapidement, en plus d’assurer une gestion efficace des fonds alloués aux tribunaux fédéraux pour traduire ces décisions dans les deux langues officielles.
Recommandation 2
Le commissaire aux langues officielles recommande d’assurer, par voie législative, que le public a un meilleur accès, dans les deux langues officielles, aux décisions définitives des tribunaux fédéraux qui sont d’intérêt et d’importance pour le public.
(3) Garantir une communication simultanée des décisions des tribunaux fédéraux
La communication au public des décisions des tribunaux fédéraux, notamment par l’affichage sur Internet, est une étape ultérieure au prononcé du jugement. Contrairement à la « mise à la disposition du public » explicitée ci-haut, ce service ou cette communication sort du champ d’application de la partie III de la Loi37 et s’inscrit plutôt dans la sphère des obligations prévues à la partie IV.
Des précisions sont ainsi nécessaires afin d’assurer que les tribunaux communiquent leurs décisions au public dans les deux langues officielles de façon simultanée.
Ce problème a été souligné à quelques reprises dans les dernières années, non seulement par le commissaire Graham Fraser38, mais également par le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes39.
En effet, la différence d’interprétation actuelle quant à l’application de l’article 20 ou de la partie IV de la Loi pour les décisions des tribunaux fédéraux qui sont affichées sur Internet crée un obstacle important à leur accès, dans les deux langues officielles, par le public canadien. Il en résulte qu’un grand nombre de décisions judiciaires qui sont d’importance fondamentale pour les Canadiens se trouvent à n’être accessibles que dans une langue officielle40.
Par conséquent, une modification, soit à l’article 20 ou encore à la partie IV, doit être apportée afin de clarifier les obligations linguistiques applicables.
Recommandation 3
Le commissaire aux langues officielles recommande d’assurer, par voie législative, que lorsque les décisions des tribunaux fédéraux sont communiquées au public, cela doit être fait simultanément dans les deux langues officielles.
Pour que les obligations en matière de communications et de prestation des services soient claires et répondent aux besoins de la population canadienne
Le droit fondamental du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre des deux langues officielles tire sa source de l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés. Bien que l’article 20 de la Charte reconnaisse que ce droit peut être exercé par le public, son objet est avant tout réparateur car il vise surtout à permettre aux minorités de langue officielle de consolider leur identité, de favoriser leur vitalité, de se développer et de s’épanouir41
Suivant les différentes initiatives législatives passées et récentes visant la modification de la partie IV de la Loi42 et du règlement connexe, le commissaire a déposé, en mai 2018, un rapport spécial au Parlement portant sur la révision du Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services. Dans ce rapport, des enjeux pressants ont été soulevés, par exemple la définition exclusivement quantitative de la « demande importante » et l’effet d’exclusion qu’elle a sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire, l’application incohérente et non uniforme du Règlement, ainsi que l’absence de précisions et de renseignements pouvant faciliter la mise en œuvre de l’offre active43.
Malgré que l’avant-projet du nouveau Règlement déposé au Parlement en octobre 2018 présente d’importantes améliorations, il contient toujours des lacunes qui avaient pourtant été cernées dans ce rapport spécial au Parlement, par exemple la présence de critères exclusivement quantitatifs. En effet, même si, à première vue, le nouveau critère de vitalité semble être de nature qualitative, il repose sur le droit à l’éducation dans la langue de la minorité, qui ne peut être revendiqué que « là où le nombre le justifie »44. Cette approche à l’offre de service dans les deux langues officielles ne s’inscrit pas dans la vision d’une loidont les parties et les cadres réglementaires qui en découlent visent la pleine réalisation de ses objectifs.
La modernisation de la Loi est ainsi l’occasion pour le gouvernement de reconsidérer certaines de ces lacunes et d’apporter des changements qui sont à la hauteur de l’importance du rôle que joue la partie IV de la Loi dans les interactions entre le gouvernement fédéral et la population canadienne. Les cinq principes présentés dans le rapport spécial au Parlement45 demeurent tout aussi pertinents dans la réflexion plus globale du gouvernement sur la modernisation de la Loi.
En plus de ces considérations, d’autres aspects de la partie IV méritent une attention particulière et font l’objet de recommandations précises. D’une part, les obligations des institutions fédérales qui transigent avec le public voyageur doivent être clarifiées. D’autre part, la portée et le contenu de l’obligation de faire l’offre active doivent être précisés. D’ailleurs, les lacunes associées à ces éléments ont été soulignées dans le rapport spécial au Parlement.
(1) Clarifier les obligations des institutions fédérales qui transigent avec le public voyageur
Les institutions fédérales qui sont appelées à servir le public voyageur sont souvent le premier point de contact des visiteurs au Canada. Malheureusement, certaines de ces institutions ont de la difficulté à comprendre et à intégrer l’idée que le français et l’anglais doivent être traités de façon égale en tout temps dans leurs interactions avec le public. En effet, dans son rapport annuel 2010-2011, le commissaire Graham Fraser avait soulevé que les administrations de la plupart des grands aéroports canadiens font une lecture minimaliste de la Loi et qu’ils continuent « d’interpréter leurs obligations linguistiques de manière restrictive, comme si ces dernières s’appliquaient seulement au public voyageur plutôt qu’au grand public, et comme si la Loi n’était en vigueur que dans la zone réservée aux voyageurs, et non dans le reste de l’aéroport »46. Il est d’ailleurs à noter que cette interprétation ne semble pas conforme à l’intention du législateur reflétée dans les débats de 198847.
Une recommandation demandant des changements législatifs avait aussi été formulée dans le rapport annuel 2010-201148. Cependant, la recommandation est demeurée lettre morte et le problème perdure.
La modernisation de la Loi présente l’occasion de clarifier le libellé de l’article 23 afin de veiller à ce que les institutions fédérales qui transigent avec le public voyageur ne limitent pas la portée de leurs obligations par une lecture restrictive des articles 22 et 23.
Recommandation 4
Le commissaire aux langues officielles recommande que des modifications législatives soient apportées afin de clarifier les obligations des institutions fédérales qui transigent tant avec le public voyageur qu’avec le grand public.
(2) Préciser la portée et le contenu de l’obligation de faire l’offre active
L’offre active est une composante essentielle de l’application efficace de la partie IV de la Loi. Cette obligation, ajoutée en 1988, exige des institutions fédérales de faire « une invitation ouverte au public à utiliser une de nos deux langues officielles lorsqu’il communique avec le gouvernement fédéral ou en reçoit un service. Celle-ci comprend un accueil bilingue, comme “Bonjour! Hello!” ainsi que des repères visuels, comme des enseignes, qui renforcent cette invitation »49.
Durant les consultations menées par le Commissariat en 2018, plusieurs participants ont soulevé des lacunes systémiques dans le respect de l’obligation de faire l’offre active par les institutions fédérales. En effet, l’interprétation de la portée de l’obligation de faire l’offre active ainsi que sa mise en œuvre par les institutions fédérales demeurent très variables. Il en résulte que, dans des situations où il y a un service direct au public, les institutions fédérales ont de la difficulté à maintenir une offre systématique et généralisée50. Pourtant, cette obligation joue un rôle crucial dans l’objectif de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais51. Son importance, plus particulièrement dans le contexte de l’insécurité linguistique, a d’ailleurs été confirmée lors des consultations du Commissariat avec des membres de communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Les consultations ont aussi révélé que, sans un service de qualité égale dans les deux langues officielles suivant l’offre active, cette obligation est vide de sens.
Par conséquent, le commissaire propose la clarification de la portée et du contenu de cette obligation, notamment par l’adoption d’un règlement conformément à l’article 33, qui serait complémentaire à l’actuel règlement adopté conformément à l’article 32 de la Loi.
La proposition de réglementer l’offre active n’est pas nouvelle. Le commissaire D’Iberville Fortier en faisait déjà mention en 1990 en indiquant que, compte tenu du rôle central de l’offre active, les droits du public, les obligations de l’administration fédérale en la matière ainsi que les conditions de son existence devraient être clairement établis52.
Un règlement pourrait préciser dans un préambule ou une clause d’interprétation que l’offre active est un facteur de progrès vers l’égalité réelle et que, lorsqu’elle est requise aux termes de la partie IV de la Loi, cette obligation constitue la première étape vers la prestation de services de qualité égale dans les deux langues officielles53.
Les articles du règlement pourraient établir, par exemple, des règles plus précises sur le moment où l’offre active doit être faite, par qui ainsi que la manière dont doit se faire la transition vers la communication ou le service dans la langue choisie par le membre du public. On pourrait également y voir des mécanismes de reddition de compte ainsi que l’élaboration de principes d’application, de directives, d’instructions ou de politiques pour assurer le respect de cette obligation.
Ci-dessous se trouve une courte description de propositions concrètes qui, selon le commissaire, devraient se retrouver dans un règlement sur l’offre active :
Personnes tenues de faire l’offre active
Des informations sur les personnes qui sont tenues de faire l’offre active (par exemple, des employés occupant des postes unilingues pourraient devoir faire une offre active verbale dans certaines situations).
Moment et manière de faire l’offre active
Des directives sur le moment où l’offre active est requise et quand d’autres moyens visuels ou technologiques peuvent ou doivent être utilisés54.
Transition vers la communication ou le service
Des procédures et des normes de service sur la façon dont l’offre active est suivie d’un service dans l’une ou l’autre des langues officielles tout en respectant le principe de l'égalité réelle (par exemple diriger le client vers un collègue bilingue, établir des normes de service régissant le temps d'attente, etc. ).
Maintien de la capacité organisationnelle
Des règles générales pour les institutions fédérales sur la conception des services et l'organisation des employés afin de garantir la capacité continue de faire de l’offre active de service dans les deux langues officielles, y compris l'offre active verbale, là où la Loi l’exige.
Endroits où les services sont offerts dans les deux langues officielles
Des règles pour informer le public sur les endroits où les services sont offerts dans les deux langues officielles (par exemple quels bureaux ont des obligations linguistiques et avec qui le public devrait communiquer pour recevoir ces services). Ces règles comprendraient également une obligation de mettre à jour régulièrement cette information. Cette composante est essentielle à une mise en œuvre efficace de l’obligation de faire l’offre active.
