L'accès à la justice dans les deux langues officielle : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures

Étude du commissaire aux langues officielles du Canada en partenariat avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick et le commissaire aux services en français de l'Ontario

Note : Dans ce texte, l'utilisation du masculin vise uniquement à alléger le texte.

Remerciements

Le commissaire aux langues officielles du Canada tient à remercier tous ceux qui ont participé à cette étude, et en particulier, les membres du comité consultatif qui ont fourni de précieux conseils tout au long de cette démarche. Le commissaire désire également remercier les juges en chef qui ont accepté de partager leurs expériences et perspectives sur les enjeux examinés dans l'étude. Enfin, il est très reconnaissant envers tous ceux qui ont pris part aux consultations par le biais des entrevues ou du sondage. La générosité dont tous ont fait preuve ne pouvait être passée sous silence.

Avant-propos

Dans les jardins de la justice McMurtry, au centre-ville de Toronto, se trouve une sculpture de l'artiste canadien Eldon Garnet représentant un lion de forte stature et un agneau de petite taille, se fixant calmement du regard, chacun à l'extrémité d'un plateau surélevé précairement posé sur un pivot. Or, en dépit de la différence de taille entre les deux animaux, le plateau repose en parfait équilibre. Le titre de l'œuvre? « Égalité devant la loi ».

La sculpture, riche en symbolisme, illustre de façon poignante l'ambition du présent rapport : faire en sorte que tout justiciable canadien puisse pleinement et librement exercer ses droits linguistiques dans ses rapports avec les cours supérieures du Canada, en particulier lorsque le justiciable choisit d'exercer son droit de plaider dans la langue officielle de la minorité.

En effet, le cadre législatif du Canada et de la province ou territoire d'un citoyen lui garantit, en théorie, des droits linguistiques formels devant les tribunaux. Cependant, il arrive trop souvent, en réalité, que le citoyen qui parle la langue officielle de la minorité se heurte, dans sa quête de justice, à des obstacles qui le contraignent à plaider sa cause dans la langue de la majorité, et ce, en dépit de droits à l'effet contraire.

L'un de ces obstacles est le manque de juges de nomination fédérale capables de présider des instances dans la langue officielle de la minorité. C'est cette problématique que nous, les commissaires dont la juridiction prévoit des droits en matière d'accès à la justice dans les deux langues, abordons ici et invitons à résoudre.

Nous sommes les premiers à l'admettre : l'« amélioration de la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures » est un sujet qui, de prime abord, peut sembler bien abstrait. Mais qu'on se détrompe : les répercussions sont éminemment concrètes pour le couple Anglo-Québécois en voie d'adoption, pour la Franco-Ontarienne accusée d'un acte criminel, pour l'Acadien congédié sans cause, bref pour toutes ces personnes qui gagneraient à pouvoir s'exprimer et se faire entendre par un juge dans la langue officielle qu'elles maîtrisent le mieux et dans laquelle elles peuvent présenter spontanément des arguments justes, complets et nuancés – dans cette « langue officielle de la minorité » qui est d'abord et avant tout la langue de leur vécu, de leur cœur, de leur intellect, de leur identité.

De fait, on ferait un tort immense à la société canadienne en banalisant la nécessité d'assurer la justice partout au Canada dans la langue officielle de la minorité. Car, faut-il le rappeler, la dualité linguistique est une poutre maîtresse de la charpente de l'identité canadienne, pleinement reconnue par la Constitution et la Charte canadienne des droits et libertés.

Nul ne saurait nier que la Charte est un document emblématique pour les Canadiens. Rien d'étonnant, puisqu'elle enchâsse les valeurs essentielles et suprêmes de notre société canadienne. Épouser la Charte, c'est toutefois y souscrire dans son intégralité, et non pas en retenir seulement les dispositions les plus commodes.

En outre, c'est comprendre qu'un droit ne trouve son sens que dans sa complétude – on n'accorde pas « un petit droit de vote »; on ne reconnaît pas le « droit à un peu de liberté »; on ne dit pas que le droit prime « parfois »; et on ne reconnaît pas un statut « presque » égal au français et à l'anglais en tant que langues officielles de notre pays.

Bref, les valeurs véhiculées par la Charte doivent s'appliquer de façon égale, que l'on ait la corpulence du lion ou la gracilité de l'agneau. C'est ce principe qui a sous-tendu notre réflexion sur l'exercice libre par tous les Canadiens de leurs droits linguistiques devant les tribunaux du pays.

L'année 2012-2013 sera à marquer d'une pierre blanche pour nous, les trois commissaires signataires du présent rapport; non seulement nous soulignons le 50e anniversaire de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, dont l'un des legs historiques aura été la Loi sur les langues officielles, mais aussi nous ratifions des protocoles d'entente inédits destinés à maximiser l'exploration et l'exploitation du potentiel de collaboration dans des secteurs d'intérêt commun. Nous n'avons pas chômé, comme en témoigne le présent rapport présenté quelques mois à peine après la ratification des protocoles d'entente et nous avons fait montre d'innovation, comme en témoignent les pistes de solution que nous y esquissons.

Nous espérons que cet esprit d'innovation et cette célérité animeront également les autorités appelées à mettre en œuvre nos recommandations. Esprit de collaboration, parce que cela est indispensable quand il s'agit de résoudre des difficultés systémiques dans un contexte de ressources limitées; célérité, parce que pas un jour ne passe sans qu'un justiciable canadien qui parle français ou anglais en contexte minoritaire ne voie exacerbée l'expérience intimidante de comparaître en cour par celle injuste de se voir refuser le droit d'employer la langue officielle de son choix devant ceux et celles justement chargés de rendre la justice.

Car lorsqu'il s'agit des droits linguistiques, s'il est un lieu où le plateau de la balance se doit d'être en équilibre, c'est bien devant les tribunaux.

Nous espérons sincèrement que nos recommandations contribueront à la réalisation de ce que nous estimons être une « juste » vision et, donc, à atteindre cet objectif ultime de maintenir le plateau de la justice en parfait équilibre.

Sommaire

Même le système de justice le plus avancé du monde constitue un échec s'il ne permet pas aux citoyens d'obtenir justice. L'accès à la justice revêt par conséquent une importance primordiale1.

- La très honorable Beverley McLachlin, juge en chef du Canada

Pour que les Canadiens membres d'une communauté de langue officielle en situation minoritaire se sentent à l'aise d'utiliser la langue officielle de leur choix devant les cours supérieures, il est indispensable que ces tribunaux soient en mesure d'offrir tous leurs services et de fonctionner en français et en anglais. À cet égard, la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures constitue une condition sine qua non pour assurer l'accès au système de justice canadien dans les deux langues officielles et pour éviter que le choix linguistique d'un justiciable ne lui porte préjudice.

Afin que les cours supérieures et les cours d'appel puissent respecter les droits linguistiques des justiciables, il est donc essentiel que le ministre de la Justice du Canada nomme un nombre approprié de juges bilingues ayant les compétences linguistiques nécessaires pour présider des instances dans la langue officielle de la minorité. À ce jour, la capacité institutionnelle bilingue des cours supérieures demeure un défi à relever dans plusieurs provinces et territoires. Un autre défi réside dans la capacité des juges de maintenir leurs compétences linguistiques à un niveau suffisant pour pouvoir présider une audience dans leur seconde langue officielle.

Le commissaire aux langues officielles, en partenariat avec François Boileau, commissaire aux services en français de l'Ontario et Michel Carrier, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, a décidé en 2012 d'effectuer un examen approfondi de deux questions qui touchent de près la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures : le processus de nomination des juges et la formation linguistique offerte aux juges qui sont nommés aux cours supérieures.

L'étude a porté sur les processus de nomination en place dans les cours supérieures de six provinces : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta. On a également tenu compte de certaines pratiques au niveau des processus de nomination des juges provinciaux au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario et au Manitoba.

Les consultations menées dans le cadre de la présente étude ont permis de déterminer que le processus de nomination des juges ne garantit pas une capacité bilingue de la magistrature qui puisse répondre en tout temps aux droits linguistiques des citoyens canadiens. Ce constat est basé sur trois observations principales. Premièrement, il n'y a pas d'analyse objective des besoins en matière d'accès aux cours supérieures dans les deux langues officielles dans les différents districts et régions du pays. Deuxièmement, il n'existe pas d'action concertée de la part du ministre de la Justice du Canada, de ses homologues provinciaux et territoriaux et des juges en chef des cours supérieures afin d'établir un processus qui assurerait, en tout temps, la nomination d'un nombre approprié de juges bilingues. Finalement, l'évaluation des candidats à la magistrature des cours supérieures ne permet pas de vérifier de façon objective les compétences linguistiques des candidats qui se disent aptes à présider des instances dans leur langue seconde.

À la lumière de ces constats, l'étude décrit des pistes d'action qui permettraient d'améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures. Le ministre de la Justice du Canada, de concert avec ses homologues provinciaux et les juges en chef des cours supérieures, devrait établir un protocole d'entente pour chaque province et territoire, en vue d'assurer de façon constante la capacité bilingue des cours supérieures du pays. Cette démarche collaborative impliquerait une consultation auprès des associations de juristes d'expression française ou des communautés juridiques de langue minoritaire de la province ou du territoire visé. De plus, un processus objectif serait établi afin d'évaluer la compétence linguistique des candidats. Enfin, les comités consultatifs à la magistrature devraient compter un membre de la communauté de langue minoritaire de la province ou du territoire.

