Monsieur le Président du Sénat
Ottawa
Monsieur le Président,
Conformément au paragraphe 67(1) de la Loi sur les langues officielles, j’ai le plaisir de vous transmettre, aux fins de son dépôt au Sénat, un exemplaire du rapport spécial intitulé En route vers une conformité accrue d’Air Canada grâce à un régime d’exécution efficace.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.
Graham Fraser
Monsieur le Président de la Chambre des communes
Ottawa
Monsieur le Président,
Conformément au paragraphe 67(1) de la Loi sur les langues officielles, j’ai le plaisir de vous transmettre, aux fins de son dépôt à la Chambre des communes, un exemplaire du rapport spécial intitulé En route vers une conformité accrue d’Air Canada grâce à un régime d’exécution efficace.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération.
Graham Fraser
Il n’existe pas un seul problème, technique ou administratif, posé par la réforme linguistique que la Société Air Canada ne pourrait résoudre si son attitude était autre. Malheureusement, elle a abordé la question des langues avec crainte et méfiance et s’est retranchée dans une attitude négative. Il n’est donc pas surprenant que ses employés aient compris que le respect du choix linguistique des passagers ne constituait pas une grande priorité. Cela explique également que le désir légitime de ses propres employés de travailler au moins partiellement dans leur langue officielle d’élection l’ait presque traumatisée1.
Keith Spicer, 1976
Sommaire
Au terme de mes dix ans à titre de commissaire aux langues officielles, il me paraît important de faire état au Parlement de la problématique que constitue le niveau de conformité d’Air Canada à la Loi sur les langues officielles (ci-après, la « Loi
»).
Tout comme mes prédécesseurs, j’ai utilisé, sans succès, divers pouvoirs que la Loi me confère afin de tenter d’obliger Air Canada à mieux respecter ses obligations linguistiques à l’égard du public voyageur. Après des centaines d’enquêtes et de recommandations, après une vérification exhaustive et après deux recours, dont l’un jusqu’à la Cour suprême du Canada, force est de constater que mes multiples interventions, à l’instar de celles de mes prédécesseurs, n’ont pas donné les résultats souhaités. Parmi les institutions assujetties à la Loi, Air Canada a toujours été – et demeure – l’une de celles qui font l’objet du plus grand nombre de plaintes. Ce rapport spécial vise donc à décrire les problèmes actuels reliés à l’application de la Loi au sein d’Air Canada, et à identifier les modifications législatives qui seraient nécessaires pour disposer d’un mécanisme d’exécution efficace.
La Société Air Canada a été bâtie à même les deniers publics, et le Parlement a toujours indiqué que les activités du transporteur aérien national devaient refléter le caractère bilingue du pays. En 1988, lorsqu’Air Canada a été privatisée afin de concurrencer, sur les plans financier et commercial, d’autres compagnies de transport aérien, le Parlement s’est assuré, par l’entremise de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, de l’assujettir à la Loi sur les langues officielles et de maintenir toutes ses obligations en matière de langues officielles.
Plus d’un quart de siècle plus tard, et par suite de nombreuses transformations au sein d’Air Canada répondant principalement à des intérêts financiers et commerciaux, il y a lieu de se demander si le régime linguistique actuel permet d’assurer le respect des droits linguistiques des employés de ses filiales et de ses sociétés sœurs et ceux du public voyageur. Au cours de mes dix ans à titre de commissaire, j’ai fait part au Parlement de la nécessité et de l’urgence d’adopter des modifications législatives à la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada afin, notamment, de combler certains vides juridiques qui perdurent depuis la restructuration majeure de la Société en 2003.
Mon rapport vise à faire le bilan de mes interventions auprès d’Air Canada ainsi qu’à résumer les constats des cinq commissaires qui m’ont précédé, tout en tenant compte des conclusions des comités parlementaires qui ont, eux aussi, examiné les difficultés de conformité d’Air Canada.
En somme, je suis d’avis qu’aujourd’hui, il ne suffit plus de faire des recommandations au terme d’enquêtes et de vérifications ni de rapporter le degré de conformité d’Air Canada dans les rapports annuels déposés au Parlement. La voie juridique est, dans certaines circonstances, le moyen qui s’impose à l’égard des institutions fédérales qui ne respectent pas leurs obligations linguistiques. Toutefois, les commissaires aux langues officielles ont eu recours aux tribunaux pour le cas d’Air Canada sans qu’il en résulte une meilleure conformité. Par conséquent, je propose que la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada soit modifiée afin de clarifier certaines des obligations linguistiques de cette société et de renforcer les mécanismes d’exécution en cas de non-respect, par le transporteur, des droits linguistiques du public voyageur et de ses employés. À cette fin, je propose quelques pistes de solutions qui pourront guider les comités des langues officielles dans leur examen du rapport.
Le présent rapport spécial au Parlement est le dernier outil dont je dispose. J’y propose différentes options pour moderniser le régime d’exécution applicable à Air Canada. Je recommande également au Parlement de confier l’étude de ce rapport, de toute urgence et de façon prioritaire, à l’un des deux comités permanents des langues officielles.
Section 1 — Air Canada : Sous la loupe des commissaires depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles
Introduction
Air Canada est assujettie depuis près de 50 ans à l’ensemble de la Loi sur les langues officielles, d’abord à titre de société d’État par l’entremise de la première Loi sur les langues officielles, promulguée en 1969, puis par l’entremise de l’article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, après sa privatisation en 1988.
Créée par le Parlement en 1937, Air Canada a toujours été perçue comme un symbole de l’identité canadienne, d’une part, parce qu’elle a été bâtie à même les deniers publics, et d’autre part, parce qu’elle porte le nom de notre pays et l’emblème de la feuille d’érable. Comme le faisait déjà remarquer mon prédécesseur Maxwell Yalden, en 1977 :
Air Canada est l’une des institutions fédérales les plus en évidence aux yeux d’un élément aisément identifiable de la population canadienne, le public voyageur. À ce titre, l’obligation qu’a cette Société de respecter la lettre et l’esprit de la Loi sur les langues officielles est d’une importance particulière2.
Même si elle n’est plus une institution fédérale, Air Canada demeure un symbole national. La dualité linguistique est l’une des valeurs fondamentales qui ont façonné l’histoire et l’identité du pays depuis la Confédération. Il n’est donc pas étonnant que, depuis 1969, les commissaires aux langues officielles qui m’ont précédé aient utilisé tous leurs pouvoirs pour veiller à ce qu’Air Canada se conforme fidèlement à ses obligations linguistiques.
Transformation d’Air Canada et du régime linguistique applicable
Air Canada a connu plusieurs transformations depuis 1969 : d’abord, la Société a fait l’acquisition de plusieurs transporteurs régionaux3 dans les années 1990. Puis, en 2001, après sa privatisation, elle a fait l’acquisition de Canadian Airlines International Limited ainsi que des Lignes aériennes Canadien Régional Limitée. Enfin, en 2003-2004, Air Canada a connu une restructuration majeure qui a eu pour effet de morceler sa structure opérationnelle en diverses entités distinctes sur le plan juridique. Ces transformations ont engendré des ambiguïtés sur le plan de l’interprétation et de l’application des obligations prévues par la Loi.
Par exemple, à la suite de la restructuration en 2004, certaines divisions d’Air Canada, telles que les Services techniques Air Canada, Air Canada Cargo et les Services au sol Air Canada, sont devenues des sociétés en commandite relevant directement de la nouvelle société de portefeuille Gestion ACE Aviation Inc., et non plus d’Air Canada. Dans le cas des Services techniques Air Canada, Air Canada a vendu la quasi-totalité des actions qu’elle détenait dans la nouvelle société en 2008 à un consortium étranger, qui est devenu Aveos, tout en continuant de lui prêter nombre de ses employés. Aveos a d’ailleurs cessé ses activités en 2012 avant la fin de mon enquête sur les droits linguistiques des employés ainsi prêtés.
Cette restructuration de l’entreprise a eu des répercussions sur les droits linguistiques des employés d’Air Canada et sur l’efficacité de mes pouvoirs me permettant de veiller au respect de la Loi. En 2004, Jazz (une filiale d’Air Canada assujettie à la Loi avant la restructuration) est également devenue une entité distincte; Air Canada en a vendu ses parts en 2008. Divers vols autrefois assurés par Air Canada et ses filiales sont aujourd’hui effectués par Jazz, un tiers agissant « pour le compte
» d’Air Canada en vertu d’une entente commerciale.
À tout moment, comme ce fut le cas pour Services techniques Air Canada et Jazz, les liens organisationnels entre Air Canada et ses divisions ainsi que ses filiales peuvent changer, entraînant ainsi des ambiguïtés ou des ruptures dans l’application de la Loi au sein d’une nouvelle structure. Par exemple, Jazz n’étant pas assujettie directement à la Loi, le commissaire aux langues officielles ne peut émettre de recommandations ni exercer de recours à son endroit. Cette situation a eu comme effet de rendre plus ardue la tâche d’enquêter sur les plaintes, ce qui a contribué à perpétuer les lacunes et les problèmes de conformité à la Loi.
Avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles de 1988, les premiers commissaires ne disposaient pas du droit de recours devant les tribunaux prévu aujourd’hui à la partie X de la Loi. C’est donc principalement par l’entremise du mécanisme de plaintes et de leur rôle d’ombudsman que ces derniers veillaient au respect de la Loi. Si tous les commissaires, sans exception, ont maintes fois formulé des recommandations à l’égard d’Air Canada, il est également utile de remarquer qu’Air Canada se démarque en étant la seule organisation assujettie à la Loi ayant fait l’objet de recours sous le mandat de chacun des commissaires aux langues officielles en fonction depuis 1988.
Le mécanisme de plaintes : Air Canada en tête de liste
La Société se classe régulièrement parmi les cinq institutions fédérales ayant fait l’objet du plus grand nombre de plaintes4. Plus particulièrement, en matière de service au public, plusieurs enquêtes menées par le commissaire ont montré que les services en vol et au sol ne sont toujours pas de qualité égale dans les deux langues officielles à tous les points de service et pour tous les trajets bilingues.
Parmi les raisons invoquées pour expliquer ses lacunes en matière de conformité, Air Canada a souvent fait référence à l’acquisition des Lignes aériennes Canadian International et au nombre d’employés unilingues qui se sont joints à son effectif en 2001. Air Canada a aussi longtemps justifié son incapacité d’assigner du personnel bilingue aux endroits stratégiques en pointant du doigt les clauses d’ancienneté des conventions collectives. Enfin, elle a également répondu aux enquêtes et aux vérifications du commissaire en insistant sur le rapport peu élevé du nombre de plaintes en matière de langues officielles si l’on tient compte des nombreux points de contact de la Société avec les membres du public voyageur.
Ainsi, malgré les années et les interventions répétées des divers commissaires aux langues officielles, la situation a peu évolué, et les reculs ont été largement plus fréquents que les progrès. Force est de constater aujourd’hui que des problèmes systémiques font obstacle aux améliorations durables.