Promotion des services disponibles auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire
Un encouragement pour l’ensemble des bureaux des institutions fédérales (désignés bilingues et unilingues) de promouvoir55, auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire, les services offerts ou fournis dans les deux langues officielles, plus particulièrement ceux répondant à leurs besoins particuliers. De plus, le règlement devrait prévoir un encouragement pour l’ensemble des bureaux des institutions fédérales à indiquer les endroits où ces services pourraient être obtenus lorsqu'ils ne sont pas disponibles dans la langue officielle de la minorité. Des processus de consultation et de rétroaction auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire devraient être instaurés afin que les services soient offerts de manière adéquate56.
Gouvernance
Des mécanismes de responsabilisation et de reddition de compte57.
Élaboration de principes d’application, de directives, d’instructions ou de politiques
Un règlement qui comprend l’obligation, pour l’organisme central responsable58, d’élaborer des principes d’application, des directives, des instructions ou des politiques afin d’appuyer les institutions fédérales dans la mise en œuvre de toutes les obligations énoncées dans le règlement. La mise en place d’un système d’incitatifs à l’intention des employés fédéraux pourrait y être comprise. Un tel système pourrait contribuer à changer les perceptions de plusieurs employés fédéraux concernant leur obligation de faire l’offre active59. En effet, il pourrait donner une image plus positive de l’obligation et ainsi contribuer à changer les attitudes des employés et des hauts fonctionnaires fédéraux.
Recommandation 5
Le commissaire aux langues officielles recommande la clarification de la portée et du contenu de l’obligation de faire l’offre active, notamment par l’adoption d’un règlement.
Pour que les droits et les obligations en matière de langue de travail dans la fonction publique fédérale soient clairs et actuels
Il faut faire en sorte que l’utilisation et l’apprentissage des langues officielles deviennent conviviaux dans le milieu du travail. En sensibilisant ainsi les fonctionnaires, on réitère notre engagement à offrir des services à la population canadienne en français et en anglais60
Dans sa forme actuelle, la partie V de la Loi confère des droits qui sont sujets à des limites géographiques précises. En effet, les obligations des institutions fédérales en matière de langue de travail sont restreintes à la région de la capitale nationale ainsi qu’aux régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail énumérées dans la circulaire no 1977-46 du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique61, un document datant de 1977.
Depuis la création de cette circulaire et l’ajout à la Loi en 1988 des droits en matière de langue de travail, la société canadienne et les milieux de travail au sein de la fonction publique ont grandement changé. Les institutions fédérales offrent à leurs employés une flexibilité et une mobilité qui sont étrangères à la réalité qui caractérisait la fin du 20e siècle. L’émergence d’équipes virtuelles62, les répercussions de la restructuration au sein de plusieurs institutions fédérales, le foisonnement de la pratique du télétravail à partir d’une région autre que celle où est situé le poste et la relocalisation de sièges sociaux sont toutes de nouvelles situations qui ne cadrent plus avec la partie V de la Loi.
De plus, ces droits en matière de langue de travail sont rattachés à des divisions géographiques fixes qui n’ont pas été mises à jour depuis plus de 40 ans. Ces divisions sont aujourd’hui complètement déconnectées de la valeur fluctuante associée à la « demande importante » de la partie IV de la Loi, qui cible les bureaux où les employés fédéraux doivent communiquer avec le public canadien et lui offrir des services dans les deux langues officielles. Cette déconnexion crée une application antinomique des parties IV et V de la Loi et nuit à la pleine réalisation de leurs objectifs. En effet, lorsqu’un employé doit communiquer avec le public ou le servir dans les deux langues officielles (partie IV), il sera mieux à même de remplir ses fonctions si son environnement de travail est propice à l’usage effectif des deux langues officielles (partie V). Il va sans dire que les institutions fédérales qui valorisent l’égalité du français et de l’anglais dans leurs propres milieux sont davantage aptes à fournir des services de qualité au public et à communiquer avec lui dans les deux langues officielles.
L’exercice de consultation du Commissariat a également confirmé qu’un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles au sein des institutions fédérales contribue de façon importante à l’atteinte des objectifs de la partie IV.
Manifestement, une actualisation importante de la partie V est nécessaire, puisque les limites géographiques sur lesquelles elle repose mènent à une application incohérente et inefficace.
À la lumière de ces considérations, le commissaire recommande que les droits en matière de langue de travail (partie V) s’appliquent également à tous les bureaux et points de service fédéraux devant communiquer avec le public et lui offrir des services dans les deux langues officielles (partie V). Cela assurera une cohérence entre les dispositions des parties IV et V de la Loi.
De plus, le commissaire recommande l’adoption d’un règlement, conformément à l’article 38 de la Loi. Le règlement pourrait notamment contenir une clause assurant la continuité des droits en matière de langue de travail dans les bureaux situés dans les régions qui sont présentement désignées bilingues aux fins de la langue de travail dans la circulaire. Il pourrait également prévoir la mise à jour fréquente de la liste de ces régions pour tenir compte de tout changement apporté à la désignation bilingue de bureaux conformément à la partie IV. La liste modifiée pourrait être en annexe au règlement.
Recommandation 6
Le commissaire aux langues officielles recommande des modifications législatives précises ainsi que l’adoption d’un règlement régissant les droits en matière de langue de travail afin :
- d'assurer la cohérence des droits en matière de langue de travail avec les obligations en matière de communications et de prestation des services prévues à la partie IV de la Loi sur les langues officielles et au Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services;
- d’assurer la continuité des droits en matière de langue de travail dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail et de mettre à jour la liste de ces régions.
Au-delà de la question de savoir où les employés fédéraux devraient bénéficier de droits en matière de langue de travail, la nature des services que les institutions fédérales doivent offrir à leurs employés dans les deux langues officielles, présentement énumérés à l’article 36 de la Loi, fait l’objet d’interprétations et d’applications inégales et l’obligation d’offrir ces services n’est pas toujours respectée. Sans décision d’un tribunal qui permettrait de bien définir la nature des services, un règlement et des modifications à la Loi sont nécessaires pour clarifier davantage son contenu, et notamment y inclure expressément le droit à la formation dans les deux langues officielles dans l’ensemble de la fonction publique; composante essentielle à la mise en œuvre de l’objectif de la partie V de la Loi.
Ledit règlement pourrait, d’une part, contenir une liste non exhaustive des droits et des services prévus aux paragraphes 36(1)a) et 36(1)b). Ces droits et services seraient garantis aux employés qui exercent leurs fonctions au sein des bureaux désignés bilingues aux termes de la partie IV de la Loi ainsi qu’aux employés qui œuvrent dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail (partie V de la Loi). D’autre part, le commissaire recommande que les droits liés à la formation et aux services individuels et auxiliaires centraux63 soient garantis aux employés de toutes les institutions fédérales du pays. Presque toutes les institutions fédérales sont déjà dotées, soit par l’entremise de l’École de la fonction publique du Canada ou par l’entremise de services administratifs centralisés, de la capacité d’offrir de tels services dans les deux langues officielles à tous leurs employés. Ces services devraient donc être offerts dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. Une liste non exhaustive des services individuels et auxiliaires centraux garantis par cette nouvelle disposition sur la formation devrait également figurer dans le règlement proposé précédemment.
Recommandation 7
Le commissaire aux langues officielles recommande :
- que des modifications législatives précises soient apportées pour garantir des droits liés à la formation et aux services individuels et auxiliaires centraux à tous les employés du gouvernement fédéral au pays;
- qu’une liste non exhaustive des services individuels et auxiliaires centraux soit incluse dans un règlement régissant les droits en matière de langue de travail.
Enfin, le droit à la supervision dans la langue officielle de son choix est une composante essentielle au maintien d’un environnement de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles. Présentement, le paragraphe 36(1)c) de la Loi fait naître des interprétations divergentes qui mènent à son application souvent trop restrictive. En effet, tel que l’avait décrit la commissaire par intérim, Ghislaine Saikaley, dans son rapport annuel 2016-2017 :
« La Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes du Conseil du Trésor prévoit que, dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail, le droit d’être supervisés dans la langue de son choix n’est accordé qu’aux employés qui occupent un poste dont l’exigence linguistique est « bilingue » ou « réversible ». Le Commissariat, quant à lui, fait valoir que la Loi confère ce droit à chacun des employés de ces régions, sans égard à l'exigence linguistique de leur poste64. »
Ainsi, la Loi modernisée devrait préciser, par une modification au libellé du paragraphe 36(1)c) de la Loi, que chaque employé occupant un poste dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail a le droit d’être supervisé dans la langue officielle de son choix, et ce, sans égard à l’identification linguistique de son poste.
Recommandation 8
Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles précise que chaque employé occupant un poste dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail a le droit d’être supervisé dans la langue officielle de son choix, et ce, sans égard à l’identification linguistique de son poste.
Pour l’élaboration d’un cadre réglementaire qui fortifie l’engagement du gouvernement de favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et de promouvoir les deux langues officielles
Il revient au gouvernement du Canada de faire en sorte que le concept des mesures positives soit compris et que toutes les institutions fédérales respectent leurs obligations. Les objectifs de la partie VII doivent être considérés comme étant concrets. Ils doivent donc faire l’objet d’une planification et être menés à bien par les ministères et les organismes gouvernementaux de façon à assurer l’épanouissement des communautés de langue officielle [en situation minoritaire] et la promotion de la dualité linguistique dans la société canadienne65
La mise en œuvre de la partie VII de la Loi est un défi pour plusieurs institutions fédérales; très peu de lignes directrices sont en place, et ce qui existe n’a pas force de loi. Cette réalité a été soulignée par la Cour fédérale en mai 2018 dans l’affaire Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social). Les propos de la Cour sont sans équivoque :
« Il est indéniable, à mon avis, que la portée de l’obligation contenue à l’article 41 se trouve handicapée par l’absence de règlements. Et, il faut le dire, ce silence réglementaire et l’imprécision qui en découle le sont probablement au détriment des minorités linguistiques au Canada, qui perdent peut-être un bénéfice potentiel attendu de la partie VII66. »
Sans surprise, ce constat a résonné lors des consultations du Commissariat. En effet, les communautés de langue officielle en situation minoritaire rencontrées ont évoqué que les institutions fédérales ne font pas suffisamment de promotion de la reconnaissance et de l’usage des deux langues officielles, ne comprennent pas leurs réalités, n’adoptent pas une approche basée sur le principe de l’égalité réelle face aux besoins particuliers des différentes communautés de l’ensemble du pays ou ne voient pas l’incidence globale de l’application des différentes parties de la Loi sur leur épanouissement.