En ce qui concerne la formation linguistique, le programme actuellement offert par le Commissariat à la magistrature fédérale semble répondre aux besoins des juges, tant à l'égard de l'apprentissage de la langue seconde, qu'au maintien et au renforcement de leurs compétences linguistiques. Cependant, l'étude conclut que la formation linguistique devrait être considérée principalement comme une façon de maintenir et d'améliorer la capacité bilingue d'une cour supérieure, laquelle doit être assurée en premier lieu au moyen du processus de nomination.

Par ailleurs, les outils de formation linguistique offerts aux juges des cours provinciales pourraient constituer des modèles intéressants si le Commissariat à la magistrature fédérale souhaitait offrir aux juges des cours supérieures un programme complémentaire de formation linguistique leur permettant de vérifier leur capacité linguistique dans des situations réelles de travail.

Enfin, les juges des cours supérieures doivent être davantage sensibilisés aux droits linguistiques des justiciables afin d'assurer une égalité réelle en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles.

Les dix recommandations qui sont présentées dans l'étude sont concrètes et pragmatiques. Bien qu'elles visent principalement le ministre de la Justice du Canada, elles ne pourront être mises en œuvre sans la pleine et entière participation de ses homologues provinciaux et territoriaux ainsi que des juges en chef des cours supérieures et des divers intervenants du domaine de la justice.

Liste de recommandations

A- Processus de nomination

Recommandation 1 : Capacité bilingue des cours supérieures

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. d'entreprendre, d'ici au 1er septembre 2014, en collaboration avec chacun de ses homologues provinciaux et territoriaux, une démarche visant à assurer en tout temps une capacité bilingue appropriée au sein de la magistrature des cours supérieures du pays;
  2. d'établir, de concert avec le procureur général et les juges en chef des cours supérieures de chaque province et territoire, un protocole d'entente visant à :
    • 2.1. fixer les termes de cette démarche collaborative;
    • 2.2. adopter une définition commune du niveau de compétence linguistique requis de la part des juges bilingues afin qu'ils puissent présider des instances dans leur langue seconde;
    • 2.3. définir le nombre approprié de juges et/ou de postes désignés bilingues;
  3. d'inviter le procureur général de chaque province et territoire à mettre sur pied un processus de consultation de la magistrature et du barreau auquel participera l'association de juristes d'expression française de common law ou la communauté juridique de langue minoritaire afin de considérer leur point de vue sur le nombre approprié de juges bilingues ou de postes désignés bilingues;
  4. de réévaluer, en collaboration avec le procureur général et les juges en chef des cours supérieures de chaque province et territoire, la capacité bilingue des cours supérieures de façon périodique ou lorsque surviennent des changements susceptibles d'avoir un impact sur l'accès à la justice dans la langue de la minorité.

Recommandation 2 : Compétences linguistiques des candidats à la magistrature

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. Le commissaire aux langues officielles recommande que le ministre de la Justice du Canada, d'ici au 1er septembre 2014, accorde au Commissariat à la magistrature fédérale le mandat de :
    • 5.1. mettre en place un processus visant à évaluer de façon systématique, indépendante et objective les compétences linguistiques de tous les candidats qui ont précisé leur niveau de capacité linguistique dans leur fiche de candidature;
    • 5.2. transmettre au comité consultatif approprié les résultats de l'évaluation linguistique des candidats;
    • 5.3. recueillir et publier les données sur le nombre de candidats dont l'évaluation linguistique confirme qu'ils seraient en mesure de présider une instance dans les deux langues officielles dès leur nomination.

Recommandation 3 : Composition et rôle des comités consultatifs

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. de nommer au sein de chaque comité consultatif un membre de la communauté francophone ou anglophone minoritaire de la province ou du territoire;
  2. de demander aux comités consultatifs de préciser sur la liste des candidats transmise au ministre de la Justice lesquels sont « bilingues » ou en mesure de présider des instances en français et en anglais dès leur nomination, selon les résultats de l'évaluation linguistique provenant du Commissariat à la magistrature fédérale;
  3. de demander au Commissariat à la magistrature fédérale de fournir aux membres des comités consultatifs l'information dont ils ont besoin pour bien comprendre les droits linguistiques des justiciables et les obligations linguistiques des cours supérieures.

B- Formation linguistique et formation en droits linguistiques

Recommandation 4

Le commissaire aux langues officielles recommande que :

  1. le ministre de la Justice du Canada demande au Commissariat à la magistrature fédérale de revoir, d'ici au 1er septembre 2014, le programme actuel de formation linguistique afin, notamment, d'enrichir sa composante appliquée et cela, en tenant compte du programme de formation appliquée qu'offre actuellement le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales;
  2. le Conseil canadien de la magistrature fédérale examine la possibilité de mandater l'Institut national de la magistrature d'ajouter un module spécifique sur les droits linguistiques des justiciables au programme d'orientation et de formation continue ainsi qu'une composante sur les droits linguistiques dans les divers modules offerts à la magistrature.

1. Introduction

La présente étude s'intéresse à l'accès à la justice. À cet égard, elle s'ajoute à une multitude de voix qui ont exprimé l'urgence d'agir et de s'attaquer à l'un des plus grands défis auxquels fait face le système judiciaire canadien, soit celui d'éliminer les barrières qui se dressent devant les justiciables canadiens et qui les empêchent d'exercer pleinement leurs droits devant les tribunaux.

Cet appel à l'action avait d'ailleurs été clairement articulé par l'honorable Warren K. Winkler, juge en chef de l'Ontario, dans une allocution qu'il a prononcée en 2008 :

Tout le monde est en faveur de l'“accès à la justice” […] Mais comme plusieurs autres mots ou expressions, le terme est devenu si répandu que son caractère prioritaire a eu tendance à s'émousser et à détériorer. L'“accès à la justice” ne doit pas devenir un cliché, vide de sens et sans aucune importance. Nous devons redoubler d'efforts pour ouvrir notre système de justice, afin qu'il réponde aux besoins des Ontariennes et Ontariens ordinaires qui sont confrontés aux problèmes concrets de la vie. Nous avons besoin d'action et d'innovation, pas de platitudes2. [traduction]

Si l'accès à la justice constitue un enjeu pour l'ensemble des justiciables, l'accès à la justice dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du Canada constitue un défi supplémentaire pour environ deux millions de Canadiens membres d'une communauté de langue officielle en situation minoritaire. En effet, la capacité d'utiliser le français ou l'anglais dans les cours supérieures de première instance et les cours d'appel, que ce soit en matière criminelle ou en matière civile, est encore trop souvent tributaire de la volonté des autorités de mettre en place des mesures qui accordent aux tribunaux la capacité de fonctionner dans les deux langues officielles.

Plusieurs intervenants dans le système judiciaire ont un rôle important à jouer afin de créer un environnement qui sera propice à l'utilisation du français et de l'anglais par les justiciables. Ainsi, bien que l'accès à la justice en français et en anglais repose également sur la capacité bilingue des services policiers, des services d'aide juridique et des officiers de la cour3, elle ne saura se réaliser si la magistrature n'a pas la capacité bilingue suffisante pour assurer aux justiciables un accès égal à la justice en français et en anglais.

Il s'agit là d'une condition sine qua non au respect des droits linguistiques des justiciables.

Reconnaissant que les juges siègent au sein de tribunaux établis et gérés par des gouvernements provinciaux et territoriaux, le commissaire aux langues officielles a entrepris cette étude en 2012 en collaboration avec François Boileau, commissaire aux services en français de l'Ontario et Michel Carrier, commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. L'accès à la justice dans les deux langues officielles au Nouveau-Brunswick et l'accès à la justice en français en Ontario sont des droits garantis dans ces deux provinces. Ainsi, les trois commissaires ont réuni leurs efforts pour cerner les obstacles à l'exercice des droits linguistiques des justiciables et trouver des solutions qui peuvent contribuer à améliorer la capacité bilingue du système judiciaire.

Ayant rappelé à maintes reprises l'importance d'une action concertée de la part des instances gouvernementales afin de rectifier les lacunes qui limitent toujours l'accès à la justice dans les deux langues officielles, les trois commissaires ont donc décidé d'examiner deux questions qui ont un impact sur la capacité bilingue de la magistrature fédérale. Il s'agit, d'une part, du processus fédéral de nomination des juges siégeant dans des cours supérieures de première instance et les cours d'appel4 et, d'autre part, de la formation linguistique qui leur est offerte.

Aux fins de l'étude, la « capacité bilingue de la magistrature » est définie comme la présence d'un nombre approprié de juges bilingues au sein des cours supérieures, c'est-à-dire, de juges ayant les compétences linguistiques nécessaires pour présider des instances dans la langue officielle de la minorité.

Afin d'obtenir une perspective nationale des défis reliés à la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, l'étude examine la situation des cours supérieures et d'appel de six provinces : l'Ontario, le Québec, le Manitoba, l'Alberta, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. L'étude ne vise pas toutefois à mesurer la capacité bilingue de ces cours, ni à déterminer s'il existe là une pénurie de juges bilingues. Elle décrit plutôt les expériences d'intervenants qui jouent un rôle de premier plan dans le système judiciaire et leurs perceptions de la capacité bilingue de la magistrature.