Des problèmes systémiques qui perdurent
La quasi-totalité des plaintes déposées auprès du Commissariat concerne l’absence de services en français. Déjà, dans son troisième rapport annuel au Parlement, le premier commissaire a déclaré : « Un grand nombre de plaintes reçues par le Commissaire porte sur l’absence de services en français, qu’il s’agisse du personnel de cabine, des publications à l’usage des passagers ou des annonces
»5. En 1972-1973, l’absence de services en français a été rapportée pour divers vols, tels que les liaisons Montréal-Ottawa, Sept-Îles-Montréal et Ottawa-Winnipeg. Or, près de 45 ans plus tard, les mêmes problèmes continuent de faire l’objet de plaintes.
Quand les plaintes se ressemblent et se multiplient même au sujet des vols pour lesquels les obligations linguistiques sont évidentes …
Le 16 février 2006, le service en français n’était pas disponible de la part du seul agent de bord du vol AC8753 d’Air Canada de Montréal à destination de Rouyn-Noranda (Québec).
Vers 12 h 45, le 9 décembre 2009, l’agent de bord n’a pas fait d’offre active dans les deux langues officielles et n’a pas offert de service en français à bord du vol d’Air Canada (AC8991) en partance de Moncton, à destination de Montréal, et ce, même si le plaignant a insisté pour se faire servir en français.
Le 11 mars 2010, vers 19 h, le service en français n’était pas disponible de la part de l’agente de bord sur le vol AC8742 en partance de Montréal et à destination de Bathurst (N.-B.).
Le 12 décembre 2014, à bord du vol AC8759, en partance de Montréal et à destination de Rouyn-Noranda, au Québec, l’offre active de service bilingue et le service en français n’étaient pas disponibles de la part de l’agent de bord. Lorsque la personne a demandé l’heure ainsi qu’une boisson à l’agent, ce dernier n’a pas compris et il a répondu qu’il était unilingue anglais. De plus, toutes les instructions sur les mesures de sécurité (sorties, veste de sauvetage) ont été données par cet agent en anglais seulement.
Le 12 mai 2015, l’offre active de service bilingue et le service en français n’étaient pas disponibles de la part de l’agente à bord du vol AC8739 en partance de Bathurst (N.-B.) à destination de Montréal. De plus, les renseignements livrés en anglais par le pilote n’ont pas été traduits à l’intention des passagers francophones6.
Après dix ans en poste, je suis en mesure de tirer certains constats, découlant à la fois de mon expérience à titre de commissaire de 2006 à 2016 et des analyses des données effectuées par mes prédécesseurs :
- Depuis 1969, Air Canada a toujours fait l’objet d’un nombre élevé de plaintes;
- Les plaintes visent à la fois Air Canada, ses filiales et les tiers qui agissent pour son compte (par ex., les transporteurs régionaux et Jazz);
- La grande majorité des plaintes concernent la langue du service au public, au sol et en vol;
- Les plaignants font aussi souvent valoir l’attitude négative des employés d’Air Canada à leur égard lorsqu’ils ont demandé un service en français.
Encore une fois, ce dernier point n’est pas nouveau. En 1972-1973, M. Spicer avait rapporté ce qui suit : « Plusieurs francophones se plaignent d’avoir été traités cavalièrement par des préposés aux guichets de l’aéroport d’Ottawa qui n’avaient absolument pas cherché à requérir l’assistance de leurs collègues francophones.7
»
Et si la dualité linguistique était vue comme un atout par Air Canada plutôt qu’une contrainte?
Le 31 janvier 2015, l’offre active de service dans les deux langues officielles et le service en français n’étaient pas disponibles de la part d’une agente de bord sur le vol d’Air Canada AC875 de Francfort à Montréal qui s’adressait aux passagers en anglais seulement pendant la distribution des collations. Lorsque la personne qui a déposé la plainte a demandé à l’agente si elle parlait français, cette dernière a répondu par la négative et n’a pas offert d’aller chercher l’aide d’un collègue bilingue. De plus, elle lui a dit que ce vol n’était pas un d’Air Québec, mais d’Air Canada.
Le 25 mars 2015, au comptoir d’enregistrement d’Air Canada à l’Aéroport Billy-Bishop de Toronto, un passager désirant échanger son billet d’avion se présente au comptoir et s’adresse à l’agente en français. Cette dernière réplique : « English
». Le plaignant lui répond qu’il veut être servi en français et l’employée lui dit : « You don’t speak English?
» Le plaignant l’avise, en anglais, qu’il parle parfaitement cette langue, mais qu’il aimerait être servi en français. L’employée a répliqué qu’elle ne parlait pas français et elle a ajouté qu’elle peut le servir en anglais, ainsi que dans trois autres langues étrangères8.
Dans le cadre des enquêtes menées par le commissaire, les réponses d’Air Canada au sujet des plaintes se ressemblent et se répètent. En réponse à mes recommandations, la Société a souvent répondu qu’elle fait un suivi auprès de l’employé concerné, qu’elle fait un rappel général quant à ses obligations linguistiques, ou bien qu’elle rappelle à l’employé sa politique linguistique pour le service au public, qui stipule que l’employé qui n’est pas en mesure de servir un client dans sa langue officielle de préférence doit immédiatement faire appel à un collègue bilingue. Jour après jour, je mène des enquêtes et je formule des recommandations. Mais année après année, je continue de recevoir des plaintes concernant le manque de services à bord des mêmes vols et dans les mêmes aéroports désignés bilingues.
En ce qui concerne la langue de travail, chaque plainte reçue cache souvent un problème répandu au sein de l’organisation. Au fil des ans, les plaintes reçues d’employés signalent l’existence de problèmes récurrents dans les domaines des outils de travail, de la formation et de la supervision, éléments qui sont souvent offerts en anglais seulement. La quasi-totalité de ces plaintes provient d’employés francophones au Québec.
Cinq décennies d’interventions auprès d’Air Canada
Chacun des six commissaires aux langues officielles est intervenu auprès de la direction d’Air Canada, des parlementaires et du gouvernement pour chercher à améliorer la conformité à la Loi du transporteur aérien. Outre les enquêtes par suite de plaintes, la situation d’Air Canada a été examinée dans le cadre des rapports annuels des commissaires, de vérifications, d’enquêtes spéciales et de bulletins de rendement. La liste qui suit permet de rappeler les moments forts d’une saga qui dure maintenant depuis 45 ans.
Keith Spicer
Dès 1970, Air Canada arrive en tête de liste pour le nombre de plaintes reçues contre une institution. Ce sera également le cas pour des années : 1976, 1979, 1980, de 1982 à 1985, 1987, 1992, 1997, 1998, 2001, de 2004 à 2008, 2010 et de 2012 à 2014.
De 1970 à 1972, M. Spicer formulera 59 recommandations à l’intention de la Société, lesquelles résultent de quatre études spéciales9. En substance, il recommande à Air Canada d’offrir activement des services dans les deux langues officielles, comme l’exige la Loi.
En 1976, une étude spéciale assortie de 172 recommandations est publiée. Elle porte sur la langue de travail au siège social d’Air Canada, au Québec, dans les provinces de l’Atlantique et dans la région de la capitale nationale.
À la fin de son mandat, M. Spicer souligne que les résultats obtenus de la part du transporteur aérien ne sont pas à la hauteur des efforts investis par le Commissariat :
Après sept années et quelque 371 plaintes et 232 recommandations, on ne sait plus très bien ce qu’il faut proposer comme améliorations. Toutefois, nous espérons qu’en 1977, Air Canada veillera à faire progresser davantage la réforme linguistique, car aux yeux de nombreux Canadiens, Air Canada représente un «
idéal national» qui ne s’est pas encore concrétisé.10
Maxwell Yalden
En 1978, M. Yalden explique qu’il « est difficile d’établir un équilibre entre la nécessité de rendre justice aux nombreux efforts déployés par la Société et celle de faire état des lacunes importantes qui y existent toujours
»11. Il salue l’installation de guichets bilingues facilement repérables à l’aéroport international d’Ottawa (une mesure temporaire), mais dénonce le bilinguisme « faible, inexistant ou mal utilisé
» d’Air Canada dans de nombreux aéroports11.
En 1980, une vérification des services au public et des programmes de formation technique d’Air Canada a mis en lumière plusieurs améliorations, notamment pour le recrutement de personnel bilingue et l’amélioration des services au sol à Moncton, à Québec, à Montréal et à Ottawa. Par contre, elle révélait des faiblesses importantes à Toronto, à Fredericton, à Saint John’s, à Yarmouth, à Timmins, à Victoria et à New York.
En 1981, Toronto devient le treizième aéroport où certains des comptoirs d’Air Canada comptent du personnel bilingue. Le commissaire constate cependant qu’à certains moments, aucun employé bilingue ne s’y trouve.
En 1983, M. Yalden publie une vérification sur le service au public à bord des avions, dans les aérogares et aux services de réservations. Le document, qui note certains efforts encourageants, comporte 23 recommandations.
D’Iberville Fortier
Air Canada est privatisée au cours de l’été de 1988. Dans son rapport annuel de cette année-là, M. Fortier rapporte qu’Air Canada n’utilise pas toujours son personnel bilingue de façon optimale et que la Société doit poursuivre ses efforts d’embauche d’employés bilingues.
En 1989, il souligne que le service n’est toujours pas facile à obtenir dans la langue de la minorité linguistique et que la répartition du personnel bilingue aux divers points de service (aéroports, billetteries, réservations) paraît encore déficiente. Il mentionne des problèmes concernant les filiales d’Air Canada.
En 1990, M. Fortier publie une vérification visant à évaluer la situation de la langue de travail au Québec, la situation de la langue de service à bord des avions, de même que la politique et les mesures de contrôle pour ces deux aspects du programme des langues officielles. Le rapport de vérification souligne que les difficultés concernant la langue de travail découlent du fait que l’anglais constitue la langue prédominante dans le domaine de l’aéronautique et conclut que le service dans les deux langues officielles à bord des appareils d’Air Canada s’améliorait cependant d’année en année. Sont aussi notés les efforts déployés pour recruter du personnel bilingue et pour assurer la sensibilisation des employés à leurs obligations linguistiques. La vérification résulte en la formulation de 30 recommandations à l’intention d’Air Canada.
Par ailleurs, le commissaire constate qu’Air Canada continue de faire l’objet d’un grand nombre de plaintes concernant le manque de services bilingues aux aéroports. Il a recours aux tribunaux pour résoudre un problème concernant le transporteur12.
En 1991, M. Fortier note plusieurs lacunes dans les annonces diffusées dans les principaux aéroports ainsi que l’absence de services en français aux comptoirs d’Air Canada dans les aéroports d’Halifax, de Moncton, d’Ottawa, de Toronto, de Winnipeg et d’Edmonton.
La même année, le commissaire effectue une vérification des services au sol d’Air Canada dans la région de l’Atlantique. Il conclut qu’en dépit des efforts de l’institution pour améliorer ses services bilingues, diverses lacunes subsistent dans tous les centres de la région de l’Atlantique. Si l’état de la situation est généralement satisfaisant à Moncton et à Halifax, il est passable ou insatisfaisant dans les autres villes visitées. La vérification mène à l’établissement de quatorze recommandations, dont certaines reprennent essentiellement d’autres ayant été formulées au fil de nombreuses années.