La Loi prévoit déjà à son paragraphe 41(3) que le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer les modalités d’exécution des obligations de la partie VII. Bien que cela ait fait l’objet de plusieurs discussions, ce pouvoir n’a jamais été exercé. En 2004, le sénateur Jean-Robert Gauthier, qui a parrainé le projet de loi ayant mené aux modifications de la Loi en 2005, militait en faveur d’un règlement afin de préciser la portée des obligations des institutions fédérales en ce qui concerne le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire67. Le commissaire Graham Fraser en a également fait mention en 2010 après avoir noté une application parcellaire des obligations de la partie VII par les institutions fédérales68.
Un tel règlement contribuerait à l’atteinte de l’objectif même de la partie VII, qui est de favoriser la progression de l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles.
En termes de contenu, il pourrait clarifier certains concepts qui caractérisent cette partie de la Loi et établir les paramètres entourant la mise en œuvre des obligations qui incombent à toutes les institutions fédérales de prendre des mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire du Canada et pour appuyer leur développement, ainsi que pour promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Ci-dessous se trouvent quelques propositions concrètes pour un tel règlement, qui assureront une mise en œuvre proactive par les institutions fédérales :
Préambule
Un préambule qui énonce les principes et les objectifs sur lesquels repose le règlement, notamment la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais et l’obligation, pour les institutions fédérales, d’agir de façon à ne pas nuire au développement et à l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire du Canada69.
Définitions
Des définitions pouvant aider à clarifier la portée des deux engagements énoncés au paragraphe 41(1) de la Loi :
- L’engagement visant à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement » pourrait y être détaillé et inclure, à titre d’exemple, les notions se rapportant à la culture, à la prospérité économique et à l’autonomie institutionnelle des communautés de langue officielle en situation minoritaire, c’est-à-dire leur participation active aux processus décisionnels des institutions fédérales en ce qui touche leur développement et leur épanouissement.
- La portée de l’engagement visant la promotion de la « pleine reconnaissance et [de] l’usage du français et de l’anglais » pourrait y être décrite comme touchant l’ensemble des francophones et des anglophones du Canada. Par cet engagement, les institutions fédérales doivent travailler à assurer la progression vers l’égalité de statut des deux langues officielles dans l’ensemble de leurs sphères d’activité. La portée de cet engagement pourrait par ailleurs évoluer pour mieux refléter la diversité du Canada et faire référence à des considérations plus inclusives de la dualité linguistique en reconnaissant que beaucoup de membres de la population canadienne ne s’identifient plus exclusivement comme faisant partie de la communauté anglophone ou de la communauté francophone.
Directives
Des directives claires afin de guider les institutions fédérales dans la prise de mesures positives. Elles pourraient notamment comprendre les précisions suivantes :
- Les mesures positives ne peuvent être des mesures qui sont déjà requises aux termes d’une autre disposition de la Loi ou d’une autre loi adoptée par le Parlement.
- Les mesures positives ne peuvent être prises sans une connaissance préalable des besoins et des intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans les domaines touchant leur développement et leur épanouissement.
- La prise de mesures positives requiert l’intégration proactive de considérations en lien avec les deux engagements de la partie VII de la Loi, dès les premiers stades de la planification, qui guideront les décisions des institutions fédérales, qu’il s’agisse de politiques, de programmes ou d’ententes de financement. Ces considérations doivent guider les institutions jusqu’au stade de la reddition de compte.
Désignation d’institutions fédérales ayant des obligations particulières
L’établissement d’une liste d’institutions fédérales qui seraient désignées pour se voir attribuer des obligations particulières en raison du rôle central qu’elles jouent en lien avec la partie VII de la Loi, plus particulièrement celles qui sont susceptibles d’avoir plus d’incidence sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire ou sur la reconnaissance et l’usage des deux langues officielles. Les obligations particulières en question pourraient notamment toucher :
- La mise sur pied d’un comité consultatif constitué de membres de communautés de langue officielle en situation minoritaire, chargé de conseiller les hauts dirigeants des institutions fédérales désignées sur les priorités de leur communauté respective ainsi que leurs besoins.
- L’obligation de rendre activement et publiquement compte des mesures que les institutions fédérales désignées ont prises en lien avec leurs engagements de la partie VII de la Loi, y compris celles prises à la lumière des recommandations communiquées par le comité consultatif.
- L’obligation de transmettre leurs connaissances et leurs meilleures pratiques aux autres institutions fédérales.
Il est entendu que la désignation de telles institutions ne change en rien l’obligation de toutes les institutions fédérales de respecter la partie VII.
Plan d’action pangouvernemental
L’obligation pour un organisme central de coordonner la mise en œuvre d’un plan d’action pangouvernemental sur les langues officielles. Ce plan d’action devrait enchâsser les engagements actuels du gouvernement fédéral d’assurer la mise en place departenariats entre le gouvernement et les intervenants, les communautés et les organisations du milieu des langues officielles, d’assurer un investissement en matière de langues officielles pour faire face aux défis soulevés par la population ainsi que de garantir une transparence et une reddition de comptes de la part du gouvernement, tout en favorisant la prise de décisions qui s’appuient sur des données probantes70.
Un règlement pour la partie VII de la Loi qui inclurait notamment les éléments suggérés ci-dessus serait un des outils indispensables dont le Canada aurait besoin pour s’assurer que la dualité linguistique et la richesse des communautés de langue officielle en situation minoritaire demeurent vives et au centre des priorités du gouvernement pour les décennies à venir. Le temps est opportun pour donner plein effet à l’intention du législateur, reflété à la partie VII, par l’entremise d’un tel règlement.
Recommandation 9
Le commissaire aux langues officielles recommande que le gouverneur en conseil fixe, par règlement, les modalités d’exécution des obligations que la partie VII de la Loi sur les langues officielles impose aux institutions fédérales. Cet exercice devrait se faire en consultation avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada ainsi qu’avec d’autres groupes intéressés.
Une loi dynamique
Afin de demeurer pertinente au fil du temps, une loi actuelle doit être empreinte de dynamisme. Ce dynamisme signifie non seulement qu’elle doit pouvoir s’appliquer en harmonie avec les changements que vit la société canadienne, mais qu’elle doit également reposer sur des acquis solides pour qu’elle puisse surmonter les défis qui lui sont encore inconnus.
Cristalliser les principes clés qui ont transformé la manière dont les droits linguistiques sont aujourd’hui interprétés et appliqués, assurer un texte de loi neutre sur le plan technologique et, par le fait même, sa pertinence au gré de l’évolution des nouvelles technologies ainsi que garantir un examen périodique de la Loi sont des solutions précises qui contribueront au maintien de ce dynamisme.
Pour une codification des principes jurisprudentiels qui ont façonné la nature et la portée des droits linguistiques au Canada
Le rôle central qu’a joué la jurisprudence dans le développement des droits linguistiques mérite d’être souligné. La codification des principes qui en sont ressortis, dans le préambule de la Loi, permettrait de confirmer que, malgré une réforme majeure, ces principes demeurent tout aussi importants dans l’interprétation et l’application de la Loi. Alors qu’il n’est pas expressément nécessaire de les codifier, la notion de l’égalité réelle71, le caractère réparateur des droits linguistiques72 ou encore le statut quasi constitutionnel de la Loi73 méritent incontestablement une place de choix dans la Loi. Puisque ces trois principes sont au cœur de celle-ci, leur intégration dans la Loi et leur respect sont d’autant plus essentiels pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Bien que le préambule d’une loi ne soit pas source de droit positif, il produit d’importants effets juridiques74. En effet, sa nature interprétative joue un rôle essentiel dans la compréhension de l’objet et de la portée d’une loi75.
Il existe quelques exemples législatifs où des principes jurisprudentiels ont été codifiés dans un préambule, notamment la Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec76. Bien que cette loi fédérale ait été adoptée dans un contexte politique bien particulier, elle demeure intéressante en ce qu’elle cite, dans son préambule, ce que la Cour suprême du Canada a « confirmé », « déclaré » et « conclu ».
La Loi sur les langues officielles du Nunavut constitue également un modèle intéressant en ce que son préambule indique que, « comprenant, vu la nature fondamentale des valeurs et l’importance des objectifs fédéraux, territoriaux et inuit reflétés dans la présente loi, que la Loi sur les langues officielles, doit jouir d’un statut légal quasi constitutionnel »77.
Pour la loi fédérale, il serait possible, à titre d’exemple, de considérer l’ajout au préambule d’un libellé tel que celui-ci :
Attendu :
que la Loi sur les langues officielles jouit d’un statut quasi constitutionnel;
que les droits linguistiques ont un caractère réparateur et qu’ils doivent, dans tous les cas, recevoir une interprétation fondée sur leur objet, d’une façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada;
que l’égalité réelle est la norme applicable en droits linguistiques;
Le commissaire est d’avis qu’une telle codification assurerait une meilleure application de ces principes par les institutions fédérales et surtout une meilleure compréhension de l’importance que ceux-ci représentent dans la mise en œuvre de leurs obligations prévues aux différentes parties de la Loi.
Recommandation 10
Le commissaire aux langues officielles recommande la codification de la notion de l’égalité réelle, du caractère réparateur des droits linguistiques et du statut quasi constitutionnel de la Loi sur les langues officielles dans son préambule.