L'étude traite aussi du processus de nomination des juges des cours supérieures afin de déterminer dans quelle mesure il assure la nomination d'un nombre approprié de juges bilingues. Se basant sur les constats relatifs à ce processus et à celui qui est utilisé dans le cadre des nominations provinciales à la magistrature, le rapport présente des pistes d'action visant à améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures.

Enfin l'étude présente une analyse des programmes de formation linguistique actuellement offerts aux juges des cours supérieures. On y traite également de l'initiative entreprise par le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales en ce qui concerne la formation linguistique des juges des cours provinciales, puisque certaines caractéristiques de cette initiative s'avèrent très pertinentes dans le contexte de la présente étude.

2. Méthodologie

L'étude a débuté à l'été 2012 et s'est terminée en avril 2013. Pour appuyer cette démarche, le Commissariat aux langues officielles a formé un comité consultatif composé de représentants du Conseil canadien de la magistrature, de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law, de l'Association du Barreau canadien, de la Conférence des juristes d'expression française de common law de l'Association du Barreau canadien, du Centre canadien de français juridique, du Barreau du Québec ainsi que des associations de juristes d'expression française de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba et de l'Alberta. Le Commissariat a organisé deux rencontres avec les membres du comité qui ont examiné les enjeux soulevés par l'étude et exploré des pistes de solutions. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a assisté à l'une de ces rencontres à titre d'observateur. Enfin, les membres ont été invités à commenter l'ébauche du rapport.

L'étude s'appuie en outre sur la collecte d'informations quantitatives et qualitatives qui sont décrites dans les prochaines sous-sections.

2.1 Revue documentaire

La revue documentaire avait pour objet de documenter le contexte dans lequel s'inscrit cette étude. On a donc analysé, à cette fin, les études antérieures portant sur la question de l'accès à la justice dans les deux langues officielles, de même que les travaux des différents comités parlementaires qui se sont penchés sur cette question. La liste des documents consultés figure à l'annexe.

2.2 Examen des processus de nomination et de formation des juges

Le premier objet de cet examen était de documenter et de comparer le processus fédéral de nomination des juges avec certains processus relevant des provinces. On a porté une attention particulière au rôle que joue le bilinguisme des candidats dans le cadre de ces processus. Cet examen visait également à documenter et à comparer les possibilités de formation offertes aux juges en matière de droits linguistiques et d'apprentissage de leur seconde langue officielle.

Dans le cadre de cet examen, des entrevues ont été menées auprès de divers intervenants qui ont un rôle à jouer dans le processus de nomination des juges ou dans leur formation. Au fédéral, cette démarche a ciblé les processus en place dans les cours supérieures de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l'Ontario, du Manitoba et de l'Alberta. Au niveau provincial, les processus de nomination des juges provinciaux au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario et au Manitoba ont été examinés. Enfin, l'initiative entreprise par le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales en ce qui concerne la formation linguistique des juges de ces cours a été prise en considération pour fins de comparaison.

2.3 Sondage et entrevues auprès des avocats

Le sondage en ligne, réalisé entre les mois d'octobre et novembre 2012, visait à recueillir les perceptions de juristes sur la capacité de la magistrature des cours supérieures à entendre des causes dans les deux langues officielles et l'impact de cette situation sur l'accès à la justice dans ces deux langues.

Le questionnaire du sondage, composé principalement de questions fermées, a été distribué aux membres des associations de juristes d'expression française situés au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. À cela s'est ajouté un échantillon des avocats membres du Barreau du Québec.

Au total, 373 personnes ont répondu au questionnaire. De ce nombre, 202 pratiquaient devant une cour supérieure et pouvaient donc répondre à toutes les questions. La distribution géographique des répondants est illustrée au Tableau 1.

La grande majorité des répondants (84 p. 100 ) étaient des avocats œuvrant en pratique privée. Les autres catégories de répondants englobent les procureurs de la couronne, les avocats œuvrant dans une entreprise privée, des avocats de services d'aide juridique et des avocats à l'emploi du gouvernement fédéral ou d'un gouvernement provincial.

Il est important de souligner que les résultats de ce sondage n'avaient pas pour but d'offrir des données statistiquement représentatives des populations ciblées. C'est pour cette raison qu'aucune marge d'erreur n'est fournie. La démarche visait plutôt à rassembler l'opinion d'avocats pratiquant dans la langue de la minorité devant les cours supérieures du pays. Les résultats du sondage doivent donc être interprétés sous cet angle.

Tableau 1 : Distribution géographique des répondants au sondage (N=202)
Provinces Nombre de répondants Pourcentage
Nouvelle-Écosse 6 3 %
Nouveau-Brunswick 15 7 %
Québec 75 37 %
Ontario 76 38 %
Manitoba 7 4 %
Saskatchewan 10 5 %
Alberta 5 3 %
Colombie-Britannique 8 4 %
Total 202 100 %*
Source : Sondage effectué par PRA Inc. dans le cadre de la présente étude (2012).
* Les pourcentages sont arrondis et peuvent ne pas correspondre à 100 p. cent.

À cette démarche s'est ajoutée une série d'entrevues de suivi, qui visaient à approfondir l'analyse de certains résultats du sondage. Au total, 36 entrevues de suivi ont été réalisées5.

2.4 Entrevues auprès des intervenants

Des entrevues ont été menées auprès de 32 personnes intervenant dans le milieu judiciaire ou représentant des organismes qui s'intéressent aux enjeux touchant l'accès à la justice. Parmi les personnes et organismes consultés figurent :

  • Neuf juges en chef des cours supérieures de première instance et d'appel dans les six provinces visées par l'étude;
  • Les juges en chef de trois cours provinciales et un juge d'une cour provinciale;
  • L'Association du Barreau canadien;
  • Les associations de juristes d'expression française ( N.-B. , N.-É. , Ont. , Man. , Sask. , Alb. , C.-B. );
  • Le Barreau du Québec;
  • Le Centre canadien de français juridique;
  • Le Commissariat à la magistrature fédérale Canada;
  • La Conférence des juristes d'expression française de common law de l'Association du Barreau canadien;
  • Le Conseil canadien de la magistrature;
  • La Fédération des associations de juristes d'expression française de common law;
  • La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada;
  • L'Institut national de la magistrature.

Ces entrevues se sont déroulées en personne ou par téléphone, sur la base d'un guide d'entrevue envoyé à l'avance.

3. Contexte

Lorsqu'un tribunal n'est pas en mesure de respecter les droits linguistiques des justiciables, cela fait inévitablement régresser l'accès à la justice. Au fil des ans, ce constat a amené plusieurs intervenants à recommander des changements au processus de nomination des juges de façon à ce que les cours de justice soient à même d'offrir un accès égal à la justice dans les deux langues officielles. La présente section du rapport explore davantage ces constats et décrit le rôle de différentes institutions dans le processus de nomination des juges des cours supérieures ou dans leur formation.

3.1 Droits linguistiques des justiciables

L'accès à la justice est une question qui retient de plus en plus d'attention. Par sa nature même, le système judiciaire est à la fois complexe et intimidant. Les questions qui y sont soulevées et les enjeux qui y sont traités peuvent avoir de graves conséquences pour le justiciable, qui peut se retrouver dans une situation de vulnérabilité, étant dépassé par les procédures auxquelles il fait face. Cette situation est exacerbée lorsque le justiciable décide de se représenter lui-même, devant la cour de première instance ou même devant la cour d'appel6.

C'est dans ce contexte que les droits linguistiques des justiciables prennent toute leur importance. Au Canada, le droit de procéder dans l'une ou l'autre langue officielle devant les tribunaux va bien au-delà de la notion d'équité. Comme l'énonçait la Cour suprême du Canada dans l'affaire Beaulac, ce droit fondamental a pour objet de protéger les minorités de langue officielle du pays et de les aider à préserver leur identité culturelle7. Se prononçant sur l'accès à un procès de nature criminelle dans l'une ou l'autre des deux langues officielles, la Cour suprême du Canada affirmait ce qui suit :

Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s'agit de l'accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada8. [Nous soulignons en caractères italiques] […] Dans un cadre de bilinguisme institutionnel, une demande de service dans la langue de la minorité de langue officielle ne doit pas être traitée comme s'il y avait une langue officielle principale et une obligation d'accommodement en ce qui concerne l'emploi de l'autre langue officielle. Le principe directeur est celui de l'égalité des deux langues officielles9.

La Cour suprême du Canada a également souligné que le non-respect d'un droit linguistique accordé à un justiciable doit être considéré comme « un tort important et non une irrégularité de procédure10. » [Le souligné est celui de la Cour]

C'est donc en raison de l'objet des droits linguistiques des justiciables et de leur importance pour la protection des minorités linguistiques que plusieurs intervenants ont, au cours des 20 dernières années, exhorté les diverses instances gouvernementales à prendre les mesures nécessaires pour améliorer l'accès à la justice dans les deux langues officielles.