Victor Goldbloom
En 1992, des discussions ont lieu avec Air Canada et le Conseil du Trésor au sujet d’un dossier ayant fait l’objet d’un recours et d’un règlement amiable.
En 1993, M. Goldbloom entreprend une enquête approfondie sur l’absence d’offre de services en français de la part des transporteurs régionaux d’Air Canada. Il formule des recommandations à Air Canada au sujet d’autres lacunes relevées.
La même année marque la publication du suivi de la vérification auprès de la base de Dorval d’Air Canada, comme suite à la vérification de 1990. Le rapport du suivi conclut que sur les 23 recommandations faisant l’objet du suivi, 1 ne s’appliquait plus, 7 ont été mises en œuvre, 7 ont été partiellement mises en œuvre, et 8 n’ont pas été mises en œuvre.
En 1994, M. Goldbloom rapporte que les aéroports de Toronto et d’Halifax ont fait l’objet de plusieurs plaintes, et une recommandation est formulée au sujet des services bilingues d’Air Canada à l’aéroport international d’Halifax.
En 1995, le commissaire signale deux grands dossiers en souffrance : les services offerts par les transporteurs régionaux d’Air Canada et les services offerts par la Société dans les aéroports, en particulier à Toronto et à Halifax.
En 1996, M. Goldbloom amorce trois recours judiciaires : un premier vise les services au sol d’Air Canada aux aéroports internationaux d’Halifax et de Toronto, un deuxième concerne les services en vol d’Air Ontario, et un troisième prend la forme d’une demande de renvoi visant à définir la responsabilité d’Air Canada à l’égard de ses transporteurs régionaux aux termes de la Loi.
En 1997, des mécaniciens d’Air Canada déposent 110 plaintes, ultérieurement fondées, au sujet de deux examens techniques offerts en anglais seulement. Par ailleurs, le commissaire conclut une enquête approfondie, avec recommandations, au sujet des services en vol pour les trajets où il existe une demande importante pour des services dans les deux langues officielles.
En 1998, M. Goldbloom souligne que le manque de collaboration d’Air Canada complique souvent la tenue de ses enquêtes.
Dyane Adam
En 1999, Mme Adam lance une vérification afin d’évaluer le système de réservations de la Société Air Canada, à la suite de nombreuses plaintes à ce sujet. Elle formulera cinq recommandations à l’intention du Parlement.
En 2000, le nouvel article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada, amendé par le projet de loi C-26, clarifie les obligations linguistiques applicables à Air Canada et à ses filiales. La commissaire se désiste de la demande de renvoi devant la Cour qui avait été entreprise par son prédécesseur pour clarifier cette question.
En 2002, Mme Adam fait état des résultats d’une plainte selon laquelle les pilotes francophones sont sous-représentés au sein d’Air Canada.
En 2004, la commissaire recommande à Transport Canada d’apporter les modifications législatives qui permettront la protection et le maintien des droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada, quelle que soit la nature des modifications apportées à la structure et à l’organisation de l’industrie du transport aérien.
En 2006, la Société Air Canada se retrouve de nouveau à la tête des institutions ayant fait l’objet du plus grand nombre de plaintes, lequel avait diminué pendant sa restructuration.
Graham Fraser
Air Canada reçoit la note globale de C dans le cadre de l’exercice des bulletins de rendement 2007-2008, mais un D pour la composante sur les services au public, notamment à cause de l’offre active qui n’a été faite que dans 8 % des cas observés.
En 2009, je réitère la recommandation faite par Mme Adam en 2004 concernant la nécessité d’un projet de loi ayant pour but de clarifier les obligations linguistiques d’Air Canada.
En 2010, je souligne le fait qu’Air Canada a prouvé qu’elle était capable de relever le défi d’être le transporteur officiel des Jeux olympiques d’hiver en investissant les ressources nécessaires, mais des problèmes chroniques subsistent en matière de services aux passagers francophones.
En 2010-2011, le Commissariat reçoit 438 plaintes à l’endroit d’Air Canada, qui se rapportent à la langue de travail et qui concernent des situations du secteur Maintenance Air Canada et Aveos Performance aéronautique inc., dans la région de Montréal.
En 2011, j’ai publié une vérification des services aux passagers à sept aéroports et à deux centres d’appels dans laquelle j’ai fait douze recommandations, dont plusieurs ont déjà été formulées par le passé.
En 2012-2013, j’ai rapporté que les exercices d’observations effectués par le Commissariat indiquent qu’Air Canada a considérablement amélioré son rendement depuis 2008, mais que celle-ci doit toutefois multiplier ses efforts, notamment en ce qui a trait à l’offre active en personne. De plus, je souligne qu’il est impératif que le Parlement comble le vide juridique qui existe depuis la restructuration d’Air Canada afin de clarifier les obligations linguistiques des tiers agissant en son nom.
En 2014-2015, je suis décontenancé de constater qu’Air Canada n’a pris en compte qu’une seule des douze recommandations que j’avais formulées à son intention dans mon rapport de vérification de 2011 et qu’elle n’a pas pleinement mis à exécution le plan d’action qu’elle avait fourni lors de la vérification initiale. Je conclus donc que beaucoup de travail reste à faire pour que le transporteur se conforme pleinement à la Loi.
Au mois de décembre 2015, Air Canada fait parvenir au Commissariat une nouvelle version de son plan d’action pour les langues officielles, qui traite partiellement de certaines des recommandations.
Constats concernant les interventions
Ce bilan de presque un demi-siècle d’interventions est décevant à plusieurs égards. Les mêmes recommandations ont souvent été mises en avant d’une enquête à l’autre, d’une vérification à l’autre, d’un commissaire à l’autre, sans jamais mener à une résolution satisfaisante.
À titre d’exemple, entre le moment où j’ai publié mon rapport de vérification en 2011 et le moment où j’ai finalisé l’étude de suivi, j’ai repris textuellement la recommandation numéro 5 de ma vérification dans 48 rapports d’enquête. Chaque fois que je reprenais cette recommandation, j’avais bon espoir qu’elle serait mise en œuvre, comme le laissait présager le plan d’action déposé par Air Canada dans le cadre de ma vérification. Or, cette recommandation n’a été que partiellement mise en œuvre, et je n’ai pas constaté de résultats concrets sur le terrain lors de mon suivi. La situation soulevée par ces 48 dossiers de plaintes quant à l’offre active et à la disponibilité du service dans la langue officielle de la minorité linguistique n’est donc toujours pas résolue.
Il est frappant de constater que tous les commissaires ont utilisé divers types d’interventions afin d’examiner en profondeur la problématique de la conformité chez Air Canada et de formuler des recommandations concrètes. Malgré des plans d’action prometteurs, force est de constater que les problèmes systémiques persistent à Air Canada et que, trop souvent, la mise en œuvre partielle de quelques recommandations n’a pas mené aux résultats escomptés. D’année en année, les plaintes persistent et se ressemblent pendant que les vérifications et les observations se succèdent.
Recours
En 1988, le Parlement a ajouté un outil dans la nouvelle Loi sur les langues officielles. En effet, la partie X de la Loi permet maintenant au commissaire d’entamer lui-même un recours devant la Cour fédérale avec le consentement d’un plaignant, ou encore de participer à titre d’intervenant ou à titre de partie dans les recours intentés par des plaignants.
Air Canada est la seule institution assujettie à la Loi contre laquelle chacun des commissaires depuis 1988 a utilisé son pouvoir de porter une cause devant les tribunaux. Au total, nous avons participé à quatorze recours concernant Air Canada13, soit à titre d’intervenant ou de partie principale. Chaque fois, Air Canada a fait preuve d’ingéniosité pour soulever de nouveaux arguments juridiques devant la Cour.
La saga des filiales et des transporteurs régionaux
La question des obligations linguistiques des filiales et des transporteurs régionaux a été la source de nombreux litiges après la privatisation de la Société. En effet, depuis ce changement, Air Canada a acquis plusieurs transporteurs régionaux. Ces acquisitions ont suscité de nombreuses plaintes, en raison de la prestation de services en français de qualité inégale de la part de ses filiales. La Société considérait ses filiales comme des entités indépendantes, alors que le Commissariat jugeait qu’elles avaient les mêmes obligations linguistiques que leur propriétaire. Cette divergence de vues a fait obstacle à la poursuite des enquêtes.
C’est ainsi qu’en 1997, M. Goldbloom s’est présenté devant les tribunaux pour déposer une demande de renvoi à la Cour fédérale en vue d’obtenir des précisions sur les obligations des filiales d’Air Canada à l’égard de la Loi sur les langues officielles. Le commissaire a fait valoir subsidiairement que les filiales devaient, à tout le moins, respecter les dispositions de la Loi relatives aux services au public (la partie IV) puisqu’elles agissaient pour le compte d’Air Canada. À ce moment, le traitement de quelque 400 plaintes avait été suspendu le temps que la question soit traitée par la Cour.
Finalement, le Parlement a réglé la situation en modifiant l’article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada avant qu’une décision ne soit rendue. La nouvelle disposition oblige le transporteur à veiller à ce que toutes ses filiales (dont elle possède plus de 50 p. 100 des actions) respectent la partie IV de la Loi sur les langues officielles en ce a trait aux services aériens, y compris les services connexes.
La primauté de la Loi sur les conventions collectives
En 1996, deux recours ont été intentés pour obliger Air Canada à fournir des services bilingues aux aéroports internationaux de Toronto et d’Halifax. M. Goldbloom a notamment demandé au transporteur d’offrir des services dans les deux langues officielles en tout temps à tous les points de service au sol : comptoirs d’enregistrement, billetteries, salles d’attente, portes d’embarquement, annonces, etc.
En réponse, Air Canada a argumenté qu’elle était liée par les dispositions de la convention collective : les règles d’ancienneté l’empêchaient d’assigner des employés bilingues aux points de services bilingues. Pour sa part, le commissaire était d’avis que la Société ne pouvait invoquer les conventions collectives pour se soustraire à ses obligations linguistiques. L’enjeu principal du recours, concernant l’absence de services bilingues au sol dans les aéroports internationaux de Toronto et d’Halifax, a fait l’objet d’un protocole d’entente entre le commissaire et Air Canada. Les répercussions de la convention collective sont restées sans résolution.
Cependant, la question du respect des conventions collectives a été ravivée lors d’un recours intenté par Michel Thibodeau, en 2002. En réponse aux manquements reprochés, Air Canada a de nouveau invoqué l’impossibilité d’assigner des employés bilingues à bord des vols bilingues en raison des conventions collectives. De plus, elle a avancé que la Loi lui imposait une obligation dite « de moyens
» et non « de résultats
», c’est-à-dire qu’elle était uniquement tenue de déployer les meilleurs efforts possible et non d’atteindre un résultat précis sur le plan de la conformité. Cette fois, la Cour fédérale a mis fin au débat en se prononçant de façon claire et non équivoque :
On sait que la [Loi sur les langues officielles] s’applique à Air Canada. Les conventions collectives qui découlent du [Code canadien du travail] ne doivent pas être incompatibles à la mise en œuvre de l’objet de la [Loi sur les langues officielles]. Si une incompatibilité se produit, la [Loi sur les langues officielles] l’emporte sur les dispositions de la convention collective.14
Air Canada a décidé de porter ce jugement en appel devant la Cour d’appel fédérale, qui l’a rejeté et qui a qualifié ce recours d’« un appel à l’allure beaucoup plus oppressive que méritoire
»15. Ce jugement final a été rendu sept ans après l’incident ayant donné lieu à la plainte.