Pour la prise en compte de l’incidence des nouvelles technologies sur les langues officielles
L’incidence du monde numérique sur l’appareil fédéral dépasse de loin l’imaginaire des rédacteurs de la Loi de 1969 et de celle de 1988. Aujourd’hui, les avancées technologiques ont une incidence certaine sur les obligations des institutions fédérales.
En effet, grâce aux nouvelles technologies, les institutions fédérales peuvent fournir de l’information et des services simultanément à un nombre illimité de personnes. Au-delà de la communication unidirectionnelle, elles peuvent également s’engager dans des dialogues instantanés et continus avec le public. L’utilisation accrue de différents outils de collaboration en ligne et de réseaux sociaux pour faire participer la population aux grands débats et projets gouvernementaux en sont des exemples saisissants. Les institutions fédérales peuvent aussi diffuser par voie électronique des données, de l’information et des documents de façon proactive, une possibilité qui n’existait pas auparavant. Ces nouvelles possibilités, par l’entremise de diverses initiatives visant l’atteinte d’un gouvernement plus ouvert, permettent une transparence et une accessibilité sans pareil, tout en soulevant des enjeux en lien avec les langues officielles.
En effet, un des défis qui se présentera dans l’exercice du gouvernement de se tourner vers un modèle de gouvernement ouvert sera de s’assurer de maintenir la place des deux langues officielles au cœur de cette nouvelle réalité.
C’est pourquoi le concept d’une loi « technologiquement neutre » est une solution appropriée, afin qu’elle puisse aisément s’adapter à la société canadienne, qui est en constante évolution. Ce concept a été mentionné à plusieurs reprises lors des consultations du Commissariat. Par cette expression, les participants parlaient d’une loi qui, par son libellé délibérément général, soit en mesure de s’adapter tant aux nombreux changements observés dans les dernières années qu’à ceux qui se manifesteront dans l’avenir. Ainsi la Loi modernisée ne devrait pas être dépassée par les nouvelles technologies, mais devrait plutôt demeurer pertinente malgré le passage du temps.
Prise sous un autre angle, cette neutralité technologique a pour finalité de garantir le plein respect du principe de l’égalité réelle en assurant que, peu importe l’outil choisi, les institutions fédérales respectent les fondements de ce principe, c’est-à-dire l’égalité de statut et d’usage des deux langues officielles78 ainsi que d’accès à des services de qualité égale79. D’ailleurs, la recommandation précédente visant la codification du principe de l’égalité réelle est nécessaire dans ce contexte afin que le principe demeure pleinement applicable en dépit de l’apparition de nouveaux outils qui pourront être élaborés et utilisés par l’appareil fédéral pour communiquer avec le public.
Bien que la Loi doive déjà être interprétée à la lumière du contexte contemporain80, le commissaire voit en cette approche l’occasion pour le Parlement d’adopter une loi modernisée qui garantit le plein respect des droits qui y sont enchâssés, tout en tirant profit des possibilités et des avantages que nous procure l’évolution fulgurante des nouvelles technologies.
Afin d’accomplir cet objectif, la révision de chacune des dispositions de la Loi est nécessaire pour qu’elles ne réfèrent à aucun outil précis de communication, qu’il soit traditionnel ou novateur.
Le gouvernement pourrait également s’inspirer de l’exemple de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada81 et inclure des définitions de termes reliés à la communication, à la publication et à la documentation afin que la forme ou le moyen utilisé ne soient pas limitatifs82. Par exemple, les termes « imprimé », « enregistrement » ou « en ligne » pourraient restreindre l’application d’une disposition. Ainsi, les termes seraient définis de telle sorte qu’ils ne limiteraient pas la portée de la Loi malgré l’évolution des technologies.
Le commissaire souligne qu’une loi technologiquement neutre ne signifie pas qu’elle diminuera l’importance de l’obligation qu’ont les institutions fédérales qui communiquent avec le public d’utiliser les moyens qui leur permettent d’assurer une communication efficace, plus particulièrement pour joindre les communautés de langue officielle en situation minoritaire83. Au contraire, une communication efficace signifie que les institutions fédérales doivent choisir le moyen approprié à la réalité de la clientèle visée. En effet, les médias écrits peuvent, dans certaines circonstances, être le véhicule de communication à privilégier pour atteindre ces communautés, cela étant une manifestation nette de l’égalité réelle.
Recommandation 11
Le commissaire aux langues officielles recommande l’élaboration d’une loi technologiquement neutre qui a pour finalité de garantir le plein respect du principe de l’égalité réelle.
Pour un examen périodique de la Loi
Au cours des trois dernières décennies, la mise en œuvre de la Loi a présenté un nombre croissant de défis. En effet, les formes modernes de communication, les nouvelles réalités et possibilités professionnelles dans la fonction publique fédérale ou encore, plus généralement, l’évolution des droits linguistiques ont tous levé le voile sur les lacunes qu’elle présente. En conséquence, nous nous retrouvons avec une loi qui ne peut qu’évoluer grâce à l’interprétation qu’en font les tribunaux. Elle demeure ainsi difficilement adaptable face à l’évolution rapide de la société canadienne.
Un examen périodique de la Loi représenterait une occasion importante pour le Parlement d’évaluer son bon fonctionnement et d’étudier les modifications qui pourraient y être apportées.
Cette proposition est compatible avec la proposition récente du gouvernement fédéral d’inclure une disposition de révision décennale au Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services84. Elle répondrait également aux préoccupations des intervenants consultés qui étaient d’avis que la Loi doit pouvoir s’adapter aux enjeux contemporains en matière de langues officielles.
L’ajout à la Loi d’une telle obligation existe déjà aux niveaux fédéral, provincial et territorial85. Comme c’est le cas dans la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, le commissaire est d’avis qu’une clause de révision périodique est pourvue d’un délai maximal dans lequel la révision doit être effectuée86. Afin de favoriser la transparence, cette révision devrait également inclure une composante permettant la participation de la population canadienne au processus87.
En effet, cela permettrait d’éviter que la Loi ne devienne désuète en prévoyant sa révision à la lumière des enjeux que son application soulève, une occasion qui est à ce jour absente.
Recommandation 12
Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout d’une disposition prévoyant un examen périodique obligatoire de la Loi sur les langues officielles.
Une loi robuste
Alors qu’actualiser la Loi et la doter d’un dynamisme sont essentiels, celle-ci ne pourra être pleinement mise en œuvre que si elle est pourvue de la robustesse nécessaire et d’une structure forte et compréhensible. C’est pourquoi il est crucial que le gouvernement réfléchisse sérieusement aux changements structurels qui devraient y être apportés, y compris en matière de gouvernance et de conformité. En ce qui concerne la conformité, la réflexion doit notamment porter sur les outils dont dispose le commissaire pour mener à bien ses enquêtes ou encore faire respecter ses recommandations.
Les expressions « reddition de compte », « imputabilité » et « mordant » ont été répétées à maintes reprises lors des consultations du Commissariat. La majorité des intervenants consultés ont été clairs : ils perçoivent un problème de gouvernance et de conformité face à la Loi. Selon la plupart d’entre eux, une loimodernisée doit prévoir des mécanismes de conformité pour en assurer une meilleure mise en œuvre et un meilleur respect.
Un consensus clair émerge des consultations : limiter la révision de la Loi à une simple mise à jour de ses articles sans revoir les responsabilités des différents joueurs clés et sans examiner les moyens d’assurer son respect serait une occasion manquée de réellement en faire une loi robuste qui encourage une mise en œuvre exemplaire.
Pour l’élimination des obstacles à l’octroi de réparations pour les violations des droits linguistiques
Déjà en 2013, le commissaire Graham Fraser faisait valoir devant la Cour suprême du Canada88 que l’obtention de dommages-intérêts pour la violation des droits fondamentaux garantis par la Loi sur les langues officielles ne doit pas être limitée par d’autres instruments, tels que la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal)89.
En 2015, l’honorable Stéphane Dion avait déposé un projet de loi visant à modifier la Loi sur le transport aérienafin d’y préciser qu’elle n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux prévus par la Loi sur les langues officielles et la Loi canadienne sur les droits de la personne90. À l’occasion du dépôt du projet de loi en question, il précisait :
« Ce projet de loi apporte une solution à un problème qu'il nous faut régler en tant que législateurs, un problème qui amoindrit les droits fondamentaux des Canadiens. Ce projet de loi colmate une brèche dans le bouclier de nos droits.
Le projet de loi établirait clairement que tous les citoyens canadiens qui prennent un vol international régi par la réglementation canadienne peuvent réclamer des dommages-intérêts en cas de manquement aux droits prévus par la Loi sur les langues officielles et la Loi canadienne sur les droits de la personne91. »
En effet, la possibilité de réclamer des dommages-intérêts en cas de manquement aux droits prévus par la Loi permet la reconnaissance de la valeur fondamentale qu’ils incarnent et assure une sanction lorsqu’ils sont violés. L’ouverture à un droit de réparation remplit une fonction essentielle : assurer l'efficacité des droits fondamentaux que le Parlement a voulu protéger.
Outre la possibilité de modifier la Loi sur le transport aérien, la modernisation de la Loi sur les langues officielles est une nouvelle occasion de colmater cette brèche, comme l’exprimait l’honorable Stéphane Dion. Un nouveau paragraphe pourrait être ajouté à l’article 77 de la Loi, précisant que tout instrument, dont la Convention de Montréal, n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits prévus par la Loi, plus particulièrement en ce qui a trait à l’octroi de dommages-intérêts en cas de violation de ces droits.
Recommandation 13
Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout de la possibilité pour la Cour fédérale d’octroyer des dommages-intérêts pour toutes violations à la Loi sur les langues officielles, et ce, sans exceptions.
Pour offrir plus de flexibilité au commissaire aux langues officielles afin qu’il puisse effectuer des enquêtes de manière efficace
L’excellence est l’une des valeurs clés du Commissariat. Dans cet esprit, il vise à toujours mieux servir la population canadienne, notamment par l’amélioration constante de l’efficacité de ses processus d’enquête. Les délais encourus et les répercussions qu’ils engendrent sur les plaignants – voire sur les communautés touchées – sont au cœur des préoccupations du Commissariat. C’est pourquoi le commissaire tente sans relâche de remédier à ce problème avec les moyens dont il dispose. Il en est par ailleurs venu à la conclusion que, sans des changements législatifs permettant plus de flexibilité et de précisions, sa quête vers une efficacité optimale sera toujours vaine.