3.2 Interventions auprès des instances gouvernementales et autres

Au cours des deux dernières décennies, le Commissariat aux langues officielles s'est joint à d'autres voix afin d'exiger que les instances gouvernementales prennent des mesures pour remédier aux problèmes liés à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, et en particulier à la capacité bilingue de la magistrature fédérale.

Le Commissariat aux langues officielles publiait, il y a de cela près de 20 ans, Une étude sur l'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux au Canada11, dans laquelle il brossait le portrait d'ensemble de l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Cette étude décrivait la capacité linguistique inégale des cours supérieures de première instance et des cours d'appel au pays. Le commissaire Victor Goldbloom recommandait au gouvernement fédéral d'accorder un poids appréciable à la compétence linguistique des candidats lors de nomination à la magistrature.

Quelques années plus tard, en 2002, le ministère de la Justice du Canada publiait l'étude État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles12. Reconnaissant l'importance du bilinguisme de la magistrature, le rapport recommandait des pistes de solution, dont la nomination d'un nombre accru de juges bilingues aux cours supérieures des provinces.

Le rapport État des lieux a par la suite été étudié par le Comité sénatorial permanent des langues officielles qui publiait en 2003 un rapport contenant une série de recommandations concernant la sélection et la nomination des juges bilingues. Le Comité exhortait entre autres le gouvernement à prendre les mesures requises pour que la capacité linguistique des candidats à la magistrature puisse être vérifiée par le biais d'un processus de référence13.

Durant cette même période, la commissaire Dyane Adam déposait un rapport annuel (2003-2004) dans lequel elle recommandait au gouvernement de réexaminer le processus de nomination des juges des cours supérieures afin de doter ceux-ci d'une capacité bilingue adéquate. Un an plus tard, elle comparaissait devant le Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice et des droits de la personne afin de déposer une série de recommandations visant à faire en sorte que le bilinguisme occupe une place plus importante au sein du processus de nomination des juges14.

La commissaire Dyane Adam avait en outre profité d'une comparution devant le Comité permanent des langues officielles pour illustrer la problématique à laquelle bien des justiciables devaient faire face. Ainsi, en date d'avril 2004, la commissaire notait qu'on ne retrouvait aucun juge à la Division de la famille de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, une situation qui perdurait depuis plusieurs années. Les justiciables francophones au Manitoba soulevant des questions de droit familial étaient donc assujettis à des délais et des coûts supplémentaires importants15. La même année, la commissaire Adam faisait état du remplacement de deux juges bilingues de la Cour supérieure de l'Ontario, dans les districts de Welland et Windsor, par des juges unilingues anglophones. La commissaire soulignait le fait que ces nominations unilingues ont entraîné la perte de la capacité bilingue de ces tribunaux et une régression de l'accès à la justice pour les membres de la communauté franco-ontarienne de la région16.

Le 28 novembre 2005, le Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale de la Chambre des communes déposait un rapport préliminaire reconnaissant la problématique reliée à la nomination de juges bilingues et la nécessité de réformer le processus actuel17.

Un an plus tard, le ministre de la Justice du Canada, lors d'une comparution devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles, s'engageait publiquement à consulter les juges en chef des cours supérieures pour déterminer leurs besoins en matière de juges bilingues au moment de la nomination d'un nouveau candidat18.

Le 8 mai 2008, le commissaire Graham Fraser comparaissait devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes au sujet du processus de nomination des juges et de la pénurie de juges bilingues. Il rappelait alors que l'accès à la justice est l'une des pierres angulaires du système juridique canadien et que l'absence d'une capacité bilingue suffisante au sein des cours supérieures et des cours d'appel des provinces prive une partie importante de la population canadienne de son droit d'accéder à la justice dans la langue officielle de son choix19.

En juin de la même année, le commissaire Fraser faisait des représentations écrites au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre du projet de loi C-31 visant à permettre la nomination de 20 juges supplémentaires aux cours supérieures des provinces. Il demandait au comité de recommander, dans le cadre de son rapport au Sénat, que l'on examine le processus de nomination des juges des cours supérieures afin de s'assurer que les tribunaux disposent d'un nombre suffisant de juges bilingues pour permettre aux justiciables canadiens d'avoir accès à la justice dans la langue officielle de leur choix.

En juin 2011, le commissaire Fraser communiquait son rapport final d'enquête au ministère de la Justice du Canada à la suite de plaintes touchant la nomination d'un nombre insuffisant de juges bilingues en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Le commissaire concluait à l'existence de lacunes dans le processus de nomination des juges et annonçait qu'il entreprendrait une étude approfondie de la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures afin d'obtenir un portrait plus complet de cette problématique.

Parallèlement aux démarches du commissaire Fraser, d'autres développements faisaient avancer la situation en Ontario. Dans son premier rapport annuel portant sur les premiers mois de son mandat20, le nouveau commissaire aux services en français de l'Ontario annonçait déjà son intention de travailler en étroite collaboration avec le procureur général de l'Ontario en vue d'améliorer l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Peu de temps après, le procureur général de l'Ontario entamait des consultations publiques en vue d'améliorer le système de justice civile dans cette province. Cette initiative faisait suite à deux événements : le dépôt du rapport Osborne21 ainsi que la décision très médiatisée de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Belende v. Patel22. L'importance de cette décision découle de la reconnaissance de la Cour quant à la nature fondamentale du droit à un procès bilingue en Ontario, de la reconnaissance que sa pleine mise en œuvre dépend de la capacité bilingue des tribunaux et de la conclusion selon laquelle la violation de ces droits de nature quasi constitutionnelle « constitue un préjudice grave à la minorité linguistique ».

Entre 2007 et 2013, le commissaire aux services en français de l'Ontario a reçu des plaintes résultant de délais additionnels que les plaignants avaient dû subir avant de pouvoir obtenir une audience bilingue devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. De plus, dans certains cas, les plaignants s'étaient vus nier une audience dans la langue officielle de leur choix devant une cour supérieure, malgré des demandes claires à cet effet. Le rapport annuel 2008-2009 du commissaire aux services en français fait état de situations où des juges unilingues souvent bien intentionnés, constatant que le justiciable francophone pouvait se débrouiller en anglais, lui ont offert de poursuivre sa cause dans cette langue le jour même. Le justiciable se trouvait alors aux prises avec un dilemme, soit exiger le respect de ses droits linguistiques et ainsi retarder son procès et engager des coûts parfois importants, soit renoncer à son droit et procéder dans la langue de la majorité23.

Dans son deuxième rapport annuel, le commissaire aux services en français de l'Ontario évoquait également le manque de juges bilingues. Ainsi, il a recommandé au procureur général de l'Ontario de se doter d'un comité composé de membres de la magistrature, du barreau et de praticiens de la communauté francophone et qui serait chargé de proposer des pistes d'action concrètes et concertées pour, d'une part, pallier ce manque de juges bilingues et, d'autre part, rechercher activement des moyens de parfaire les connaissances en droits linguistiques de tous les membres de la magistrature en Ontario24. Au début de 2010, le procureur général mettait sur pied un tel comité afin de donner suite à cette recommandation. Le rapport du Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français, Accès à la justice en français25, publié en juin 2012, présentait au procureur général de l'Ontario plusieurs recommandations, y compris des recommandations visant à améliorer le processus de nomination de juges bilingues ainsi que la capacité de la magistrature en Ontario de rendre justice tout aussi bien en français qu'en anglais, conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires.

D'autres intervenants, tels que l'Association du Barreau canadien26, la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law et certains de ses membres27, ont également exhorté le gouvernement fédéral à prendre des mesures concrètes.

Malgré ces nombreuses et diverses interventions, les progrès relatifs à la nomination de juges bilingues sont demeurés modestes. Le contexte actuel exige donc qu'un processus plus systématique soit mis en place afin de permettre aux cours supérieures de respecter intégralement les droits linguistiques des justiciables.

3.3 Institutions qui jouent un rôle dans le processus de nomination des juges ou leur formation

Afin de faciliter la lecture et la compréhension du présent rapport, il paraît utile de décrire succinctement le rôle des institutions et organismes qui participent à la nomination et à la formation de la magistrature des cours supérieures.

Gouverneur général
Premier ministre du Canada
Conseil des ministres
Ministre de la Justice du Canada
Le ministre de la Justice du Canada recommande la nomination des juges puînés au Conseil des ministres, lesquelles recommandations mènent à des décrets signés par le gouverneur général. La nomination des juges en chef et des juges en chef adjoints est la prérogative du premier ministre du Canada.
Commissariat à la magistrature fédérale Canada
Relevant directement du ministre de la Justice du Canada, le Commissariat à la magistrature fédérale offre un appui administratif à la nomination des juges des cours supérieures. C'est entre autres au Commissariat que revient la responsabilité d'appuyer les comités consultatifs dont le travail est décrit à la sous-section 5.1 du rapport. Le Commissariat est également chargé d'administrer la formation linguistique offerte aux juges des cours supérieures.
Conseil canadien de la magistrature
Présidé par la juge en chef de la Cour suprême du Canada et constitué de juges en chef, juges en chef adjoints et de certains juges principaux des cours supérieures provinciales et fédérales du pays, le Conseil canadien de la magistrature a pour fonction d'enquêter sur les plaintes formulées concernant la conduite d'un juge. En outre, le Conseil établit les politiques et fournit les outils nécessaires pour assurer l'uniformité et la responsabilité du système judiciaire. À cette fin, il établit les besoins en formation de la magistrature et peut mandater l'Institut national de la magistrature d'offrir cette formation.
Institut national de la magistrature
L'Institut national de la magistrature a pour fonction principale d'offrir de la formation en droit substantif aux juges œuvrant dans les cours supérieures. L'Institut offre le plus grand nombre de programmes de formation continue pour la magistrature canadienne.