Les problèmes systémiques
Lors d’un deuxième recours intenté par Michel et Lynda Thibodeau, en 2010, Air Canada a reconnu avoir manqué à ses obligations linguistiques, mais niait l’existence d’un problème systémique. Devant toutes les instances, Air Canada a présenté des données, soit le nombre de plaintes par rapport au nombre de points de contact avec le public voyageur, pour prouver l’absence de problèmes systémiques :
Air Canada a transporté au cours des 3 dernières années environ 32 300 000 passagers par année (ce chiffre incluant les vols exploités par Jazz) avec environ 5 à 6 points de contact avec ses employés par passager et que le ratio de plaintes représente en moyenne 53 plaintes par année (pour les années 2007 à 2009) pour environ 161 500 000 points de contacts par année, soit un pourcentage d’au plus 0,000033 %.16
À la lumière de ces éléments de preuve, Air Canada rejette vigoureusement toute allégation de problèmes de nature systémique. Elle reconnaît qu’il peut lui arriver de manquer à ses obligations de manière ponctuelle, mais elle soutient que, de façon générale, elle est en mesure de les respecter et que la situation est loin de constituer un problème systémique qui appelle des ordonnances institutionnelles17.
Pourtant, dans le même recours, les plaignants ont réussi à démontrer que certains vols en forte demande ne figuraient pas parmi les vols bilingues dans le système d’affectation des agents de bord, ce qui expliquait l’absence de personnel bilingue à bord pour offrir le service en français.
Nous avons découvert, lors de notre enquête, que les trajets à demande importante en raison des sondages effectués en 2007 n’avaient pas été programmés dans notre Système d’affectation des vols. Jazz met actuellement en place les mesures nécessaires afin de s’assurer d’identifier ces trajets dans le Système d’affectation des vols18.
Ce recours a également permis de clarifier un point important : si le manque de personnel bilingue a longtemps posé problème après la privatisation d’Air Canada en 1988, ce n’était plus le cas. En effet :
Mme Dugas affirme qu’Air Canada dispose de suffisamment d’agents de bord bilingues pour assurer un service en français sur tous les vols à demande importante de services dans cette langue, et ce, tant ceux déterminés de façon automatique que ceux déterminés par sondage. Quant aux aéroports, Air Canada dispose de suffisamment d’employés bilingues pour que le service soit toujours offert aux passagers dans les deux langues officielles19.
Air Canada a également reconnu, dans le cadre du recours, que Jazz disposait également d’un effectif suffisant pour assurer le service en français à bord de tous les vols à demande importante dont le lieu de départ ou la destination est situé en Ontario, au Québec ou dans les provinces maritimes.
Par conséquent, il suffit dorénavant à Air Canada de bien gérer les ressources existantes pour assigner les employés bilingues aux endroits stratégiques afin d’assurer la disponibilité du service dans les deux langues officielles en tout temps. En effet, il ne suffit pas aux institutions fédérales de disposer d’un nombre suffisant d’employés bilingues : encore faut-il que ces employés soient assignés aux endroits stratégiques afin de remplir les obligations linguistiques de l’institution. Une telle gestion efficace des ressources bilingues exige une volonté et une participation de la haute gestion afin que la dualité linguistique soit une priorité au quotidien, tant pour l’organisation que pour tous ses employés.
Constats concernant les recours
Les nombreux recours impliquant les commissaires aux langues officielles et Air Canada ont servi à clarifier certaines questions sur le plan juridique. Ils m’ont également permis de constater qu’Air Canada n’hésite pas à contester l’application de la Loi et à déployer tous les moyens dont elle dispose pour se défendre vigoureusement devant les tribunaux. Le recours judiciaire prévu dans la Loi a donc donné lieu à une jurisprudence intéressante et utile dans le cas d’Air Canada. Toutefois, il n’a pas réellement servi à améliorer la conformité de la Société sur le plan des langues officielles.
Section 2 — Air Canada : sous la surveillance du Parlement depuis sa privatisation
Études du Parlement
Outre les diverses démarches effectuées par le Commissariat aux langues officielles, le Parlement a, lui aussi, consacré beaucoup d’attention à Air Canada, notamment par l’entremise de ses comités permanents des langues officielles, qui se sont penchés à plus d’une reprise sur les problèmes de conformité du transporteur aérien.
Dès 1999, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications réitérait l’importance de maintenir l’obligation d’Air Canada d’offrir des services en français et en anglais aux Canadiens, comme l’exige la Loi sur les langues officielles20. Au même moment, le Comité permanent des transports de la Chambre des communes publiait un rapport rappelant l’importance de la dualité linguistique pour la sécurité :
Les facteurs de sécurité comprennent la présentation des informations concernant la sécurité en vol et d’autres renseignements utiles dans une langue bien comprise par les passagers; il y a donc des facteurs linguistiques. En reconnaissance du caractère fondamental de la dualité linguistique dans l’identité canadienne, la Politique-cadre indique que le gouvernement veillera à ce que la Loi sur les langues officielles continue de s’appliquer, dans le cas d’Air Canada ou de tout transporteur dominant, et à ce qu’elle soit effectivement respectée21.
Dans le cadre de son étude sur les services bilingues offerts par Air Canada, le Comité mixte permanent des langues officielles a déposé, en juin 2001, un rapport périodique dans lequel il soulignait qu’il était à la fois important et urgent qu’Air Canada et ses filiales offrent aux Canadiens des services dans les deux langues officielles. Au terme de son étude, le Comité a déposé, en février 2002, un rapport exhaustif comportant 16 recommandations visant à s’assurer qu’Air Canada était en mesure de respecter la Loi22. En outre, le Comité y rappelait certains des problèmes que les commissaires aux langues officielles successifs avaient cernés au fil des ans et qui constituaient des obstacles majeurs au plein respect de la Loi par Air Canada. Sur cette base, le Comité a recommandé que le régime d’exécution de la Loi soit révisé et renforcé, notamment à l’aide de sanctions, de contraventions ou d’autres mesures, afin de donner au commissaire les outils nécessaires pour veiller au respect de la Loi :
Le renforcement du régime d’application des obligations linguistiques de la Société Air Canada
Le Comité constate que, plus de 30 ans après l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, Air Canada ne respecte pas pleinement les obligations linguistiques qui lui incombent. Il rappelle qu’Air Canada commet des infractions répétées aux mêmes aspects de la Loi, et ce, malgré les recommandations des commissaires aux langues officielles successifs. Il constate aussi les difficultés à faire respecter une loi quasi constitutionnelle qui se fonde sur l’une des valeurs principales de la société canadienne.
Recommandation 11
Le Comité recommande au ministre des Transports de modifier l’article 10 de la Loi sur la participation publique du capital d’Air Canada, la Loi sur l’aéronautique et toute loi connexe afin de faire en sorte que les règlements et les dispositions linguistiques visant Air Canada soient adéquates et comportent un régime d’exécution efficace, entre autres à l’aide de sanctions, contraventions ou autres mesures en cas de non-observance.22
La direction d’Air Canada a réagi aux reproches qui lui étaient adressés dans le rapport du Comité mixte permanent des langues officielles de février 2002 en soumettant un plan d’action pour les langues officielles, dont les actions et les résultats proposés étaient échelonnés sur dix ans, et dont la réalisation était conditionnelle à l’octroi de fonds fédéraux pour la formation linguistique. Avant d’avoir réalisé la mise en œuvre de ce plan d’action, la Société s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pendant environ une année et a modifié considérablement sa structure organisationnelle.
Air Canada a comparu de nouveau devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes après cette restructuration. Pour expliquer son rendement sur le plan des langues officielles, la Société a fait valoir que ses obligations « … sont différentes et plus onéreuses que celles imparties à d’autres institutions de compétence fédérale
»23 et demandait, une fois de plus, que le gouvernement fédéral lui fournisse les ressources financières nécessaires pour s’acquitter de son mandat en matière de langues officielles. Par ailleurs, l’idée d’uniformiser les obligations linguistiques à l’égard de tous les transporteurs aériens avait déjà été avancée par Air Canada. Le Comité permanent des transports de la Chambre des communes a fait état de cette éventuelle solution en 2005, dans le cadre de son étude Libéralisation du transport aérien et le Réseau aéroportuaire du Canada, sans toutefois faire de recommandations à ce sujet.
En 2006, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a aussi publié un rapport24, dans le cadre de l’étude de l’assujettissement de Gestion ACE Aviation Inc. à la Loi sur les langues officielles, après la restructuration d’Air Canada. Le Comité y fait valoir la nécessité de déposer un nouveau projet de loi afin de maintenir les obligations linguistiques d’Air Canada après sa réorganisation.
Même si le gouvernement a donné suite à cette demande en déposant un nouveau projet de loi, le 18 octobre25, celui-ci est mort au feuilleton, tout comme son prédécesseur, le projet de loi C-47. Deux autres projets de loi ont été déposés, mais à ce jour, aucun n’a atteint l’étape de la deuxième lecture, entraînant ainsi un effritement graduel des droits linguistiques au fil des transformations au sein de la Société et de ses composantes.
Après avoir convoqué de nouveau les représentants d’Air Canada à comparaître, le Comité permanent des langues officielles du Sénat a déposé, en juin 2008, un rapport sur le bilinguisme du personnel du transporteur aérien26. Selon le témoignage des représentants de la Société, les tentatives de recruter du personnel bilingue se heurtent toujours à des « défis considérables
» à l’extérieur du Québec, de la région de la capitale nationale et de Moncton. De plus, la Société arguait qu’en dépit d’être assujettie aux mêmes exigences linguistiques que les institutions fédérales, elle ne bénéficiait pas du même financement ni des mêmes outils dont disposaient ces dernières pour satisfaire aux obligations en vertu de la Loi. Ce rapport du Comité comportait quatre recommandations à l’intention d’Air Canada et une à l’intention du gouvernement.
En 2009 et 2010, Air Canada a de nouveau comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes. Cette fois, la Société a invoqué le nombre d’employés unilingues anglophones et le manque d’appui financier de la part du gouvernement fédéral pour la formation linguistique du personnel pour expliquer le nombre élevé de plaintes du public voyageur.
Le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités a aussi été appelé à comparaître devant le Comité. Il a alors souligné les efforts déployés par la Société pour assurer le respect de ses obligations, notamment durant les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2010 à Vancouver. Le ministre a aussi reconnu la nécessité de déposer un nouveau projet de loi qui tiendrait compte des changements apportés à la structure organisationnelle du transporteur aérien.
En mai 2010, le Comité a déposé un rapport à la Chambre des communes invitant « le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités à déposer un projet de loi assujettissant Air Canada, ses filiales et ses partenaires à la Loi sur les langues officielles, de sorte qu’il soit étudié par le Comité dès ce printemps »27. Un an et demi plus tard, le gouvernement a déposé le projet de loi C-17 qui est, lui aussi, mort au feuilleton.