En possédant les bons outils, le commissaire pourra non seulement bien remplir son rôle d’enquêteur, mais également celui de promoteur afin de responsabiliser le gouvernement et les institutions fédérales face à leurs obligations. En effet, si le commissaire possède les moyens pour faire des interventions qui mèneront à des changements durables chez les institutions fédérales, la population canadienne y verra des résultats concrets.
La modernisation de la Loi est ainsi l’occasion de revoir les outils que possède le commissaire pour la conduite de ses enquêtes et d’évaluer comment le processus d’enquête pourrait mieux servir les Canadiens. Elle offre également l’occasion de cerner comment le commissaire pourrait avoir plus de flexibilité pour que le public puisse pleinement tirer profit de son rôle d’agent de changement par des interventions ciblées et stratégiques.
Alors que plusieurs solutions pourraient certainement contribuer à l’atteinte de ces objectifs, trois changements sont proposés afin d’approfondir la réflexion du gouvernement sur la question.
(1) Traiter les plaintes de manière plus efficace
Selon l’article 58 de la Loi, « le commissaire instruit toute plainte reçue »92, à l’exception de celles en vertu du paragraphe 58(4). Le commissaire peut donc refuser ou cesser d’instruire une plainte si elle est sans importance, futile ou vexatoire, si elle n’est pas faite de bonne foi, si son objet ne constitue pas une contravention à la Loi, à son intention ou à l’esprit du législateur, ou encore si son objet ne relève pas de la compétence du commissaire.
Plusieurs des exceptions énumérées au paragraphe 58(4) se sont avérées difficilement applicables pour les différents commissaires aux langues officielles. D’ailleurs, plusieurs n’ont que très peu été utilisées par le passé. Des exceptions plus claires et précises permettraient au commissaire de mieux circonscrire les situations où il lui serait possible de s’en prévaloir. Ainsi, il aurait la capacité d’intervenir de façon plus stratégique pour régler les enjeux de langue officielle de nature systémique.
D’autres lois en matière de droits linguistiques, de droits de la personne et de droit à l’information permettent une plus grande flexibilité dans le traitement des plaintes. À titre d’exemple, l’instruction d’une plainte pourrait être refusée ou cessée : 1) s’il y a déjà eu enquête sur l’objet de la plainte et si celui-ci a été réglé93; 2) si la plainte a été reçue après l’expiration d’un délai de prescription (par exemple un an depuis l’incident)94; 3) si des mesures correctives ont déjà été prises par l’institution fédérale au moment du dépôt de la plainte ou en cours d’enquête95; 4) s’il n’existe pas suffisamment d’éléments de preuve pour poursuivre l’enquête96.
Il pourrait également être considéré de permettre au commissaire de refuser ou de cesser d’instruire une plainte pour tout autre motif qu’il juge approprié. Un tel ajout lui laisserait la souplesse nécessaire pour des situations futures qui ne cadrent avec aucune des catégories énumérées au paragraphe 58(4) de la Loi. Il est pertinent de rappeler que, peu importe l’ajout de nouvelles exceptions au paragraphe 58(4), le commissaire devra toujours motiver un refus ou une cessation, tel que le prescrit le paragraphe 58(5) de la Loi.
Les exemples ci-dessus viseraient à assurer que les enquêtes du commissaire servent efficacement le public canadien en touchant aux enjeux nouveaux, pertinents ou ayant des répercussions importantes sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ils constitueraient d’excellents points de départ pour la réflexion du gouvernement sur cette question.
Recommandation 14
Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles lui confère plus de flexibilité dans les enquêtes qu’il mène.
(2) Préciser l’obligation en lien avec le secret des enquêtes
Le caractère secret des enquêtes du commissaire, prévu au paragraphe 60(1) de la Loi, vise à préserver l’intégrité du processus d’enquête et à y favoriser la participation des plaignants et des témoins en les protégeant contre toute forme de préjudice pouvant en résulter. Ce caractère secret constitue une composante fondamentale au bon déroulement des enquêtes97, une des fonctions premières du commissaire.
Tout en reconnaissant l’importance du secret des enquêtes, cette obligation n’empêche pas le commissaire de rendre publics ses recommandations, ses conclusions et des sommaires d’enquête. Ces outils visent à appuyer d’autres volets de son rôle, à savoir ceux de promoteur, d’éducateur et d’agent de changement. En effet, ils visent à accentuer la transparence des recommandations et des conclusions émises par le commissaire, mais surtout à combler un besoin de sensibilisation tant envers les institutions fédérales qu’envers le grand public.
Dans l’optique de rendre plus flexible le travail du commissaire et de préciser les moyens dont il dispose pour sensibiliser les institutions fédérales à leurs obligations – et notamment aux conséquences qui peuvent découler en cas de manquement –, un libellé plus précis au paragraphe 60(1) devrait être considéré par le gouvernement.
Recommandation 15
Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles lui permette explicitement de publier ses recommandations, ses conclusions et des sommaires d’enquête.
(3) Préciser la discrétion du commissaire aux langues officielles concernant la transmission de rapports d’enquête au président du Conseil du Trésor
Au terme d’une enquête, et si le commissaire conclut que la plainte qui en faisait l’objet est fondée, un rapport motivé doit être transmis au président du Conseil du Trésor et à l’institution fédérale concernée98.
Si le commissaire pouvait décider quels rapports méritent d’être envoyés au président du Conseil du Trésor, cela lui permettrait d’attirer son attention sur des situations où il note des problèmes d’envergure ou encore des violations systémiques des droits linguistiques.
Cela pourrait être clarifié en modifiant le libellé du paragraphe 63(1) de la Loi afin de faire de cette obligation un pouvoir discrétionnaire.
Il est important de noter qu’au terme d’une enquête, si le commissaire conclut que l’une des mesures prévues au paragraphe 63(1)b) doit être prise, notamment lorsque les lois, les règlements ou les instructions du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor devraient être reconsidérés, l’obligation d’envoi dudit rapport au président du Conseil du Trésor devrait être maintenue.
Recommandation 16
Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles précise sa discrétion en lien avec la transmission de certains de ses rapports d’enquête motivés au président du Conseil du Trésor.
Pour l’ajout de nouveaux mécanismes de conformité aux pouvoirs actuels du commissaire aux langues officielles
Le commissaire possède déjà de vastes pouvoirs d’enquête en vertu de la Loi, notamment celui d’assigner des témoins ou encore de les contraindre à comparaître dans le cadre d’enquêtes99. Il possède également le pouvoir de faire des rapports100 et de formuler des recommandations101, le pouvoir d’examiner des instruments d’application de la Loi ou des instruments visant le statut ou l’emploi des langues officielles102 ainsi que le pouvoir d’ester et d’intervenir en justice103.
Lors des consultations du Commissariat, une préoccupation quant à l’efficacité des pouvoirs qu’il détient une fois les enquêtes conclues, c’est-à-dire le pouvoir qu’il a de faire des rapports et de formuler des recommandations, a été soulevée à plusieurs reprises. Plusieurs ont d’ailleurs déjà suggéré une variété de nouveaux mécanismes, qu’ils soient attribués au commissaire ou à une autre entité, afin d’amener toutes les institutions fédérales à mieux respecter la Loi.
La question d’offrir au commissaire plus de pouvoirs contraignants pour assurer une meilleure conformité a déjà fait l’objet de débats avant même l’adoption de la Loi de 1988104 et a, plus récemment, fait l’objet de recommandations précises par le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes105. Le commissaire considère crucial que le gouvernement réfléchisse à de nouveaux mécanismes de conformité qui s’ajouteraient à ses pouvoirs d’enquêtes, de rapports et de recommandations, ce qui renforcerait sa boîte à outils et amènerait les institutions fédérales à mieux se conformer à la Loi.
Bien que plusieurs options puissent être pertinentes à explorer pour le gouvernement, le commissaire propose trois solutions qui correspondent à la nature de son mandat, c’est-à-dire l’encouragement à une meilleure conformité à la Loi :
- ajouter le pouvoir, pour le commissaire, d’imposer des sanctions administratives pécuniaires;
- ajouter le pouvoir, pour le commissaire, de conclure des ententes exécutoires avec les institutions fédérales assujetties à la Loi, en conjonction avec l’imposition de sanctions administratives pécuniaires;
- ajouter des dispositions assurant que les montants provenant desdites sanctions sont affectés à un fonds pour la dualité linguistique.
(1) Ajouter le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires
Une « sanction administrative pécuniaire » ou une « pénalité administrative pécuniaire » est une sanction qui peut être imposée en cas de violation d’une loi. Ce mécanisme, de nature administrative, vise à favoriser le respect des obligations prévues par la loi en question et n’a aucun caractère punitif106. Plus précisément, il se veut transparent, prévisible, détaillé, uniforme, équitable et impartial107.
En d’autres mots, les sanctions administratives pécuniaires visent à favoriser la conformité à certaines dispositions d’une loi en contrebalançant les mesures incitatives financières associées au non-respect des règles. Considérant la nature même de ce mécanisme, la violation d’une ou de plusieurs dispositions de la Loi doit ainsi avoir eu lieu avant le dépôt de la plainte. Les sanctions pourraient être établies en fonction de la nature de la violation et le montant pourrait reposer sur différents facteurs atténuants et aggravants108. Cet outil représenterait ainsi un moyen efficace d’amener une organisation à se conformer à une loi donnée.
Ce pouvoir permettrait au commissaire de répondre à une large gamme d’actes non conformes à la Loi et, ainsi, de protéger les droits linguistiques du public et des employés fédéraux. Si le commissaire était doté du pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires, une nouvelle division administrative responsable des sanctions, distincte de la division des enquêtes, devrait être créée, et ce, afin de maintenir une impartialité. Cette division s’assurerait que ce nouveau pouvoir ne mine ni la crédibilité ni l’indépendance du commissaire dans sa fonction d’enquêteur 109.