3.4 Diversité des régimes linguistiques

À bien des égards, la capacité bilingue d'un tribunal est déterminée par le contexte juridique dans lequel celui-ci opère. Au-delà de la réalité démographique d'une région (particulièrement en ce qui a trait à la concentration de la communauté de langue officielle vivant en situation minoritaire), le régime linguistique d'une province influence inévitablement la capacité bilingue des tribunaux. La présente section du rapport traite de cette réalité et décrit les caractéristiques et les défis qui sont associés à la capacité bilingue actuelle des cours supérieures.

Obligations dans le domaine du droit criminel

Dans les causes liées à une infraction criminelle, les Canadiens ont droit à une enquête préliminaire et à un procès dans la langue officielle de leur choix, peu importe où la cause sera entendue au pays. Les articles 530 à 533.1 du Code criminel décrivent ce droit et entraînent, de fait, l'obligation pour le juge présidant l'audience de communiquer, sans l'intermédiaire d'un interprète, dans la langue officielle choisie par l'accusé28.

Toutes les cours supérieures et cours d'appel des provinces et des territoires ont juridiction pour entendre des causes liées à des infractions au Code criminel. De façon générale, ces cours entendent des instances liées à des infractions particulièrement sérieuses (accusation de meurtre par exemple), lesquelles peuvent généralement être entendues par un juge et jury, si telle est l'option exercée par l'accusé. Ces causes peuvent être portées en appel devant la cour d'appel de chacune des provinces et territoires.

Les obligations linguistiques décrites au Code criminel s'appliquent cependant aux procès de première instance et non aux démarches devant une cour d'appel.

Obligations dans les domaines autres que le droit criminel

Dans les cours supérieures, les deux tiers des juges (soit 648 juges sur un total de 1 017) exercent dans des provinces qui reconnaissent clairement des droits linguistiques dans des causes autres que criminelles29, notamment des causes liées au droit de la famille, au droit testamentaire et successoral, au droit contractuel ou commercial.

L'étendue et la nature des droits linguistiques accordés aux justiciables varient cependant d'une province/territoire à l'autre :

  • Au Nouveau-Brunswick, au Québec et au Manitoba, des dispositions constitutionnelles garantissent aux justiciables le droit d'utiliser le français et l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisies les cours supérieures et les cours d'appel de ces trois provinces30.
  • En Ontario, la Loi sur les tribunaux judiciaires31 prévoit que le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux de l'Ontario. En termes pratiques, dans les domaines autres que le droit criminel, les justiciables peuvent ainsi exiger que leur cause soit instruite en tant qu'« instance bilingue » devant une cour supérieure ou devant la Cour d'appel de la province32.
  • Les trois territoires canadiens reconnaissent le droit pour tout citoyen d'employer le français et l'anglais dans toutes les instances dont sont saisis les tribunaux établis par ces trois législatures33.
  • La Saskatchewan reconnaît le droit d'utiliser le français et l'anglais devant les tribunaux alors que l'Alberta limite ce droit aux communications orales34.
  • Dans les autres provinces canadiennes, les justiciables ne bénéficient pas de droits linguistiques constitutionnels ou législatifs leur garantissant un accès dans l'une ou l'autre langue officielle aux cours supérieures de première instance dans les affaires autres que celles liées à une infraction au Code criminel.

4. Perspectives des intervenants du milieu judiciaire

Au cours de l'étude, on a demandé à un certain nombre d'intervenants de partager leurs perceptions et leurs expériences relatives à la capacité bilingue des cours supérieures. Les personnes consultées étaient des juges et juges en chef des cours supérieures, des avocats pratiquant le droit dans la langue de la minorité, ainsi que d'autres intervenants intéressés par les questions relatives à la magistrature. Voici les principaux résultats du sondage et des entrevues ainsi que les constats qui s'en dégagent.

4.1 Résultats du sondage

La présente section décrit les résultats du sondage concernant les cours supérieures de première instance. Les résultats du sondage indiquent que, selon la majorité des répondants, la capacité bilingue de certaines cours supérieures est insuffisante et il n'existe donc pas un accès égal aux cours supérieures dans les deux langues officielles.

Compte tenu du fait que la capacité bilingue des cours supérieures est susceptible de varier selon les districts, on a d'abord demandé aux avocats répondants s'il y avait des villes où il était plus facile ou plus difficile de procéder dans la langue de la minorité. La quasi-totalité des répondants a répondu qu'il y avait effectivement des villes où il était plus facile de procéder dans la langue de la minorité. Par conséquent, certains succès sont palpables.

Toutefois, à la question de savoir s'il existait des villes où il est plus difficile de procéder dans la langue de la minorité, la presque totalité de ceux qui étaient en mesure de répondre à cette question (84 sur 94) a répondu par l'affirmative.

Pour les villes où il était plus difficile de procéder, les enjeux suivants ont été notés.

Tableau 2 : Caractéristiques propres à la capacité bilingue d'une cour supérieure
Question : Considérant les districts ou les villes où il est plus difficile de procéder dans la langue de la minorité, veuillez indiquer votre niveau d'accord avec les énoncés suivants : % en accord (N=84)
La disponibilité de juges bilingues n'est pas assurée 85 %
Le personnel de la cour n'offre pas de services bilingues complets 83 %
On retrouve un nombre insuffisant de juges bilingues 82 %
La compétence linguistique des juges bilingues est insuffisante 61 %
Les procédures ne sont pas entendues dans des délais comparables 61 %
Les juges ne démontrent pas une bonne compréhension des droits linguistiques 48 %
Source : Sondage effectué par PRA Inc. dans le cadre de la présente étude (2012).

En somme, ces données indiquent que, dans les districts ou les villes où il est plus difficile de procéder dans la langue de la minorité, on retrouve souvent un nombre insuffisant de juges bilingues, ou encore, les juges qui sont considérés comme étant bilingues ne sont pas systématiquement disponibles et certains juges déclarés bilingues n'ont pas nécessairement un niveau de bilinguisme suffisant pour pouvoir entendre une cause dans la langue de la minorité. On note également une perception de compréhension inégale des droits linguistiques parmi les juges de ces districts ou de ces villes. À cela s'ajoutent les défis liés au manque de personnel bilingue de la cour et aux délais que peut entraîner une instance dans la langue de la minorité.

Au plan régional, les tendances décrites au Tableau 2 sont généralement moins marquées au Québec et au Nouveau-Brunswick que dans les autres provinces visées par le sondage, comme l'illustre la Figure 1 35.

Il y a eu un exemple où un procès devait se dérouler dans les deux langues. Finalement, toutes les procédures se sont déroulées en anglais parce que le client, bien que francophone, comprenait l'anglais. Donc indirectement, les francophones se font imposer l'anglais par le système parce que c'est plus facile.

- Avocat consulté

Il y a de plus en plus de personnes qui se représentent eux-mêmes […] plusieurs ne sont pas éligibles [à l'aide juridique], mais ne peuvent se permettre d'embaucher un avocat non plus. Or, quand ils se présentent devant un juge qui ne peut pas parler leur langue officielle, ils se retrouvent perdus, personne ne peut leur expliquer le processus ou les démarches.

- Avocat consulté

Description – Figure 1

La figure 1 est un graphique linéaire qui s'intitule « Niveau d'accord avec certains énoncés, par région où il est plus difficile de pratiquer dans les deux langues officielles ». Le mot « difficile » est souligné.

La mention suivante : « Source : sondage auprès des avocats (2012) » figure juste sous le titre.

L'axe des X comporte six catégories disposées de gauche à droite et portant les noms suivants : « Nombre insuffisant de juges bilingues », « Compétence linguistique insuffisante », « Disponibilité n'est pas assurée », « Pas entendu dans des délais comparables », « Services bilingues de la cour incomplets » et « Compréhension limitée des droits linguistiques ».

Sous l'axe des X se trouve une légende qui comporte quatre catégories provinciales dont chacune précise le nombre de répondants. Elles sont représentées par les points qui figurent sur le graphique linéaire. La première catégorie, Nouveau-Brunswick, est représentée par un losange et une ligne bleus, à la droite desquels figure l'indication « n=8 », entre crochets. La deuxième catégorie, Québec, est représentée par un carré et une ligne rouges, à la droite desquels figure l'indication « n=26 », entre crochets. La troisième catégorie, Ontario, est représentée par un triangle et une ligne verts, à la droite desquels figure l'indication « n=38 », entre crochets. Enfin, la quatrième catégorie, « Autres provinces », est représentée par un cercle et une ligne violets, à la droite desquels figure l'indication « n=12 », entre crochets.

L'axe des Y comporte des pourcentages de 0 à 100, inscrits de bas en haut selon des intervalles de 10 %.