En 2011, les représentants d’Air Canada ont comparu de nouveau devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles pour faire le point sur le respect de leurs obligations linguistiques. Cette fois, la Société s’est voulue rassurante :
Comme vous le savez, le Commissariat aux langues officielles a procédé à la vérification de notre prestation de services dans les deux langues officielles à l’automne 2010. […]
Nous avons bien accueilli le rapport du commissaire aux langues officielles et sommes ravis que la vérification ait permis de relever les nombreux outils et initiatives adoptés par Air Canada non seulement pour remplir ses obligations que lui impose la partie IV de la Loi sur les langues officielles, mais surtout pour respecter son engagement envers ses clients et, par conséquent, leur fournir un service de qualité dans la langue officielle de leur choix.
Notre plus récent Plan d’action linguistique permet de répondre aux préoccupations soulevées par le commissaire aux langues officielles dans la vérification et, par le fait même, de traiter des préoccupations énoncées dans le rapport du comité sénatorial de juin 2008.28
S’appuyant sur ces paroles et sur une étude exhaustive de la situation, le Comité sénatorial a publié, en mars 2012, un rapport intitulé « Les obligations d’Air Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles : Vers l’égalité réelle
»29, dans lequel il en profita pour réitérer ses attentes à l’égard d’Air Canada. Selon le Comité, la Société devait faire en sorte que sa capacité linguistique soit suffisante et que l’aménagement de ses services bilingues soit approprié. Le rapport comportait plusieurs recommandations à l’intention d’Air Canada. La publication du rapport de suivi de ma vérification allait éventuellement mettre en relief le peu d’attention accordée par Air Canada aux recommandations qui lui avaient été adressées.
Projets de loi afin de clarifier les obligations d’Air Canada
Les cinq projets de loi visant à clarifier les obligations linguistiques d’Air Canada comportaient certaines pistes que peuvent suivre les législateurs aujourd’hui.
En 2000, le Parlement a adopté le projet de loi C-26, qui modifiait l’article 10 de la Loi sur la participation au capital public d’Air Canada de façon à confirmer que l’ensemble de la Loi sur les langues officielles s’appliquait au transporteur aérien, et qui spécifiait les obligations de ses filiales. Cependant, la structure organisationnelle adoptée par Air Canada en 2004, une fois terminée sa protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, a rendu caducs certains des changements concernant des filiales qui n’existaient plus.
Au cours des sept années qui ont suivi, quatre projets de loi ont tenté d’assurer le maintien des droits linguistiques des employés d’Air Canada et du public voyageur sous la nouvelle structure. Ils sont tous morts au feuilleton :
- En 2005, le projet C-47 a atteint l’étape de l’étude en comité avant la dissolution du Parlement;
- En 2007, le projet C-29 est mort au feuilleton après avoir été confié à un comité parlementaire;
- En 2008, le projet C-36 n’a pas dépassé l’étape de la première lecture;
- Enfin, le projet C-17 a été déposé juste avant le déclenchement des élections générales de 2011.
Le vide juridique concernant les obligations linguistiques des entités issues de la restructuration d’Air Canada en 2004 persiste donc aujourd’hui.
Sur un autre front, l’honorable Stéphane Dion a déposé un projet de loi privé intitulé Loi modifiant la Loi sur le transport aérien (droits fondamentaux) à la Chambre des communes, le 23 avril 2015. Ce projet de loi faisait suite à la décision de la Cour suprême du Canada rendue le 28 octobre 2014 dans l’affaire Thibodeau c Air Canada30, selon laquelle la Convention de Montréal31 ne permet pas d’accorder des dommages-intérêts en cas de violation de droits linguistiques lors d’un transport aérien international.
Le projet de loi C-666, qui est mort au feuilleton en raison du déclenchement des dernières élections, visait à modifier la Loi sur le transport aérien afin de préciser que celle-ci n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux prévus sous le régime de la Loi sur les langues officielles et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Constats concernant les interventions du Parlement
Malgré de nombreuses recommandations de la part des comités parlementaires et de plusieurs tentatives législatives de la part du gouvernement pour veiller au respect des droits linguistiques des employés d’Air Canada et du public voyageur, il persiste actuellement un vide juridique qu’il est urgent de combler. En effet, malgré le fait qu’Air Canada soit toujours assujettie à la Loi, il demeure que ses transformations au cours des ans ont contribué à l’effritement des droits linguistiques de ses employés et du public voyageur. Afin que le gouvernement réalise pleinement son objectif quant à l’application de la Loi à Air Canada, il importe de hisser ce dossier au rang de ses priorités.
Dans la section qui suit, je propose certaines pistes de solutions afin de guider le Parlement dans son analyse des modifications à la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada qui mériteraient d’être examinées par le Parlement et ses comités parlementaires.
Section 3 — Pistes de solutions : pour un meilleur régime d’exécution
Un régime désuet pour une organisation en constante évolution
En 1988, le Parlement a adopté la nouvelle Loi sur les langues officielles afin de mettre en place un régime permettant, entre autres choses, de donner plein effet à la dualité linguistique, valeur fondamentale au cœur de l’identité canadienne. Le principe de l’égalité que sous-tend la Loi s’articule autour du double objectif décrit au paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et repris à l’article 2 de la Loi, c’est-à-dire l’égalité d’usage (l’accès linguistique au service) et l’égalité de statut (service de qualité égale). Pour réaliser ces objectifs, le public voyageur et les employés d’Air Canada et de ses filiales doivent pouvoir s’appuyer sur un régime juridique qui, d’une part, protégera adéquatement leurs droits linguistiques et, d’autre part, permettra de les faire respecter. Ce n’est pas le cas du régime actuel, qui a été établi à l’intention des institutions fédérales et des sociétés de la Couronne.
Contrairement aux autres institutions assujetties à la Loi, Air Canada a connu une évolution constante. Après avoir été complètement privatisée, elle a fait des acquisitions et elle a été restructurée à plusieurs reprises, notamment en 2003-2004, après s’être placée sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Même après cette restructuration, Air Canada a continué de se transformer, si bien que la Société d’aujourd’hui est très différente de ce qu’elle était en 1969 ou encore en 1988. La Loi, elle, n’a pas changé à l’égard d’Air Canada, et certains des droits et des obligations qui existaient autrefois se sont effrités au cours des ans et des transformations.
Il est de plus en plus clair que le régime d’exécution actuel a peu d’effet sur le niveau de conformité d’Air Canada. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner les options qui s’offrent au Parlement si l’intention est toujours de permettre à Air Canada de se présenter sous la bannière d’un symbole canadien. Il importe donc de combler les vides juridiques qui persistent ainsi que de mettre en place un régime d’exécution approprié. C’est d’ailleurs ce que recommandait le Comité mixte permanent des langues officielles dans son rapport de 200232.
Lors du 40e anniversaire de la Loi, en 2009, la Fédération des communautés francophones et acadienne s’est dit en faveur de conférer au commissaire, de façon générale, des pouvoirs accrus afin de s’assurer que la Loi est prise au sérieux par toutes les institutions fédérales :
Si l’on veut assurer que la Loi sur les langues officielles soit prise au sérieux par tous et par toutes, il faudrait explorer la possibilité d’investir le commissaire d’un pouvoir d’ordonnance qui lui permettrait d’exiger des mesures correctives des institutions fédérales qui ne respectent pas leurs obligations. Le commissaire pourrait également disposer d’un pouvoir de sanction à l’égard de ces institutions pour assurer que les mesures correctives soient effectivement mises en œuvre. D’ailleurs, la nouvelle Loi sur les langues officielles du Nunavut prévoit l’imposition de sanctions en cas de discrimination contre une personne qui aurait entre autres porté une plainte au commissaire aux langues. Cette Loi crée aussi un Fonds de promotion des langues officielles dans lequel seraient versées les amendes résultant de ces sanctions.
Cette recommandation nécessiterait un changement à la Loi, et il serait d’ailleurs de mise qu’une révision régulière de la Loi et de son Règlement ait lieu tous les cinq ou dix ans afin de pouvoir ajuster le tir lorsque les mesures entreprises ne donnent pas les résultats escomptés.
Tout ceci, à notre avis, augmenterait exponentiellement les chances que la Loi sur les langues officielles soit enfin appliquée dans l’esprit et l’intention des législateurs qui l’ont développée il y a maintenant 40 ans.33
Renforcer le régime d’exécution applicable à Air Canada
Les options suivantes, séparément ou conjointement, pourraient renforcer le modèle d’exécution actuel et favoriser une plus grande conformité à la Loi. Je les soumets à la réflexion du Parlement.
A. Ententes exécutoires
Le 18 juin 2015, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques a été modifiée afin de permettre au commissaire à la protection de la vie privée de conclure des accords de conformité (« ententes exécutoires
») pour s’assurer qu’une organisation, au terme d’une enquête, accepte de se conformer aux recommandations du commissaire. Le pouvoir de conclure de telles ententes pourrait être accordé au commissaire aux langues officielles.
En concluant un tel accord de conformité, une organisation s’engage à prendre certaines mesures en vue de se conformer à la Loi. L’avantage pour l’institution est que le commissaire ne peut prendre un recours judiciaire tant que l’accord est en vigueur. Toutefois, si l’organisation n’a pas respecté ses engagements, le commissaire peut, après l’en avoir avisée, demander à la Cour fédérale d’émettre une ordonnance enjoignant l’organisation à se conformer aux conditions de l’accord de conformité.
Bien qu’un tel régime ne soit pas, en soi, un gage de succès, il constituerait tout de même une amélioration par rapport au régime actuel. Je l’ai démontré dans les sections précédentes, Air Canada a souvent pris des engagements, dans le cadre de plans d’action par exemple, qui sont restés lettres mortes. Un régime d’accords de conformité permettrait d’inscrire les engagements d’Air Canada à l’intérieur d’un cadre permettant au commissaire d’avoir un recours direct en l’absence de mesures concrètes.
Ce régime apporterait au processus une certitude et une clarté qui font actuellement défaut. L’option d’un recours en cas de défaut renforcerait les outils dont le commissaire dispose actuellement.
Un tel régime, actuellement en vigueur pour le commissaire à la vie privée, qui est également un agent du Parlement, constituerait un pas dans la bonne direction. Je suis cependant d’avis que ce mécanisme n’est utile que s’il est employé conjointement avec certains des mécanismes décrits ci-dessous.
B. Dommages-intérêts légaux
La Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada pourrait être modifiée afin de donner à la Cour fédérale le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts en cas d’infractions à certaines dispositions de la Loi sur les langues officielles, sans l’obligation pour un demandeur de prouver un préjudice découlant de l’infraction. Une fourchette de dommages-intérêts pourrait être établie, et des montants minimum et maximum pourraient être prévus pour les infractions à des dispositions précises. À l’intérieur de cette fourchette, la Cour fédérale pourrait évaluer les dommages-intérêts en s’appuyant sur divers facteurs explicites à prendre en considération.