Ce mécanisme est déjà prévu dans différentes lois fédérales, notamment dans la Loi sur les conflits d’intérêts110, dans la Loi sur l’équité salariale111 ainsi que dans la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement112 et dans son Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement113 D’ailleurs, la Loi sur l’équité salariale114 et la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement115 prévoient la possibilité d’imposer des sanctions administratives pécuniaires aux institutions gouvernementales.
Le modèle prévu pour le futur commissaire à l’accessibilité, poste créé dans le cadre du projet de loi C‑81, Loi visant à faire du Canada un pays exempt d’obstacles, est quant à lui très instructif. Ce commissaire, nommé par le gouverneur en conseil116, pourra imposer des sanctions administratives pécuniaires à toutes entités réglementées117, y compris aux institutions fédérales118, pour une contravention à un certain nombre de dispositions de la Loi canadienne sur l’accessibilité ou à une disposition des règlements pris par le gouverneur en conseil en vertu de son article 117119. De plus, dans le cadre de ce pouvoir, le commissaire à l’accessibilité peut notamment conclure avec l’entité réglementée une transaction, qui peut notamment prévoir la réduction partielle ou totale du montant de la sanction120. Le mécanisme de transaction, ou encore d’entente exécutoire, est ainsi prévu en complément à celui des sanctions administratives pécuniaires. Un modèle semblable pourrait également être prévu pour le commissaire aux langues officielles. De plus, des dispositions précises devront également être envisagées, par règlement ou dans une nouvelle partie de la Loi sur les langues officielles, traitant en particulier des sanctions administratives pécuniaires121.
(2) Ajouter le pouvoir de conclure des ententes exécutoires en conjonction avec l’imposition des sanctions administratives pécuniaires
Grâce aux ententes exécutoires, aussi appelées « accords de conformité »122 ou « transactions »123, une entité s’engage à prendre certaines mesures afin de se conformer à ses obligations, qu’elles soient d’origine législative ou non. En d’autres mots, une entente exécutoire est une entente volontaire assortie de conditions ayant pour objectif le respect d’une loi et/ou d’engagements donnés dans un laps de temps précis.
Si la possibilité de conclure de telles ententes était incluse dans la Loi, toutes institutions fédérales y étant assujetties pourraient conclure une entente avec le commissaire afin de mettre en œuvre un certain nombre d’engagements. Ces engagements pourraient, à titre d’exemple, correspondre aux recommandations formulées par le commissaire à l’issue d’une enquête, où une plainte a été jugée fondée et où une violation de la Loi a été confirmée.
Cette piste de solution est intéressante dans l’optique où il est devenu, dans certains cas, plus difficile pour le Commissariat de veiller à ce qu’une institution fédérale respecte ses engagements. L’exemple d’Air Canada est le plus flagrant. Dans le régime actuel, lorsqu’Air Canada accepte de mettre en œuvre des recommandations découlant d’une enquête, il peut être difficile d’assurer un suivi efficace, malgré les nombreuses ressources qui sont engagées dans le processus. Cette situation a d’ailleurs été détaillée dans le rapport spécial au Parlement que le commissaire Graham Fraser a déposé en juin 2016 : « [M]algré les années et les interventions répétées des divers commissaires aux langues officielles, la situation a peu évolué, et les reculs ont été largement plus fréquents que les progrès. Force est de constater aujourd’hui que des problèmes systémiques font obstacle aux améliorations durables124. »
La possibilité de conclure des ententes exécutoires, à titre de complément à l’imposition de sanctions administratives pécuniaires, encouragerait certainement toutes les institutions fédérales à une meilleure conformité. De telles ententes pourraient notamment garantir que le commissaire n’engagera aucune procédure judiciaire ou n’agira pas à titre d’intervenant dans un recours intenté par le plaignant tant que l’accord est en vigueur125. Des modifications à la partie X de la Loi devront ainsi être envisagées.
Plusieurs autres commissaires fédéraux ont la possibilité de conclure des ententes avec des entités privées dans leur loi habilitante, notamment le commissaire à la protection de la vie privée du Canada en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques126, le commissaire aux élections fédérales en vertu de la Loi électorale du Canada127 et la commissaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada en vertu de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada128.
Les ententes exécutoires peuvent également être envisagées pour des institutions gouvernementales. En effet, comme susmentionné, le projet de loi C-81 prévoit que le commissaire à l’accessibilité ait le pouvoir de conclure des transactions avec des entités réglementées, qui comprennent des institutions fédérales, en complément au pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires129.
Ce modèle est ainsi aisément envisageable dans le cadre de la Loi sur les langues officielles, puisqu’il pourrait s’appliquer à tous types d’entités, qu’elles soient publiques ou privées. Le formalisme rattaché à la conclusion d’ententes exécutoires est l’un de ses points forts. Cette possibilité permettrait de faire un suivi rigoureux de la mise en œuvre des engagements d’une institution assujettie à la Loi.
L’ajout de ce mécanisme dans la Loi s’inscrirait ainsi dans une approche favorisant la collaboration en octroyant une chance à l’entité de redresser la situation, tout en garantissant une sanction dans les cas où la non-conformité persiste. De plus, cet outil apporterait au processus une certitude et une clarté qui font actuellement défaut.
(3) Affecter les sommes récoltées à un fonds pour la dualité linguistique
Les montants récoltés par l’imposition de sanctions administratives pécuniaires pourraient servir à l’établissement d’un fonds pour la dualité linguistique. Cette même formule a notamment été adoptée dans le domaine de l’environnement. En effet, la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement prévoit que les sommes reçues par le receveur général en paiement d’une sanction administrative pécuniaire sont utilisées « à des fins liées à la protection, à la conservation, au rétablissement ou à la restauration de l’environnement, ou pour l’administration du fonds »130.
Le commissaire recommande qu’un principe similaire soit adopté dans une loi modernisée. Ce fonds pourrait être géré par une entité indépendante du gouvernement et du Commissariat, et pourrait permettre à la population canadienne de soumettre des propositions de projets en lien avec les objectifs du fonds. Il servirait donc à appuyer des projets prioritaires qui seront avantageux pour les deux groupes linguistiques du Canada131.
Le commissaire tient à préciser que l’existence de ce fonds ne viserait pas à diminuer la portée des obligations des institutions fédérales d’appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire et de faire la promotion de la dualité linguistique. Par conséquent, les institutions fédérales ne pourraient pas se soustraire à leurs obligations de par leur contribution au fonds. Ce fonds constituerait plutôt une occasion de se servir des recettes provenant des sanctions administratives pécuniaires pour appuyer des projets ayant pour objectif général de faire avancer la dualité linguistique au Canada.
Recommandation 17
Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout de nouveaux mécanismes afin d’assurer une meilleure conformité à la Loi sur les langues officielles. Il propose plus précisément l’ajout du pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires, accompagné du pouvoir de conclure des ententes avec les institutions fédérales assujetties à la Loi, ainsi que l’établissement d’un fonds pour la dualité linguistique.
Pour une meilleure gouvernance des langues officielles
[I]l n’existe pas de modèle universel de gouvernance horizontale, mais plutôt une variété d’approches répondant aux particularités de chaque situation. [Je tiens] toutefois à souligner que le dossier des langues officielles se distingue clairement des autres dossiers horizontaux puisqu’il enjoint l’ensemble des institutions fédérales à remplir des obligations communes et qu’il est lié aux valeurs fondamentales et à l’unité nationale du pays132
La structure actuelle en matière de gouvernance pour les langues officielles du Canada présente de multiples lacunes. Plusieurs pourront être réglées par voie législative alors que d’autres nécessiteront des changements importants à tous les échelons de l’appareil gouvernemental.
À l’heure actuelle, la Loi identifie le Conseil du Trésor comme étant responsable de coordonner et d’élaborer des principes et des programmes fédéraux qui se rapportent aux obligations prévues aux parties IV, V et VI de la Loi133 et identifie le ministre de Patrimoine canadien comme étant responsable de susciter et d’encourager la coordination de la mise en œuvre de la partie VII134. Au-delà de ces attributions précises, l’ensemble des institutions fédérales ont des obligations communes afin d’atteindre les objectifs de la Loi.
Cette structure législative soulève différents enjeux. À titre d’exemple, le Conseil du Trésor jouit d’une grande discrétion dans l’accomplissement de ses attributions et n’a aucune responsabilité à l’égard de la partie VII. De plus, le rôle de Patrimoine canadien se limite à susciter et à encourager la coordination de la mise en œuvre de cette partie, qui ne bénéficie donc pas de l’encadrement prévu pour les parties IV, V et VI.
Puisque les institutions fédérales ont beaucoup d’obligations communes, il semblerait approprié qu’elles se concertent pour atteindre collectivement de meilleurs résultats au bénéfice de toute la population canadienne, y compris les membres des communautés de langue officielle en situation minoritaire135. En pratique, cela demande une approche horizontale dont la gestion s’est avérée très complexe et parsemée d’embuches136.
En effet, afin de s’assurer que toutes les institutions fédérales respectent leurs obligations et assument leurs responsabilités de façon efficace, le gouvernement a testé divers mécanismes de coordination pour la gouvernance des langues officielles, qui ont mené à différents taux de succès. Depuis le début des années 2000, il a tenté de confier la responsabilité des langues officielles à un organisme central, puis à un ministère responsable, a désigné des champions dans les institutions, a nommé un comité interministériel composé de sous-ministres, puis l’a supprimé137.
Alors que les différentes structures mises de l’avant jusqu’ici n’ont pas produit les résultats escomptés, la quête vers celle qui permettra un respect rigoureux des obligations de la Loi ne pourra être achevée tant que les aspects clés d’une gouvernance efficace et efficiente sont absents.
Cet enjeu n’en est pas un qui est strictement ressenti au sein du gouvernement, mais a aussi une grande incidence à l’extérieur de l’appareil fédéral. En effet, beaucoup des intervenants consultés par le Commissariat ont indiqué percevoir un problème sérieux de gouvernance, surtout en matière de transparence et de reddition de compte, et ont même proposé différentes solutions afin de mettre en place une structure plus forte et compréhensible.