Dans le graphique, quatre lignes représentent les quatre catégories provinciales. Chaque ligne fait le lien entre les points du graphique.

Les pourcentages de la catégorie « Nombre insuffisant de juges bilingues » sont les suivants : 88 % pour le Nouveau-Brunswick, 73 % pour le Québec, 84 % pour l'Ontario et 92 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Compétence linguistique insuffisante » sont les suivants : 75 % pour le Nouveau-Brunswick, 65 % pour le Québec, 58 % pour l'Ontario et 50 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Disponibilité n'est pas assurée » sont les suivants : 88 % pour le Nouveau-Brunswick, 77 % pour le Québec, 84 % pour l'Ontario et 100 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Pas entendu dans des délais comparables » sont les suivants : 50 % pour le Nouveau-Brunswick, 31 % pour le Québec, 79 % pour l'Ontario et 75 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Services bilingues de la cour incomplets » sont les suivants : 63 % pour le Nouveau-Brunswick, 89 % pour le Québec, 82 % pour l'Ontario et 92 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Compréhension limitée des droits linguistiques » sont les suivants : 63 % pour le Nouveau-Brunswick, 27 % pour le Québec, 58 % pour l'Ontario et 50 % pour les « Autres provinces ».

Tableau 3 : Caractéristiques propres à la capacité bilingue d'une cour supérieure
Question : Considérant les districts ou les villes où il est facile de procéder dans la langue de la minorité, veuillez indiquer votre niveau d'accord avec les énoncés suivants : % en accord (N=120)
La disponibilité des juges bilingues est assurée en tout temps 63 %
La compétence linguistique des juges bilingues est suffisante 88 %
Les juges démontrent une bonne compréhension des droits linguistiques 83 %
Un nombre suffisant de juges bilingues est assigné 78 %
Les procédures peuvent être entendues dans des délais comparables 58 %
La cour offre des services complets dans les deux langues 55 %
Source : Sondage effectué par PRA Inc. dans le cadre de la présente étude (2012).

Se référant maintenant aux districts où il est considéré facile de procéder dans la langue de la minorité, les répondants ont indiqué leur niveau d'accord avec les énoncés inclus au Tableau 3.

Ces résultats indiquent donc que, même dans les districts ou les villes où il est relativement facile de procéder dans la langue de la minorité, on ne saurait pour autant parler d'un accès égal ou équivalent dans les deux langues officielles. Entre autres, selon une forte proportion des répondants, le fait de procéder dans la langue de la minorité est peut-être une option, mais celle-ci risque d'entraîner des délais supplémentaires et, même si des juges bilingues sont disponibles, il est probable que d'autres services de la cour ne seront pas disponibles dans la langue de la minorité.

Sur une base régionale, si la situation décrite par les répondants du Nouveau-Brunswick et du Québec est relativement positive, il en va tout autrement pour les répondants situés en Ontario et dans les autres provinces ayant participé au sondage (Nouvelle-Écosse, Manitoba et Alberta). Les répondants de ces trois dernières provinces jugent surtout problématiques les délais qui résultent d'une demande pour procéder en français, la question de la disponibilité du personnel de cours bilingue et celle de la disponibilité des juges bilingues.

Quand un procès a lieu avec un client francophone et que je sais que l'autre partie est anglophone, je dis à mon client de procéder en anglais, parce que sinon je sais qu'il sera désavantagé. On fait des recommandations à l'encontre du code de déontologie parce que sinon, on sait qu'ils seront désavantagés.

- Avocat consulté

Description – Figure 2

La figure 2 est un graphique linéaire qui s'intitule « Niveau d'accord avec certains énoncés, par région où il est plus facile de pratiquer dans les deux langues officielles ». Le mot « facile » est souligné.

La mention : « Source : sondage auprès des avocats (2012) » figure juste sous le titre.

L'axe des X comporte six catégories disposés de gauche à droite et portant les noms suivants : « Nombre suffisant de juges bilingues », « Compétence linguistique suffisante », « Disponibilité assurée », « Entendu dans des délais comparables », « Personnel de la cour bilingue » et « Compréhension des droits linguistiques ».

Sous l'axe des X se trouve une légende qui comporte quatre catégories provinciales dont chacune précise le nombre de répondants. Elles sont représentées par les points qui figurent sur le graphique linéaire. La première catégorie, Nouveau-Brunswick, est représentée par un losange et une ligne bleus, à la droite desquels figure l'indication « n=11 », entre crochets. La deuxième catégorie, Québec, est représentée par un carré et une ligne rouges, à la droite desquels figure l'indication « n=58 », entre crochets. La troisième catégorie, Ontario, est représentée par un triangle et une ligne verts, à la droite desquels figure l'indication « n=40 », entre crochets. Enfin, la quatrième catégorie, « Autres provinces », est représentée par un cercle et une ligne violets, à la droite desquels figure l'indication « n=11 », entre crochets.

L'axe des Y comporte des pourcentages de 0 à 100, inscrits de bas en haut selon des intervalles de 10 %.

Dans le graphique, quatre lignes représentent les quatre catégories provinciales. Chaque ligne fait le lien entre les points du graphique.

Les pourcentages de la catégorie « Nombre suffisant de juges bilingues » sont les suivants : 91 % pour le Nouveau-Brunswick, 90 % pour le Québec, 65 % pour l'Ontario et 46 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Compétence linguistique suffisante » sont les suivants : 91 % pour le Nouveau-Brunswick, 91 % pour le Québec, 83 % pour l'Ontario et 91 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Disponibilité assurée » sont les suivants : 91 % pour le Nouveau-Brunswick, 78 % pour le Québec, 40 % pour l'Ontario et 36 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Entendu dans des délais comparables » sont les suivants : 73 % pour le Nouveau-Brunswick, 79 % pour le Québec, 35 % pour l'Ontario et 9 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Personnel de la cour bilingue » sont les suivants : 82 % pour le Nouveau-Brunswick, 53 % pour le Québec, 58 % pour l'Ontario et 27 % pour les « Autres provinces ».

Les pourcentages de la catégorie « Compréhension des droits linguistiques » sont les suivants : 82 % pour le Nouveau-Brunswick, 88 % pour le Québec, 80 % pour l'Ontario et 64 % pour les « Autres provinces ».

J'avais un client qui avait brisé ses conditions de libération en attendant l'appel. Parce que la cour bilingue siège quelques fois par année seulement, ils ne peuvent pas accorder d'audience d'urgence afin de faire devancer l'audition de l'appel pour prendre en considération les conditions de détention. Le juge a décidé de continuer la libération en dépit du bris des conditions. C'est une situation où on est pris entre deux injustices – soit on emprisonne quelqu'un en attendant d'avoir une audition dans la langue minoritaire, soit on libère quelqu'un qui ne le mérite pas et l'injustice est contre la société.

- Avocat consulté

Considérées globalement, les données de ce sondage confirment que la capacité bilingue d'une cour supérieure n'est pas uniquement tributaire du bilinguisme des juges et de la disponibilité de juges bilingues; toutefois, ce dernier facteur en constitue tout de même un élément central, qui demeure problématique.

Pour les cours d'appel, la situation est, de façon générale, jugée plus favorablement par les répondants. Globalement, les répondants du Nouveau-Brunswick et du Québec ont estimé que leur cour d'appel respective possédait une bonne capacité bilingue. Une évaluation plus nuancée a été donnée par les répondants de l'Ontario et ceux des autres juridictions.

4.2 Résultats des entrevues

Les entrevues auprès des avocats, des membres de la magistrature et d'organismes exerçant dans le domaine judiciaire ont permis de mieux comprendre certains défis qui ont été relevés par les répondants au sondage.

Délais et coûts supplémentaires

Bien des répondants aux entrevues ont noté que la décision que prend un membre d'une communauté de langue officielle en situation minoritaire de procéder dans sa langue n'est pas sans conséquence. Cette personne doit, en pratique, être prête à se voir imposer certains délais et peut-être même des coûts supplémentaires.

On dit qu'un membre de la minorité francophone a le choix entre être servi en anglais aujourd'hui ou en français demain.

- Avocat consulté

Cette dynamique va évidemment à l'encontre des droits linguistiques qui confèrent aux deux langues officielles un statut d'égalité, lequel engendre à son tour une obligation d'assurer un accès comparable aux tribunaux dans les deux langues officielles. Ces constatations vont dans le même sens que celles qui émanaient du récent rapport sur l'accès à la justice en français en Ontario. Dans son rapport, le Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français auprès du procureur général de l'Ontario soulignait la situation délicate dans laquelle se retrouvent plusieurs avocats au moment de conseiller leur client quant à la langue à adopter pour des procédures :

Le Comité reconnaît aussi que plusieurs avocats d'expression française se sentent obligés d'informer leurs clients francophones que le fait d'agir en français pourrait avoir des effets adverses, notamment sous forme de délais et de frais supplémentaires36.

Il y a définitivement des ajournements à cause du manque de juges [bilingues]. Si un juge [bilingue] prend congé, est en conflit d'intérêt ou est en vacances, les clients vont faire face à des délais supplémentaires. Indirectement, les justiciables sont poussés vers les services en anglais.