Les dommages-intérêts légaux sont appropriés dans les cas où il est difficile ou impossible pour le plaignant de prouver une perte quantifiable en conséquence d’une infraction. En établissant au préalable une fourchette ou des montants, les dommages-intérêts légaux facilitent les délibérations des tribunaux sur l’attribution d’une somme appropriée, particulièrement dans le cas de pertes non financières, comme l’humiliation découlant de l’absence de service dans sa langue ou d’une attitude désobligeante de la part du personnel. Une telle mesure pourrait encourager les plaignants à faire respecter leurs droits devant les tribunaux dans des circonstances appropriées.
À titre d’exemple, la nouvelle Loi canadienne anti-pourriel34 prévoit non seulement divers outils, tel un régime de sanctions administratives pécuniaires (voir l’option D ci-dessous), mais aussi un droit d’action pour les particuliers en cas d’infractions à la Loi sur la concurrence ou à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Les dommages-intérêts légaux fixés par la Loi canadienne anti-pourriel vont de 200 $ pour chaque infraction, jusqu’à un maximum de 1 million de dollars pour chaque journée durant laquelle il y a eu infraction, selon la disposition visée.
C. Les amendes
Les amendes constituent des mesures incitatives à respecter la loi. Pour être efficaces, elles doivent être proportionnelles et viser un éventail de comportements, allant des actes les moins graves aux plus graves.
La Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada pourrait être modifiée afin d’établir la liste des différentes infractions pour lesquelles des amendes seraient déterminées en fonction de leur gravité. Ce type de mécanisme ne serait toutefois applicable que pour les situations qui sont de la compétence d’Air Canada, par exemple, lorsqu’aucun agent de bord bilingue n’est affecté à des vols pour lesquels la demande est importante.
Ce type de sanction n’est pas nouveau en matière de droits linguistiques. En effet, tant la Loi sur les langues officielles du Nunavut35 que la Charte de la langue française36 du Québec comportent des dispositions prévoyant des amendes qui peuvent être imposées par les tribunaux pour certaines violations de la réglementation. De plus, de tels régimes existent également pour des agents du Parlement : la Loi sur l’accès à l’information37 et la Loi sur le lobbying38 contiennent toutes deux des amendes relatives à certaines violations. En effet, en vertu de la Loi sur le lobbying, par exemple, quiconque omet de fournir une déclaration ou donne sciemment des renseignements faux ou trompeurs au commissaire au lobbying encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 50 000 $.
Puisque le mécanisme d’amendes existe déjà dans le domaine des langues officielles ainsi que pour certains agents du Parlement, il pourrait constituer une solution efficace pour renforcer le régime actuel et dissuader Air Canada de violer la Loi sur les langues officielles de façon systémique.
D. Sanctions administratives pécuniaires
De nombreux régimes fédéraux prévoient l’imposition de sanctions administratives pécuniaires (SAP), qui peuvent être imposées pour les cas de non-conformité à la loi. La SAP n’est pas de nature punitive, elle vise plutôt à contrebalancer les mesures incitatives financières associées au non-respect des règles. Cette mesure favorise la conformité future et peut décourager toute autre personne ou entreprise de contrevenir à la loi.
Les SAP sont imposées par l’organisme qui veille à l’application de la loi, plutôt que par les tribunaux. Dans le cas de la Loi sur les langues officielles, elles seraient déterminées par le commissaire.
À titre d’exemple, la Loi canadienne anti-pourriel contient un régime de SAP. En vertu de cette loi, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes peut imposer des sanctions administratives pécuniaires en cas d’infraction. Le montant maximal est de 1 million de dollars par infraction pour les particuliers, et de 10 millions par infraction pour les autres cas.39
Parmi les agents du Parlement, la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique a le pouvoir d’imposer une SAP aux titulaires de charge publique principaux qui ne respectent pas certaines exigences de la Loi sur les conflits d’intérêts liées à la production de rapports. Si la commissaire a des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, elle peut dresser un procès-verbal et y indiquer la pénalité qu’elle a l’intention d’imposer. La décision d’imposer ou non une pénalité et le montant de la pénalité dépendent de la nature de l’infraction, de l’existence d’autres violations commises par le même titulaire de charge publique principal au cours des cinq années précédentes et de tout autre élément pertinent. Le montant de la pénalité, qui ne peut pas dépasser 500 $40, a été fixé dans le but d’encourager le respect de la Loi, et non de punir (paragr. 53[3] de la Loi). La personne qui se voit imposer une SAP dispose d’un délai de 30 jours pour payer la pénalité ou présenter ses observations écrites à la commissaire. Les SAP sont payables au receveur général du Canada, et l’information à leur sujet est publiée sur le site Web du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique.
Air Canada est déjà assujettie à plusieurs régimes de SAP : l’Office des transports du Canada peut imposer des sanctions pécuniaires administratives allant de 5 000 $ à 25 000 $41 aux compagnies aériennes ayant contrevenu au Règlement sur les textes désignés (Office des transports du Canada), qui régit la publicité des prix des services aériens.
Des régimes similaires de SAP sont administrés par l’Agence des services frontaliers du Canada ainsi que par le Tribunal de la concurrence à l’égard des compagnies aériennes, dont Air Canada.
Uniformiser l’application de la Loi à l’ensemble des transporteurs aériens au Canada
Selon Air Canada, le fait qu’elle soit le seul transporteur aérien assujetti à la Loi crée une situation qui n’est pas équitable à son égard.
En effet, Air Canada affirme depuis plusieurs années que ses concurrents nationaux ne sont pas soumis aux mêmes exigences de bilinguisme et que cette disparité crée une concurrence inégale. Par conséquent, Air Canada soutient que l’obligation d’offrir des services de qualité égale dans les deux langues officielles devrait s’appliquer de manière égale à tous les transporteurs fournissant des services aux Canadiens.
Le Comité permanent des langues officielles du Sénat a notamment incité le ministre des Transports à considérer cette option :
Après plus de 40 ans [depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles], le Comité sénatorial estime qu’il est temps pour le gouvernement fédéral de considérer d’étendre les obligations contenues dans la [Loi] à d’autres compagnies aériennes. Air Canada demeure, sans contredit, le transporteur aérien qui fournit le plus grand nombre de services aux passagers canadiens. Ses obligations découlent de son statut d’ancienne société d’État et de la volonté du gouvernement fédéral de les maintenir au moment de sa privatisation à la fin des années 1980. D’autres compagnies aériennes, comme WestJet, sont aussi très actives dans certaines régions du pays. D’ailleurs, cette compagnie a adopté l’automne dernier une série de mesures pour permettre l’offre de services en français. Le Comité sénatorial encourage donc fortement le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités à considérer cette question dans le cadre de l’étude du projet de loi C-17, afin de permettre à tous les voyageurs canadiens qui en font la demande de recevoir des services dans la langue de leur choix.29
L’uniformisation des obligations linguistiques à l’ensemble des transporteurs aériens au Canada donnerait une autorité accrue au commissaire, d’où la pertinence d’envisager l’adoption d’un régime d’exécution approprié.
Modifier la Loi applicable à Air Canada afin de maintenir ses obligations en dépit de ses restructurations
Outre le régime d’exécution de la Loi sur les langues officielles qui mérite d’être renforcé, certaines modifications législatives s’imposent également, de façon prioritaire, afin d’actualiser la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada en raison de l’évolution de la structure organisationnelle de la Société depuis sa restructuration en 2004, en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
À peine un mois après ma nomination aux fonctions de commissaire, j’ai comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, le 23 novembre 2006, afin de discuter du troisième projet de loi visant à modifier la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada depuis 2004. À cette occasion, j’ai fait valoir mes préoccupations au sujet à la fois des lacunes techniques du projet de loi et de l’absence d’obligations linguistiques de Jazz à l’égard de ses employés.
Depuis lors, j’ai réitéré mes préoccupations aux divers ministres des Transports qui se sont succédé. Dans mon rapport annuel de 2008-2009, j’ai recommandé au ministre des Transports « de déposer sans tarder un nouveau projet de loi ayant pour objet la protection et le maintien des droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada, quelle que soit la nature des modifications apportées à la structure et à l’organisation de l’industrie du transport aérien
»42. Toutefois, aucune modification législative n’a été adoptée depuis 2004.
Je suis d’avis que la formulation retenue dans les anciens projets de loi n’est plus appropriée compte tenu des changements survenus depuis 2004. Je réitère cependant qu’un nouveau projet de loi devrait être déposé afin de combler le vide juridique qui persiste.
Afin de voir au maintien des droits linguistiques du public voyageur et du personnel d’Air Canada malgré tout changement organisationnel de la Société dans le futur, le gouvernement doit tenir compte de trois principes dans la rédaction du prochain projet de loi :
Clarté : Le prochain projet de loi doit désigner clairement et précisément les entités qui seraient assujetties à la Loi sur les langues officielles, notamment les anciennes divisions opérationnelles d’Air Canada avant 2004 et ses anciennes filiales (par ex., Jazz). Il est donc primordial que le législateur utilise un langage clair dans ce projet de loi afin que les Canadiens et Canadiennes ne soient pas obligés, de nouveau, d’aller devant les tribunaux pour faire clarifier leurs droits.
Flexibilité : Le projet de loi doit conférer au gouvernement le pouvoir d’assujettir à la Loi sur les langues officielles, par voie de décret, toute autre entité qui pourrait voir le jour, à la suite d’autres restructurations. À titre d’exemple, Air Canada pourrait très bien transformer de nouveau sa structure organisationnelle, de sorte que la division responsable des services au sol redevienne une entité distincte. Si une telle situation se produisait, le gouvernement devrait pouvoir adopter un décret en vue d’assujettir cette nouvelle entité à la Loi.
Pérennité : Afin que soient maintenus les acquis linguistiques du public voyageur, le nouveau projet de loi doit contenir une disposition prévoyant l’imposition d’obligations linguistiques à toute entité qui remplace une entité visée, par exemple Air Canada ou Jazz, et qui fournit un service aérien ou un service connexe.
Il est notamment primordial que le prochain projet de loi assujettisse directement Jazz à la Loi sur les langues officielles. L’historique de la conformité d’Air Canada à la Loi nous a appris qu’il n’est pas suffisant d’imposer aux entités d’Air Canada des obligations contractuelles à l’égard du public voyageur. Un tel cadre juridique ne permet pas au commissaire d’instruire des plaintes visant Jazz directement ni d’intenter un recours judiciaire contre cette entité en cas de problèmes systémiques.
Il est particulièrement important d’assujettir Jazz à la partie V de la Loi de façon claire et explicite. Il s’agit du seul moyen de préserver les droits linguistiques des employés d’Air Canada qui travaillent maintenant pour cette société.
Assurer la primauté des droits fondamentaux en matière de transport international
Enfin, tel qu’il a été mentionné au chapitre précédent, une modification doit être apportée à la Loi sur le transport aérien afin de préciser clairement que la Convention de Montréal n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux en vertu de la Loi sur les langues officielles et à la Loi canadienne sur les droits de la personne, notamment en ce qui concerne le pouvoir d’octroyer des dommages-intérêts.
Conclusion générale
Ce rapport spécial démontre clairement que les lacunes d’Air Canada en matière de conformité à la Loi sur les langues officielles persistent depuis 1969. Il s’agit de l’institution qui se démarque le plus, tant par le nombre de plaintes reçues que par les problèmes systémiques qui perdurent.