À titre d’exemple, prévoir l’obligation, comme c’est le cas dans la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick138, d’établir un plan de mise en œuvre globale de la Loi, en plus d’obliger chaque institution à élaborer ses propres plans ainsi que des rapports d’étapes, a été suggéré139. Ces rapports pourraient notamment faire état des objectifs, des progrès accomplis, de la méthode que l’institution aura employée afin d’atteindre les objectifs non réalisés et d’un cadre redditionnel rattaché aux différentes obligations. Cela nécessiterait des changements importants dans la Loi, comme l’ajout d’une partie140 ou même d’un règlement141 traitant particulièrement de ces obligations.
Il a souvent été rappelé que la Loi ne confère à aucune entité l’autorité ou la responsabilité complète de veiller à sa mise en œuvre. L’exemple de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, où le premier ministre détient la responsabilité de l’application de l’ensemble de la Loi142, a été cité. L’attribution, dans la Loi, de cette responsabilité à un organisme central, comme le Conseil du Trésor ou le Bureau du Conseil privé, a aussi été proposée par différents intervenants et à maintes reprises143. L’ajout de la partie VII aux attributions du Conseil du Trésor déjà prévues au paragraphe 46(2)144 et le remplacement du terme « peut » pour « doit » au début du libellé afin que les attributions constituent bien une obligation positive ont été soulevés comme exemples par plusieurs.
Ces solutions reposent sur la prémisse selon laquelle les organismes centraux sont généralement mieux placés pour faire la promotion de l’horizontalité au sein de la fonction publique, puisqu’ils ont un mandat de surveillance de l’élaboration des politiques dans l’ensemble du gouvernement. En effet, les organismes centraux, en particulier le Bureau du Conseil privé, « jouent un rôle important dans la gestion des questions horizontales, notamment en clarifiant les relations parmi les initiatives courantes, en fixant les priorités et en gérant la charge de travail des ministères en matière de politiques »145.
La question est ainsi majoritairement tombée dans un débat à savoir laquelle des entités gouvernementales devrait se voir attribuer la grande responsabilité de veiller à l’application de l’ensemble de la Loi.
Pourtant, plusieurs de ces solutions, prises isolément ou collectivement, contribueraient à la formation de solides fondations pour une meilleure structure législative en matière de gouvernance. Le gouvernement ne pourra y arriver qu’avec des modifications structurelles majeures. Ce sera à lui d’évaluer, parmi toutes celles qui ont été proposées, lesquelles sont les plus pertinentes.
Le commissaire s’intéresse davantage à comment une bonne gouvernance peut être réalisée. En effet, peu importe la structure de gouvernance prévue dans la Loi, si elle est claire et sans équivoque quant aux responsabilités de chacun, cela contribuera à assurer une gouvernance des langues officielles plus intelligible et coordonnée. Ainsi, une bonne gouvernance des langues officielles devra tenir compte des cinq principes suivants :
- établir une direction et un leadership clairs à partir des plus hauts échelons de l’appareil fédéral;
- instaurer un cadre redditionnel cohérent;
- placer les langues officielles au cœur des priorités, de la planification et des activités gouvernementales;
- pratiquer une bonne gestion des langues officielles;
- parer aux reculs en assurant la progression continue vers l’égalité réelle des langues officielles.
(1) Établir une direction et un leadership clairs à partir des plus hauts échelons de l’appareil fédéral
Les porteurs du leadership pour les langues officielles doivent avoir la capacité d’influencer le gouvernement de manière horizontale. Ainsi, les ministres et les hauts dirigeants des institutions fédérales doivent donner le ton en matière de leadership. En plaçant les langues officielles au premier plan décisionnel du gouvernement, il devient évident qu’elles représentent une priorité pour l’ensemble de l’appareil fédéral.
(2) Instaurer un cadre redditionnel cohérent
Un cadre redditionnel clair doit être inscrit dans la Loi pour assurer un engagement continu de l’ensemble de l’appareil fédéral en vue du respect des obligations en matière de langues officielles. Les langues officielles représentant une question de nature horizontale, la mise en œuvre de la Loi est nécessairement une responsabilité partagée par toutes les institutions fédérales. Ainsi, la Loi doit contenir des responsabilités claires et assurer la redevabilité d’une ou de plusieurs autorités responsables de la réglementation, de la conformité, de la surveillance et de la coordination de la mise en œuvre de toutes les parties de la Loi.
(3) Placer les langues officielles au cœur des priorités, de la planification et des activités gouvernementales
Pour que la dualité linguistique prospère, une priorisation pangouvernementale des langues officielles par les organismes centraux est nécessaire. En effet, si les langues officielles sont présentes dans les priorités gouvernementales, elles seront traduites dans les activités, les plans d’action et tous les autres outils utilisés par les institutions fédérales pour mettre en œuvre ces priorités.
De plus, afin de donner plein effet à l’esprit et à l’objet de la Loi, la structure gouvernementale ainsi que les responsabilités en matière de langues officielles qui sont associées à chaque échelon doivent être cohérentes et appropriées. Une démonstration forte de leadership permettra aux institutions fédérales de veiller à ce que les obligations en matière de langues officielles soient pleinement comprises à chacun des échelons, qu’une planification appropriée soit effectuée et que les résultats soient efficacement surveillés.
(4) Pratiquer une bonne gestion des langues officielles
La promotion des langues officielles est la pierre angulaire sur laquelle repose le progrès vers l’atteinte des objectifs de la Loi. Il doit donc exister au sein de l’appareil fédéral un leadership partagé pour assurer la promotion de la dualité linguistique en tant que valeur fondamentale canadienne. Tous les hauts dirigeants des institutions fédérales, y compris les sous-ministres, doivent, avec leurs équipes de cadres supérieurs, être engagés envers les objectifs de la Loi en démontrant leur intérêt pour les langues officielles, notamment en s’assurant de promouvoir leur importance dans leurs milieux de travail. Ils doivent prendre toutes les mesures appropriées dans leurs champs d’activité pour mettre en œuvre l’esprit et l’objet de la Loi. Cela pourra être accompli en s’assurant du caractère durable du respect et de la promotion des langues officielles, notamment par la mise en place et le maintien d’une capacité en langues officielles adéquate. De plus, ils doivent reconnaître la valeur ajoutée des langues officielles et de la dualité linguistique dans une culture qui reconnaît les efforts et qui est orientée vers les résultats.
(5) Parer aux reculs en assurant la progression continue vers l’égalité réelle des langues officielles
La stagnation ou l’absence simple de progrès se traduit par un recul et, lorsqu’il y a un recul ou une stagnation de la progression vers l’égalité réelle, des mesures proactives doivent être déployées pour rajuster le tir. Pour le commissaire, un plafonnement de la mise en œuvre de la Loi n’est pas un résultat acceptable. C’est pourquoi le gouvernement a la responsabilité, lorsque les droits linguistiques sont menacés par son action ou son inaction, de réévaluer la structure de gouvernance afin qu’elle corresponde aux programmes et aux services gouvernementaux qui s’adaptent constamment aux besoins de la société canadienne. Le gouvernement doit de plus prendre des mesures afin de s’assurer qu’une protection adéquate des langues officielles est en place et que l’on continuera de progresser vers l’égalité réelle. Enfin, il est important de rappeler que tous ceux qui œuvrent au sein d’une institution fédérale ont également le devoir collectif de s’assurer qu’il y a une progression vers l’égalité réelle pour l’ensemble des aspects de la Loi.
Pris dans leur ensemble, ces cinq principes ont pour objectif de guider le gouvernement vers la conception d’une gouvernance des langues officielles qui fonctionne. Le commissaire ne saurait trop souligner l’importance de mettre en place une structure de gouvernance forte et appropriée. Sans elle, l’engagement du gouvernement fédéral envers les langues officielles reposera toujours sur une assise précaire et instable.
Recommandation 18
Le commissaire aux langues officielles recommande au gouvernement de considérer les cinq principes suivants afin de doter la Loi sur les langues officielles d’une gouvernance coordonnée et intelligible :
- établir une direction et un leadership clairs à partir des plus hauts échelons de l’appareil fédéral;
- instaurer un cadre redditionnel cohérent;
- placer les langues officielles au cœur des priorités, de la planification et des activités gouvernementales;
- pratiquer une bonne gestion des langues officielles;
- parer aux reculs en assurant la progression continue vers l’égalité réelle des langues officielles.
Quelques exemples de propositions formulées par d’autres intervenants qui méritent une réflexion approfondie
Dans le cadre du discours public sur la nécessité de moderniser la Loi, de nombreux intervenants, provenant de partout au pays et possédant une expérience et une spécialisation dans une variété de domaines, ont formulé des propositions.
Celles-ci ont notamment été soumises dans le cadre de l’étude du Comité sénatorial permanent des langues officielles sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi, devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes et lors des consultations menées par le Commissariat. Ci-dessous se trouvent quelques exemples de propositions que le gouvernement devrait étudier davantage. Cette liste n’est pas exhaustive. En effet, le dialogue sur la question étant en constante évolution, d’autres propositions pourraient s’avérer pertinentes à évaluer pour faire de l’exercice de modernisation de la Loi une réussite.
Programme de contestation judiciaire
Plusieurs intervenants ont suggéré d’enchâsser le Programme de contestation judiciaire dans la Loi. Par cette proposition, ils suggèrent que son existence et sa pérennité, plus particulièrement pour le volet ayant trait aux droits linguistiques, soient assurées146. En effet, l’existence du volet sur les droits linguistiques a déjà fait l’objet de l’initiation d’un recours devant les tribunaux147 ayant mené à la création, en 2009, du Programme d'appui aux droits linguistiques.
Considérant que le Programme de contestation judiciaire a été aboli et rétabli par différents gouvernements au fil des années, le commissaire est aussi d’avis que cette proposition, visant à légiférer sur l’existence d’un organisme chargé de financer les recours en droits linguistiques, devrait être envisagée par le gouvernement.