- Avocat consulté

Niveau de bilinguisme nécessaire

Au-delà de la question des délais ou des coûts supplémentaires, il faut aussi établir ce que l'on entend par le bilinguisme chez les juges et déterminer le niveau de bilinguisme qui assurera une véritable capacité institutionnelle dans les deux langues officielles. Il va de soi qu'une instance devant les tribunaux (peu importe le domaine du droit) exige que toutes les parties – et particulièrement le juge qui préside l'instance – puissent comprendre toute l'information et l'argumentation présentées, y compris les nuances pouvant avoir un impact sur l'issue du procès.

Il y a certains juges qui se présentent comme étant bilingues, mais quand ils se font nommer, ils se rendent compte qu'ils n'ont pas vraiment la capacité de présider aux audiences en français, et ensuite refusent d'entendre des causes en français.

- Intervenant consulté

Les personnes consultées dans le cadre de cette étude nous ont signalé que le niveau de bilinguisme exigé d'un juge présidant une instance dans la langue de la minorité (ou une instance bilingue) va bien au-delà de la capacité de converser dans les deux langues officielles. Le juge doit non seulement être en mesure de comprendre les faits qui lui sont soumis et au besoin, les témoignages, mais il doit en outre posséder une connaissance, dans les deux langues officielles, de la terminologie juridique applicable à l'instance qu'il préside.

À cet égard, il importe de se référer à une étude du ministère de la Justice du Canada portant sur les besoins en formation à l'intérieur du système judiciaire et dans laquelle les divers niveaux de capacité linguistique sont clairement définis :

Il va sans dire que la maîtrise du vocabulaire juridique dépasse largement la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles. On a plutôt affaire ici à une suite logique où la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles constitue la première étape. Va suivre la deuxième étape consistant à maîtriser le vocabulaire juridique approprié au domaine de la justice dans lequel l'intervenant œuvre. Une troisième et dernière étape consiste à s'approprier le discours juridique dans les deux langues officielles, c'est-à-dire la capacité d'utiliser de façon appropriée le vocabulaire juridique acquis dans son application pratique37. [En italique dans le texte]

Or, des intervenants consultés ont noté que le niveau de bilinguisme de certains juges paraît être insuffisant pour s'assurer que l'information présentée sera aussi bien comprise dans l'une et l'autre des deux langues officielles. Cette réalité s'applique tout aussi bien à l'oral qu'à l'écrit.

Sensibilisation des justiciables et de la communauté juridique

Sensibiliser les justiciables et la communauté juridique aux droits linguistiques qui existent dans leur province constitue, du point de vue de plusieurs intervenants, un défi de taille. Considérant à la fois l'importance des enjeux qui se retrouvent devant un juge et le caractère particulièrement formel des tribunaux, on ne saurait sous-estimer l'importance de cette sensibilisation. Les justiciables et la communauté juridique doivent être en mesure non seulement de comprendre l'étendue des droits linguistiques qui existent dans une juridiction donnée - ce que la complexité du système judiciaire canadien ne facilite pas, mais ils doivent aussi être convaincus que l'exercice de ces droits n'entraînera pas d'impact négatif.

On dit souvent aux francophones ‘si tu parles anglais, pourquoi pas procéder en anglais'.

- Intervenant consulté

Cette dynamique rappelle l'importance de sensibiliser l'ensemble des intervenants du système judiciaire aux droits linguistiques des justiciables afin d'informer, de façon proactive, les justiciables et la communauté juridique de l'existence de ces droits et de la capacité d'un tribunal de pouvoir en assurer la mise en œuvre efficace. Si cette règle est d'application universelle, elle est d'autant plus importante dans les régions où les communautés de langue officielle se retrouvent en situation très minoritaire.

Comme l'ont noté certains intervenants consultés, l'hésitation de la part de certains justiciables d'exercer leurs droits linguistiques engendre à son tour un cercle vicieux : moins les justiciables exercent leurs droits, moins le système judiciaire a l'occasion de consolider sa capacité linguistique. Les juges qui tentent d'améliorer ou de maintenir leur compétence linguistique ont peu d'occasions de présider dans leur deuxième langue officielle, ce qui réduit encore plus leurs chances d'atteindre un niveau de bilinguisme satisfaisant.

Il ne faut pas seulement tolérer ou accommoder le français dans les cours; il faut également en faire la promotion. Sinon, le justiciable pourra être poussé à choisir l'anglais pour réduire les coûts, la complexité ou les délais.

- Juge consulté

5. Processus de nomination des juges des cours supérieures

La section précédente a fait état des défis et difficultés que les personnes consultées ont relevés relativement à la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures et l'impact d'une telle situation sur la reconnaissance et l'exercice des droits linguistiques des citoyens. Nous verrons dans cette section les principales caractéristiques du processus de nomination des juges des cours supérieures, et tout particulièrement les aspects qui ont un impact négatif sur la capacité bilingue de la magistrature.

D'entrée de jeu, il importe de reconnaître qu'il revient au Conseil des ministres (gouverneur général en conseil) de nommer les juges des cours supérieures, sur recommandation du ministre de la Justice ou du premier ministre. Le ministre de la Justice soumet les recommandations relatives à la nomination des juges puînés (membres réguliers d'une cour), alors que les recommandations relatives à la nomination des juges en chef et des juges en chef associés sont la prérogative du premier ministre38.

Très peu de règles formelles encadrent le processus menant à la nomination des juges des cours supérieures. Ainsi, ce processus demeure aujourd'hui largement discrétionnaire. Le critère principal que doit respecter le Conseil des ministres est de nommer des avocats qui sont inscrits au barreau d'une province depuis au moins 10 ans39.

La quasi-absence de balises législatives ou règlementaires n'empêche en rien le ministre de la Justice d'établir un processus qui l'appuierait tout au long de la démarche menant aux recommandations qu'il dépose auprès du Conseil des ministres. La prochaine sous-section décrit les principales étapes du processus de nomination des juges des cours supérieures et recommande des pistes d'action pouvant contribuer à améliorer la capacité bilingue de la magistrature.

5.1 Description du processus de nomination

Aux fins de la présente étude, le processus de nomination des juges des cours supérieures est divisé en quatre étapes principales, lesquelles sont illustrées à la Figure 3.

Examen de la candidature par le Commissariat à la magistrature fédérale

Les avocats qui désirent soumettre leur candidature pour un poste à la magistrature fédérale peuvent le faire à tout moment durant l'année, puisque ce processus n'est pas lié à l'existence d'un poste à pourvoir à la suite, par exemple, d'une retraite ou d'une démission. Le but du processus de nomination consiste à créer un bassin de candidats pouvant être considérés au moment où un poste se libère.

Le formulaire de candidature permet à l'avocat de présenter son parcours professionnel et de décrire les raisons pour lesquelles il souhaite siéger à titre de juge d'une cour supérieure. Il est important de noter que le formulaire demande aux candidats de préciser « la langue dans laquelle [ils sont] en mesure d'entendre et de présider un procès » et offre l'anglais, le français et « autres » comme options de réponse.

Les formulaires de candidature sont déposés auprès du Commissariat à la magistrature fédérale Canada. Cet organisme joue un rôle de premier plan dans le processus de nomination des juges, puisqu'il administre ce processus en appui au ministre de la Justice. Soulignons que le rôle du Commissariat à la magistrature fédérale se limite à s'assurer que les différentes étapes du processus sont administrées de façon efficace et qu'il ne peut émettre d'opinion sur les candidatures soumises.

Description – Figure 3

La figure 3 est un organigramme qui a pour titre « Processus de nomination des juges des cours supérieures ».

Le graphique est composé de boîtes de texte liées par des flèches orientées vers le bas.

Sous le titre, se trouve l'énoncé suivant : « Le candidat remplit une fiche de candidature ». Une flèche part de cet énoncé et pointe la boite de texte se trouvant au niveau inférieur dans laquelle il est écrit : « Le Commissariat à la magistrature fédérale détermine si les critères de base sont satisfaits ». Deux autres boîtes en forme de cercle se trouvent sous cette boîte. L'une se trouve à droite, l'autre à gauche. Toutes deux sont placées sous la boîte précédente et sont unies par deux flèches. Dans la boîte de gauche, on peut lire « Candidature rejetée », et dans celle de droite, « Candidature acceptée ». Une flèche part de cette boîte et pointe celle se trouvant en dessous dans laquelle il est écrit : « Étude par un comité consultatif ». Une flèche part de cette boîte et pointe celle se trouvant en dessous dans laquelle il est écrit : « Évaluation du candidat transmise au ministre de la Justice ». Une flèche part de cette boîte pour pointer celle se trouvant à droite, au même niveau, dans laquelle il est écrit : « Le bureau du ministre de la Justice consulte au besoin ». Une autre flèche part de cette boîte et pointe celle se trouvant en dessous dans laquelle il est écrit : « Recommandation du ministre de la Justice ». Enfin, une dernière flèche part de cette boîte et pointe celle se trouvant à droite, au même niveau, dans laquelle il est écrit : « Nomination du juge par le Conseil des ministres ».

Au moment de recevoir une candidature, le Commissariat s'assure que toute l'information requise s'y trouve. En outre, il détermine si la candidature soumise satisfait aux conditions requises pour être juge40. Si la candidature soumise est complète et admissible, elle est alors transmise pour examen à un comité consultatif.