Malgré des améliorations sporadiques et des plans d’action parfois prometteurs, le temps est venu de constater que les pouvoirs que je possède en vertu de la Loi sont insuffisants à l’égard d’Air Canada. Mes prédécesseurs et moi-même avons utilisé tous nos pouvoirs et avons fait des centaines de recommandations afin d’amener Air Canada à mieux respecter ses obligations linguistiques à l’égard du public voyageur, mais tous ces efforts n’ont pas été suffisants.
On comprend mal pourquoi Air Canada n’a pas choisi d’exploiter les atouts d’un service bilingue afin de se démarquer de ses concurrents. Plutôt que de faire preuve d’un engagement sérieux à l’égard d’un trait distinctif qui lui assurerait une place privilégiée dans le cœur des Canadiens et des Canadiennes, la Société préfère réclamer que l’ensemble des transporteurs aériens soit soumis aux mêmes obligations linguistiques.
En 1988, le Parlement a renforcé le régime d’exécution de la Loi en y ajoutant la partie X sur les recours judiciaires, ce qui lui conférait un caractère exécutoire. Cette modification législative était l’aboutissement de débats parlementaires sur le régime d’exécution approprié de la Loi. En effet, en 1978, M. Pierre De Bané (qui était alors député) avait présenté un projet de loi visant à accorder aux décisions du commissaire une force exécutoire de façon à ce qu’elles soient mises en œuvre sans délai par les institutions fédérales visées, sous peine d’une infraction passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement48. Je ne suggère pas nécessairement la mise sur pied d’un régime d’exécution de la Loi pour Air Canada qui aille aussi loin que les mesures proposées dans cet ancien projet de loi, mais je crois qu’il est temps de se demander si le régime d’exécution adopté en 1988 à l’égard d’Air Canada est approprié et s’il répond toujours à l’attente des Canadiens et des Canadiennes.
Air Canada est une société privée qui a maintes fois modifié sa structure organisationnelle au cours des dernières décennies. Ces changements successifs ont donné lieu, au cours de la dernière décennie, à l’effritement des droits linguistiques du public voyageur et des employés de la Société. Par conséquent, non seulement le régime d’exécution de la Loi doit être revu et adapté afin de tenir compte de la situation particulière d’Air Canada, mais les vides juridiques qui perdurent doivent être comblés au moyen de modifications législatives.
Avant de quitter mes fonctions à titre de commissaire, il me semble important de porter cette problématique à l’attention du Parlement et d’établir des pistes de solution. Selon Air Canada, ses obligations en vertu de la Loi la désavantagent par rapport aux autres transporteurs aériens concurrents. La solution serait donc, d’après elle, d’uniformiser l’application de la Loi à l’ensemble des transporteurs aériens. Pour ma part, mon expérience me porte à croire qu’un régime d’exécution de la Loi plus vigoureux et mieux adapté à la réalité d’Air Canada serait un meilleur gage de succès.
Depuis mon arrivée en 2006, j’ai comparu devant les comités parlementaires à de nombreuses reprises et j’ai rencontré les divers ministres des Transports. Chaque fois que j’ai parlé de la situation d’Air Canada, j’ai souligné la nécessité et l’urgence d’adopter des modifications législatives à la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada afin, notamment, de combler certains vides juridiques qui subsistent depuis la restructuration majeure de la Société en 2003. Malgré quatre tentatives de faire adopter un projet de loi, ce dossier n’est pas encore réglé.
Par conséquent, je m’attends à ce que le gouvernement agisse rapidement pour présenter les modifications législatives nécessaires afin de mettre en œuvre les recommandations qui seront formulées par le comité après l’étude du présent rapport. Je m’attends également à ce que le gouvernement accorde à ce dossier une très haute priorité afin de protéger les droits linguistiques du public voyageur et des employés d’Air Canada.
Recommandation au Parlement
Puisque le présent rapport spécial au Parlement est le dernier outil dont je dispose, je lui recommande d’en confier l’étude ainsi que les questions qu’il soulève, de toute urgence et de façon prioritaire, à l’un des deux comités permanents des langues officielles.
Annexe - Réponse d'Air Canada
David J. Shapiro
Premier vice-président et chef des Affaires juridiques
Ligne directe : (514) 422-5834
Facsimilé : (514) 422-4147
Courriel : david.shapiro@aircanada.ca
AFFAIRES JURIDIQUES
C.P. 7000, YUL 1276
Succ. Aéroport
Dorval, Québec
H4Y 1J2
Le 18 mai 2016
Par courrier électronique, télécopieur, et FedEx
Monsieur Graham Fraser
Commissaire aux langues officielles
30, rue Victoria, 6e étage
Gatineau (Québec) K1A 0T8
Objet : Réponse de Air Canada sous l'article 67 (2) de la Loi sur les langues officielles au « rapport spécial
»
Votre dossier : SIGE : 3631200
N/SIC (WebCIMS) : 89339
Monsieur,
Nous accusons réception de votre lettre du 22 avril 2016, adressée à notre Président et chef de la direction, dans laquelle vous nous informez que, conformément au paragraphe 67 (1) de la Loi sur les langues officielles ( « LLO »), vous présenterez au Parlement, en juin 2016, un rapport spécial (le « rapport spécial ») sur Air Canada, après le dépôt de votre rapport annuel 2015, prévu pour cette semaine.
Dans votre lettre, vous exprimez que la nécessité d'un rapport spécial découle de votre insatisfaction à l'égard des progrès qu'Air Canada a accomplis en réponse à vos diverses constatations. Non seulement nous sommes catégoriquement en désaccord avec votre évaluation pour des raisons que nous préciserons plus loin, mais nous mettons également sérieusement en doute le rapport spécial en tant que moyen par lequel vous décrirez le problème actuel et déterminerez les options à envisager. Le paragraphe 67(1)44 n'appuie pas cette façon de procéder.
Un rapport spécial n'est pas justifié
Comme les questions que vous décrivez ne sont pas de nouvelles réalités apparues du jour au lendemain, mais plutôt des questions générales qui vous préoccupent depuis un certain temps, selon les termes mêmes de votre lettre du 22 avril, et que votre intention à régler ces questions remonte au moins à mars de cette année (soit plus d'un mois et demi avant la date prévue du rapport annuel), il n'y a aucun fondement juridique justifiant que vous recouriez à un rapport spécial alors que vous aviez l'occasion d'intégrer vos observations dans le rapport annuel.
Selon les dispositions de la LLO, le rapport spécial n'est pas le véhicule approprié dans les circonstances.
Néanmoins, nous répondons de façon préliminaire aux préoccupations que vous exprimez dans votre lettre, afin de nous assurer que cette réponse accompagnera le rapport spécial, comme l'exige l'article 67 (2) de la LLO45.
Résultats positifs quant aux services bilingues d'Air Canada
Vous semblez faire valoir avec insistance que les efforts d'Air Canada liés à la LLO sont toujours ou systématiquement insuffisants. Nous nous opposons vivement à votre interprétation du rendement d'Air Canada en matière de langues officielles. Votre évaluation reflète une exagération du problème. Non seulement elle fait totalement abstraction de notre engagement sincère et de nos efforts considérables visant à améliorer la prestation des services dans les deux langues officielles au sein d'une industrie très complexe qui n'a pas grand-chose à voir, pour ne pas dire rien du tout, avec le secteur gouvernemental, mais, surtout, elle passe complètement sous silence l'amélioration constante de notre rendement, dont témoignent la diminution de la proportion de plaintes au fil des ans et l'augmentation de la satisfaction de la clientèle.
Air Canada est extrêmement fière des efforts qu'elle déploie, des investissements qu'elle fait et des résultats qu'elle obtient en ce qui concerne la prestation des services aux passagers dans les deux langues officielles.
Pour mettre la situation en contexte, les faits suivants se doivent d'être reconnus :
- En 2015, une année record pour nous, nous avons transporté plus de 41 millions de passagers.
- Cela représente une augmentation de 10 millions de passagers sur une période de cinq ans, ou de plus de 25 %.
- Le nombre absolu de plaintes est demeuré stable, à environ 50 par année (nous en avons reçu 52 en 2015, dont six qui n'étaient pas fondées) et ce, malgré la croissance. Ainsi la proportion a considérablement diminué à une fraction de 1 %, soit 50 plaintes recevables pour 42 millions de passagers représentant 0,00011905 %.
- Qui plus est, compte tenu du nombre moyen de points de contact par passager (au moins cinq par voyage), le pourcentage de plaintes s'est établi à 0,000025 % en 2015, ce qui est extrêmement faible, voire presque non pertinent sur le plan statistique, contre 0,000033 % en 2009, soit une embellie de près de 25 %.
Il importe de noter que ces améliorations ont été réalisées en dépit d'une croissance considérable et des opérations vastes et complexes. Il s'agit d'une preuve solide réfutant vos allégations de services inadéquats et de performance laconique de la part d'Air Canada. En effet, ces résultats viennent corroborer les améliorations ainsi que la qualité et la disponibilité des services dans les deux langues officielles auprès d'Air Canada.
Cet extrêmement faible coefficient de plaintes est le résultat d'importants efforts et d'un profond engagement de la part d'Air Canada et de ses employés.
Nos succès au niveau du bilinguisme
Vous trouverez ci-après quelques-unes de nos réussites remarquables dont il faut indéniablement et absolument tenir compte.
Les raisons de notre succès
Politique de recrutement. Nous réussissons à attirer et à embaucher une proportion toujours grandissante de candidats bilingues, qui sont toujours considérés en priorité. Au cours des 15 dernières années, nous avons recruté plus de 9 500 agents de bord et agents - Aéroports, dont près de 60 % maîtrisent le français et l'anglais (sans compter les candidats qui maîtrisent une autre combinaison de deux langues).
Politique de partenariat. Grâce à notre insistance, nos partenaires commerciaux régionaux recrutent aussi en priorité des employés bilingues, non seulement pour améliorer leur conformité, mais également pour promouvoir un service clientèle uniforme, ce qui comprend une prestation bilingue, au coeur de toute stratégie visant à devenir un chef de file mondial. Depuis que Jazz s'est jointe à la famille Air Canada, en 2000, sa proportion d'agents de bord bilingues a presque triplé, pour s'établir à environ 76 %.
Formation linguistique. Nous investissons chaque année des millions de dollars dans la formation linguistique de nos employés. Nous y consacrons chaque année ces sommes en raison de notre engagement à l'égard de la prestation d'un service dans les deux langues officielles et du service clientèle en général, malgré les faibles marges de profit qui caractérisent l'industrie de l'aviation commerciale.
La preuve de notre succès
Satisfaction de notre clientèle. Nos clients sont très satisfaits de nos services bilingues. D'après un sondage mené par Ipsos Reid en avril 2016, 94 % des clients sont très satisfaits ou satisfaits du service global d'Air Canada dans les langues officielles. De plus, la majorité des passagers, soit 59 %, a indiqué que la prestation du service bilingue s'est améliorée au cours de la dernière année.