Spécificité du Nouveau-Brunswick
La proposition touchant la reconnaissance dans la Loi de la spécificité constitutionnelle du Nouveau-Brunswick a été formulée par différents intervenants148. Alors que cette proposition se décline en plusieurs suggestions précises, ces dernières visent généralement à reconnaître et à donner effet au statut particulier du Nouveau-Brunswick, à titre de seule province officiellement bilingue au Canada.
Puisque ce statut est reconnu dans la Charte canadienne des droits et libertés, il serait opportun d’avoir une réflexion approfondie sur cette question.
Partie VI de la Loi
La partie VI de la Loi a fait l’objet de discussions tant lors des consultations menées par le Commissariat que dans le cadre d’études entreprises par les deux comités parlementaires des langues officielles149.
Cette partie de la Loi énonce que le gouvernement s’engage, d’une part, à veiller à ce que les Canadiens d’expression française et anglaise aient des chances égales d’emploi et d’avancement dans les institutions fédérales et, d’autre part, à veiller à ce que l’effectif des institutions fédérales tende à refléter la présence au Canada des deux groupes linguistiques. Par ces engagements, la partie VI joue un rôle essentiel dans une meilleure mise en œuvre des autres parties de la Loi. En effet, le commissaire est convaincu que la représentation des deux groupes linguistiques dans les institutions fédérales (partie VI) ainsi que la possibilité pour les employés de travailler dans la langue de leur choix au sein de ces institutions (partie V) entraînent une offre de services de meilleure qualité dans les deux langues officielles (partie IV).
Dans cette optique, le commissaire partage l’avis qu’un meilleur encadrement de cette partie pourrait être considéré par le gouvernement afin de réaliser l’objectif qu’il s’est fixé, notamment pour répondre aux préoccupations exprimées par la communauté anglophone du Québec.
Article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982
L’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit la rédaction et l’adoption des versions françaises des textes constitutionnels qui ne sont officiellement disponibles qu’en anglais150.
Bien que beaucoup d’efforts aient été déployés pour mettre en œuvre cet article, l’objectif d’avoir les textes constitutionnels dans les deux langues officielles n’a pas encore été atteint.
C’est pourquoi, tel que l’ont proposé certains intervenants, comme l’Association du Barreau canadien, devrait être considéré l’ajout d’une disposition à la Loi sur les langues officielles établissant des obligations précises pour le ministre de la Justice du Canada afin qu’il déploie les meilleurs efforts pour faire adopter la version française des textes constitutionnels151. Ces derniers deviendraient ainsi tous officiellement bilingues.
En vue de réaliser cette promesse constitutionnelle, le commissaire partage l’avis que le Parlement doit suivre de près les progrès effectués par le gouvernement dans ce dossier. En effet, aucune raison ne justifie pourquoi cette promesse tarde à être accomplie, alors que ces documents constituent les fondations sur lesquelles reposent le Canada.
Tribunal administratif
Plusieurs intervenants ont soulevé que la création d’un tribunal administratif spécialisé dans les questions portant sur les droits linguistiques serait une option intéressante afin d’offrir un mécanisme d’exécution efficace qui serait plus accessible à la population canadienne. Ce tribunal aurait compétence pour toutes questions se rapportant à la Loi, mais aussi aux autres lois fédérales ayant une incidence en matière de droits linguistiques. Certains intervenants ont même proposé que la Loi devrait prévoir que ce tribunal ait le pouvoir d’imposer des sanctions ou d’émettre des ordonnances de conformité152.
De l’avis du commissaire, l’efficacité d’un mécanisme comme un tribunal administratif dépendra beaucoup du mandat et des pouvoirs que le Parlement décidera de lui donner. Alors qu’il sera important de préciser son fonctionnement éventuel, il s’agit certainement d’une option qui mérite d’être étudiée davantage.
Réflexion pour l’avenir
Le Canada a su se démarquer en jouant un rôle de premier plan sur l’échiquier international en matière de dualité linguistique et d’appui aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il doit être fier du chemin parcouru depuis les cinq dernières décennies afin de faire de la dualité linguistique une force et une caractéristique qui a forgé son identité. Malgré cela, tous les Canadiens doivent rester vigilants pour que cette valeur continue de faire partie de l’esprit collectif du pays. En effet, du travail reste à accomplir pour atteindre pleinement les objectifs de la Loi, l’instrument clé sur lequel repose la dualité linguistique canadienne.
Afin de franchir le seuil d’une véritable égalité du français et de l’anglais, la modernisation de la Loi est aujourd’hui impérative. Les années d’expérience et l’expertise du Commissariat à faire respecter la Loi lui donnent une perspective unique et privilégiée sur les solutions qui pourraient en assurer une meilleure mise en œuvre.
En effet, la Loi devrait être aisément comprise et appliquée par les institutions fédérales qui y sont assujetties. Elle devrait à la fois refléter la réalité dans laquelle la société canadienne évolue et s’y adapter, ainsi qu’offrir des mécanismes et une structure dépourvue d’ambiguïtés qui permettent à tous les acteurs, d’une part, de comprendre leurs obligations et leurs droits, et, d’autre part, de mieux se situer dans le cadre d’application de la Loi. Surtout, la Loi devrait être un tout cohérent, c’est-à-dire que l’interdépendance de ses parties devrait être manifeste, chacune d’entre elles ayant déjà une incidence importante sur les autres.
Que ce soit dans le domaine des communications avec le public et de la prestation des services, de la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale, de la promotion des deux langues officielles ou encore de l’épanouissement et du développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire – le cœur battant de la Loi –, le commissaire est convaincu qu’adoptés dans leur totalité, les modifications législatives et les cadres réglementaires proposés dans ce document auront des retombées tangibles sur l’application de l’ensemble de la Loi.
C’est pourquoi le commissaire propose une vision fondée sur l’obtention d’une loi actuelle, dynamique et robuste, dont la structure est empreinte d’intelligibilité et de cohérence.
En d’autres mots, il propose que la Loi modernisée, ses parties et ses futurs règlements soient – tout simplement – rédigés en complémentarité.
Liste des recommandations
- Le commissaire aux langues officielles recommande le retrait de l’exception visant la Cour suprême du Canada à l’article 16 de la Loi sur les langues officielles.
- Le commissaire aux langues officielles recommande d’assurer, par voie législative, que le public a un meilleur accès, dans les deux langues officielles, aux décisions définitives des tribunaux fédéraux qui sont d’intérêt et d’importance pour le public.
- Le commissaire aux langues officielles recommande d’assurer, par voie législative, que lorsque les décisions des tribunaux fédéraux sont communiquées au public, cela doit être fait simultanément dans les deux langues officielles.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que des modifications législatives soient apportées afin de clarifier les obligations des institutions fédérales qui transigent tant avec le public voyageur qu’avec le grand public.
- Le commissaire aux langues officielles recommande la clarification de la portée et du contenu de l’obligation de faire l’offre active, notamment par l’adoption d’un règlement.
- Le commissaire aux langues officielles recommande des modifications législatives précises ainsi que l’adoption d’un règlement régissant les droits en matière de langue de travail afin :
- d'assurer la cohérence des droits en matière de langue de travail avec les obligations en matière de communications et de prestation des services prévues à la partie IV de la Loi sur les langues officielles et au Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services;
- d’assurer la continuité des droits en matière de langue de travail dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail et de mettre à jour la liste de ces régions.
- Le commissaire aux langues officielles recommande :
- que des modifications législatives précises soient apportées pour garantir des droits liés à la formation et aux services individuels et auxiliaires centraux à tous les employés du gouvernement fédéral au pays;
- qu’une liste non exhaustive des services individuels et auxiliaires centraux soit incluse dans un règlement régissant les droits en matière de langue de travail.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles précise que chaque employé occupant un poste dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail a le droit d’être supervisé dans la langue officielle de son choix, et ce, sans égard à l’identification linguistique de son poste.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que le gouverneur en conseil fixe, par règlement, les modalités d’exécution des obligations que la partie VII de la Loi sur les langues officielles impose aux institutions fédérales. Cet exercice devrait se faire en consultation avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada ainsi qu’avec d’autres groupes intéressés.
- Le commissaire aux langues officielles recommande la codification de la notion de l’égalité réelle, du caractère réparateur des droits linguistiques et du statut quasi constitutionnel de la Loi sur les langues officielles dans son préambule.
- Le commissaire aux langues officielles recommande l’élaboration d’une loi technologiquement neutre qui a pour finalité de garantir le plein respect du principe de l’égalité réelle.
- Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout d’une disposition prévoyant un examen périodique obligatoire de la Loi sur les langues officielles.
- Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout de la possibilité pour la Cour fédérale d’octroyer des dommages-intérêts pour toutes violations à la Loi sur les langues officielles, et ce, sans exceptions.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles lui confère plus de flexibilité dans les enquêtes qu’il mène.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles lui permette explicitement de publier ses recommandations, ses conclusions et des sommaires d’enquête.
- Le commissaire aux langues officielles recommande que la Loi sur les langues officielles précise sa discrétion en lien avec la transmission de certains de ses rapports d’enquête motivés au président du Conseil du Trésor.
- Le commissaire aux langues officielles recommande l’ajout de nouveaux mécanismes afin d’assurer une meilleure conformité à la Loi sur les langues officielles. Il propose plus précisément l’ajout du pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires, accompagné du pouvoir de conclure des ententes avec les institutions fédérales assujetties à la Loi, ainsi que l’établissement d’un fonds pour la dualité linguistique.
- Le commissaire aux langues officielles recommande au gouvernement de considérer les cinq principes suivants afin de doter la Loi sur les langues officielles d’une gouvernance coordonnée et intelligible :
- établir une direction et un leadership clairs à partir des plus hauts échelons de l’appareil fédéral;
- instaurer un cadre redditionnel cohérent;
- placer les langues officielles au cœur des priorités, de la planification et des activités gouvernementales;
- pratiquer une bonne gestion des langues officielles;
- parer aux reculs en assurant la progression continue vers l’égalité réelle des langues officielles.