Analyse comparative indépendante des transporteurs. Afin de vérifier si nos impressions pouvaient être vérifiées de façon indépendante, à la fin de 2015, la firme KPMG a été mandatée afin de mesurer la prestation de services bilingues en vol à Air Canada. Dans le cadre de cette récente étude, KPMG a effectué une analyse comparative du bilinguisme d'Air Canada par rapport à d'autres transporteurs canadiens. Lorsque comparée à d'autres vols sur les mêmes lignes et pour des destinations similaires, Air Canada s'est vue attribuer une note de « Haut niveau de bilinguisme » évaluée selon les messages réguliers et spontanés, tant en vol qu'aux portes d'embarquement, en comparaison aux autres transporteurs canadiens qui eux se sont vus attribuer, selon les mêmes normes, la note de « Niveau de bilinguisme moyen ». À l'aide d'un échantillonnage utilisé pour cette analyse comparative, le rendement d'Air Canada était nettement supérieur à celui de tous les autres transporteurs aériens canadiens avec, entre autres, une note de 92 % pour la disponibilité et de 100 % pour les standards de qualité des messages aux portes d'embarquement contre les notes de 79 % pour la disponibilité et de 88 % pour la qualité attribuée aux autres transporteurs.
Pour un accès élargi aux services bilingues dans le domaine de l'aviation
Air Canada appuie sans réserve les objectifs du bilinguisme officiel au Canada. En fait, comme nous l'avons indiqué dans les propositions que nous avons présentées au comité d'examen de la Loi sur les transports au Canada (LTC), et comme vous l'a mentionné à plusieurs reprises notre Président et chef de la direction, Air Canada estime qu'il faut accroître la prestation de services bilingues dans l'industrie du transport aérien et l'appliquer dans l'ensemble du secteur sur la base d'un ensemble de mesures d'application uniforme. Il s'agit d'une question d'accès et de choix pour les passagers, et pas seulement d'une question de principe et d'équité pour les transporteurs. Le Canada devrait être fier de son héritage bilingue et exiger que toutes les sociétés aériennes régies par le gouvernement fédéral se conforment aux mêmes normes en matière de bilinguisme et considèrent ces dernières comme une valeur canadienne précieuse.
À cet égard, nous notons que le rapport déposé le 25 février 2016 par le comité d'examen de la LTC de l'honorable ministre des Transports (le « rapport Emerson
») contient une recommandation qui cadre avec notre proposition visant à « clarifier les obligations des aéroports et des sociétés aériennes en ce qui a trait à la prestation de services dans les deux langues officielles, ainsi qu'à travailler avec les intervenants de l'industrie et les communautés de langue officielle en situation minoritaire en vue d'améliorer l'uniformité
», et qui soutient cette proposition. Le rapport Emerson recommandait aussi la mise en place d'un guichet unique pour le dépôt de plaintes liées aux expériences de voyage des passagers.
Nous appuyons cette recommandation et proposons que l'Office des transports du Canada agisse à titre d'organisme responsable de ce guichet unique. Il s'agit de l'organisme chargé de traiter les plaintes des clients dans le secteur. Souvent, les plaintes résultent d'une situation comportant de nombreux facteurs qui ne sont pas naturellement divisibles. Le fait de recourir à un seul organisme, en fait l'organisme qui connaît le mieux le transport aérien, un secteur complexe à l'égard duquel le Commissariat aux langues officielles (CLO) ne possède aucune expertise spécialisée, pour traiter l'ensemble d'une plainte, laquelle peut comprendre un aspect lié aux langues officielles, permettrait de simplifier le processus de plainte et de le rendre plus largement accessible. Bien que le CLO soit qualifié pour gérer les problèmes en matière de langues officielles dans le contexte des organismes gouvernementaux, qui exercent un mandat d'intérêt public et sont financés par le gouvernement, il est moins à même de traiter les plaintes dans le secteur commercial et spécialisé du transport aérien, où surgissent souvent des questions complexes à multiples facettes qui touchent à la fois le service à la clientèle, le respect des tarifs, la sécurité, la sûreté, etc. En faisant appel à l'organisme le mieux en mesure de composer avec toutes ces questions de la façon la plus compétente, équitable et appropriée, nous nous assurerions également que les ressources du gouvernement sont réparties de la manière la plus efficace qui soit.
Ces préoccupations sont prises en compte à l'Annexe A ci-jointe, soit une ébauche et les dispositions essentielles d'un nouveau régime législatif que nous conseillons au gouvernement d'étudier pour atteindre cet objectif national. Air Canada est fière de montrer la voie à suivre en présentant cette proposition novatrice visant à favoriser le bilinguisme dans le secteur du transport aérien au Canada.
Nous attendons votre rapport spécial afin de compléter notre réponse, tel qu'il est prévu dans le paragraphe 67 (2) de la LLO. Nous vous demandons de bien vouloir joindre la présente réponse, ainsi que les dispositions législatives proposées, à l'Annexe A des présentes, à votre rapport spécial, conformément à la loi.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur, nos sincères salutations.
La version originale a été signée par :
David J. Shapiro Premier vice-président et chef des Affaires juridiques
p. j.
Annexe A
DISPOSITIONS PRINCIPALES D'UNE ÉBAUCHE DE PROJET DE LOI PROPOSÉE PAR AIR CANADA EN VUE DE LA MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU RÉGIME BILINGUE APPLICABLE À TOUS LES TRANSPORTEURS AÉRIENS CANADIENS
Sommaire
Projet de loi modifiant la Loi sur les transports au Canada afin d'exiger que tous les transporteurs aériens canadiens offrent des services dans les deux langues officielles, comportant d'autres mesures et modifiant d'autres lois en conséquence.
Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada afin de promouvoir le bilinguisme dans le transport aérien au Canada, comportant d'autres mesures et modifiant d'autres lois en conséquence.
Attendu :
que les Canadiens accordent une grande importance aux droits linguistiques et reconnaissent la valeur des deux langues officielles du Canada, soit le français et l'anglais;
que le gouvernement du Canada est déterminé à améliorer le caractère bilingue et à favoriser l'égalité de l'anglais et du français dans l'ensemble du réseau de transport canadien;
que le Rapport de l'Examen de la Loi sur les transports au Canada déposé le 25 février 2016 par l'honorable ministre des Transports recommande que les passagers bénéficient d'un guichet unique pour le dépôt de plaintes liées à des voyages;
et que le gouvernement du Canada est résolu à coopérer avec les transporteurs aériens canadiens et à les encourager dans la promotion de la reconnaissance et de l'usage de l'anglais et du français;
Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :
Définitions
Interprétation
- Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article :
« transporteur aérien canadien
» désigne tout Canadien qui fournit des services aériens aux termes d'une licence intérieure, d'une licence internationale service régulier ou d'une licence internationale service à la demande accordée dans le cadre de la présente loi. (Canadian Air Carrier)
…
Communications et services aux voyageurs
Loi sur les transports au Canada
- La Loi sur les transports au Canada est modifiée pour inclure ce qui suit après le paragraphe 85.1 :
Langues officielles
85.2 (1) Il incombe aux transporteurs aériens canadiens offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.
(2) Il incombe aux transporteurs aériens canadiens de veiller à ce que, dans les bureaux visés au paragraphe (1), les services réglementaires offerts aux voyageurs par des tiers conventionnés par eux à cette fin le soient, dans les deux langues officielles, selon les modalités réglementaires établies par [le gouverneur en conseil ou l'Office].
Règlements
(3) [L'Office ou le gouverneur en conseil] peut, par règlement :
- a) déterminer, pour l'application du paragraphe (1), les circonstances dans lesquelles il y a demande importante;
- b) en cas de silence de la présente loi, déterminer les circonstances dans lesquelles il incombe aux transporteurs aériens canadiens de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs bureaux, ou recevoir les services de ceux-ci, dans l'une ou l'autre langue officielle;
- c) déterminer les services visés au paragraphe (2) et les modalités de leur fourniture;
- d) définir «
population de la minorité francophone ou anglophone
» pour l'application de l'alinéa (4)a).
(4) Le [gouverneur en conseil ou l'Office] peut, pour déterminer les circonstances visées à l'alinéa (3), tenir compte :
- a) de la population de la minorité francophone ou anglophone de la région desservie par un transporteur aérien canadien, de la spécificité de cette minorité et de la proportion que celle-ci représente par rapport à la population totale de cette région;
- b) du volume des communications ou des services assurés entre un bureau d'un transporteur aérien canadien et les utilisateurs de l'une ou l'autre langue officielle;
- c) de tout autre critère que [le gouverneur en conseil ou l'Office] juge indiqué.
(5) Dans la détermination des circonstances visées à l'alinéa 3, le [gouverneur en conseil ou l'Office] ne peut faire de distinction entre les transporteurs aériens canadiens dans l'application ou l'assujettissement aux règlements.
Demandes d'enquête
(6) a) L'Office peut, sur demande, enquêter pour déterminer si un transporteur aérien canadien n'a pas veillé à ce que les voyageurs puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec les bureaux de ce transporteur aérien canadien ou en recevoir des services aériens au Canada.
Recours
b) Si l'Office rend une décision positive, elle peut exiger la prise de mesures correctives indiquées, sous réserve de la loi sur le transport aérien, le cas échéant, en raison du manquement par le transporteur aérien canadien à remplir son obligation.
Langue de travail
Code canadien du travail
- Le Code canadien du travail est modifié par adjonction, après l'article 247.97, de ce qui suit :
« SECTION XV.3 : LANGUE DE TRAVAIL DES TRANSPORTEURS AÉRIENS CANADIENS
Obligations des transporteurs aériens canadiens
247.98 (1) Il incombe aux transporteurs aériens canadiens de veiller à ce que :
a) dans les régions du Canada désignées, leur milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d'utiliser l'une ou l'autre;
Régions désignées du Canada
(2) Les régions du Canada énumérées dans la circulaire no 1977-46 du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique du 30 septembre 1977, à l'annexe B de la partie intitulée « Les langues officielles dans la Fonction publique du Canada : Déclaration de politiques », sont des régions désignées aux fins de l'alinéa (1)a).
Obligations minimales dans les régions désignées
247.99 (1) Il incombe aux transporteurs aériens canadiens dans les régions du Canada désignées au titre de l'alinéa 247.98(1)a) :
- a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, que la documentation et le matériel d'usage courant et généralisé produits par eux-mêmes ou pour leur compte, à condition que cette documentation et ce matériel soient facilement disponibles dans les deux langues officielles;
- b) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l'usage effectif des deux langues officielles, la documentation sur le statut d'emploi, la rémunération et les avantages sociaux des employés leur soit fournie dans la langue officielle de leur choix.
Règlements
247.100 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements aux fins de la présente section :
- a) inscrivant ou radiant l'une ou l'autre des régions du Canada désignées conformément au paragraphe 247.98(2), compte tenu :
- (i) du nombre et de la proportion d'employés francophones et anglophones qui travaillent pour le transporteur aérien canadien dans les secteurs, régions ou lieux désignés,
- (ii) de tout autre critère qu'il juge indiqué. »
Dispositions de coordination
[TOUT AMENDEMENT NÉCESSAIRE AFIN DE DONNER PLEIN EFFET À CE PROJET DE LÉGISLATION]
…
Entrée en vigueur
- La présente loi entre en vigueur à la date fixée par décret pris sur recommandation du ministre.