Travail des comités consultatifs41

On compte actuellement 17 comités consultatifs chargés d'évaluer les compétences des avocats ayant soumis leur candidature pour un poste à la magistrature fédérale42. La charge de travail de ces comités est considérable. À titre d'exemple, durant l'exercice financier 2011-2012, le Commissariat a transmis 515 candidatures à ces comités consultatifs et 43 candidats ont été nommés juges d'une cour supérieure43.

On retrouve un comité consultatif dans chacune des 10 provinces et chacun des trois territoires. En raison de leur population plus élevée, l'Ontario et le Québec comptent des comités supplémentaires : trois au total en Ontario et deux au Québec.

Les comités consultatifs sont formés de huit personnes :

  • Trois membres désignés directement par le ministre de la Justice du Canada
  • Un membre désigné par le juge en chef de la province ou du territoire
  • Un membre désigné par le barreau de la province ou du territoire
  • Un membre désigné par l'Association du Barreau canadien
  • Un membre désigné par le ministre de la Justice ou le procureur général de la province ou du territoire
  • Un membre désigné par la collectivité des responsables de l'application de la loi (services policiers, agents d'exécution, etc.)

Le commissaire à la magistrature fédérale ou son délégué siège également sur ces comités, mais sans droit de vote. Son rôle vise à appuyer le travail du comité.

Critères d'évaluation des candidats à la magistrature

Compétences et expériences professionnelles

  • compétence générale en droit
  • aptitudes intellectuelles
  • capacité d'analyse
  • capacité d'écoute
  • ouverture d'esprit vis-à-vis les deux côtés d'un argument
  • capacité de prendre des décisions
  • objectivité de jugement
  • réputation professionnelle et communautaire
  • domaine(s) de spécialisation ou d'expérience spécifique professionnelle
  • capacité de gérer le temps et le travail sans supervision
  • capacité de gérer un lourd fardeau de travail
  • capacité de travail seul et sous pression
  • relations interpersonnelles avec ses collègues et le public en général
  • sensibilité aux questions se rapportant à l'égalité des sexes et à l'égalité raciale
  • bilinguisme

Qualités personnelles

  • sens moral
  • patience
  • courtoisie
  • honnêteté
  • bon sens
  • tact
  • intégrité
  • humilité
  • ponctualité
  • impartialité
  • fiabilité
  • tolérance
  • sens de responsabilité
  • égards pour autrui

Source : Commissariat à la magistrature fédérale Canada

Chaque comité consultatif se réunit au besoin pour discuter des candidatures qui lui ont été transmises par le Commissariat. En plus d'examiner l'information concernant un candidat, les membres du comité consultatif effectuent une vérification de références afin d'évaluer plus en profondeur les compétences des candidats, y compris celle relative au bilinguisme. On encourage aussi le comité à consulter un grand nombre de sources additionnelles à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté juridique afin d'obtenir davantage d'information au sujet des compétences et expériences professionnelles des candidats44.

Pour faciliter l'évaluation des candidats, le Commissariat fournit une liste de compétences professionnelles et de qualités personnelles recherchées chez un membre de la magistrature. Quinze compétences et types d'expérience professionnelle et quatorze qualités personnelles (voir l'encadré, page 25) servent à guider l'analyse des candidatures soumises. Il est à noter qu'aucun poids relatif n'est accordé à ces compétences et qualités personnelles.

Bien que le bilinguisme se trouve sur la liste des compétences recherchées, il faut noter que ce critère n'est pas évalué de façon systématique ni sur la base de critères objectifs. Les comités consultatifs mènent très rarement des entrevues auprès des candidats. En outre, étant donné le grand nombre de compétences recherchées, on peut se demander quelle place peut être accordée au bilinguisme.

Pour chaque candidature soumise, le comité consultatif détermine s'il s'agit d'une candidature « recommandée » ou « sans recommandation », laquelle détermination est valide pour une période de deux ans. À cela peuvent s'ajouter des commentaires concernant la candidature. Ainsi, la liste de candidats applicable à une province ou à un territoire est transmise par le comité consultatif au Commissariat à la magistrature fédérale qui la fait suivre par la suite au bureau du ministre de la Justice du Canada.

Il importe de souligner que les comités consultatifs n'ont aucun fondement législatif. Il s'agit d'un mécanisme que le gouvernement fédéral a mis sur pied pour appuyer le travail du ministre de la Justice.

Consultations du ministre de la Justice

Lorsqu'un poste à la magistrature doit être pourvu, le ministre de la Justice dispose d'une liste de candidats recommandés et sans recommandation qu'il peut utiliser pour désigner la personne qui sera appelée à pourvoir ce poste. En théorie, le ministre de la Justice peut nommer une personne n'ayant pas été recommandée par le comité ou même un avocat ne figurant pas sur la liste des candidats recommandés, mais en pratique, la convention veut que le choix du ministre de la Justice porte sur l'un des candidats recommandés par le comité consultatif.

Le ministre peut mener les consultations qu'il juge appropriées avant de choisir la personne à recommander pour nomination. En règle générale, le ministre de la Justice communique avec le juge en chef de la cour visée afin de discuter, par exemple, des besoins de sa cour dans un domaine spécifique du droit, de la capacité bilingue, ou d'autres besoins. Le ministre peut également communiquer avec tout autre intervenant qui pourrait offrir une information utile à sa prise de décision.

Décision du Conseil des ministres

Une fois que le ministre a déterminé le candidat qu'il entend proposer pour un poste donné, son bureau, en collaboration avec le Commissariat, prépare la recommandation formelle qui sera déposée auprès du Conseil des ministres qui effectue la nomination par le biais d'un décret signé par le gouverneur général.

5.2 Pratiques utilisées dans certaines provinces

Il incombe au gouvernement de chaque province et territoire de nommer les juges des cours provinciales et autres tribunaux relevant de compétences provinciales. Les pratiques utilisées à cette fin varient de façon significative entre les provinces et territoires. Cette sous-section de l'étude n'a donc pas pour objet de décrire en détail le processus de nomination de chacune des provinces ou de chacun des territoires, mais elle permet de faire ressortir certaines pratiques qui pourraient être considérées au niveau fédéral45 :

  • Processus basé sur un poste vacant : Dans certaines provinces, dont le Québec, l'Ontario, et le Manitoba, le processus de nomination n'est entamé que lorsqu'un poste à la magistrature est à pourvoir. Ainsi, les candidats désirant soumettre leur candidature sont appelés à le faire une fois que l'annonce d'un poste vacant a été publiée. Cela se distingue du processus fédéral, qui vise plutôt à établir un bassin de candidats dans l'éventualité où un poste doit être pourvu.
  • Désignation de postes bilingues : Aux fins de la présente étude, il est particulièrement intéressant de noter que certains postes de juges de la Cour de justice de l'Ontario et de juges de paix sont, de fait, désignés bilingues. Ainsi, le juge en chef de la Cour de justice de l'Ontario décide si un poste doit être pourvu par un juge bilingue et la convention veut que le procureur général respecte cette décision.
  • Entrevue avec les candidats : Une des différences importantes entre les processus provinciaux et le processus fédéral est l'entrevue menée auprès des candidats. Le Nouveau-Brunswick, le Québec, l'Ontario et le Manitoba convoquent systématiquement les candidats éventuels à une entrevue, afin d'évaluer, entre autres, leurs compétences linguistiques.
  • Examen de la capacité bilingue des candidats : En Ontario, le processus visant la nomination d'un juge de paix bilingue comprend une évaluation visant à déterminer objectivement les compétences des candidats aux plans oral et écrit en français, selon les normes provinciales d'évaluation des compétences linguistiques46. Cette démarche va donc bien au-delà de l'évaluation pouvant être effectuée au moyen d'une entrevue avec le candidat.
  • Composition des comités consultatifs : En Ontario, le comité consultatif chargé d'examiner les candidatures est composé de 13 membres et, en conformité avec la Loi sur les tribunaux judiciaires, la nomination de ces membres doit refléter « la dualité linguistique de l'Ontario et la diversité de sa population et garantir un équilibre général entre les deux sexes47. » Le Manitoba a adopté une approche similaire.

Ces pratiques illustrent la tendance actuelle au pays de favoriser un encadrement plus serré du pouvoir discrétionnaire de nomination des juges, de façon à rendre le processus plus objectif et transparent. Ce type d'encadrement ne peut que favoriser un meilleur accès à la justice dans les deux langues officielles et renforcer les droits linguistiques des justiciables.

5.3 Constats et pistes d'action

Les résultats du sondage et des entrevues ainsi que les informations provenant de l'examen des processus de nomination dans plusieurs juridictions canadiennes nous permettent d'émettre un certain nombre de constats au sujet du processus de nomination des juges des cours supérieures. Ces constats sont le fondement des pistes d'action que nous proposons au gouvernement du Canada afin d'améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures.

Nécessité d'une approche adaptée et concertée

Bien qu'il existe une certaine capacité bilingue à l'intérieur de la magistrature des cours supérieures, celle-ci ne découle pas d'un processus systémique et clairement articulé, ni d'une approche concertée des différents intervenants.

Selon mon expérience, la capacité [bilingue de notre cour] n'a été le résultat que de circonstances fortuites ou de la chance. Je n'ai jamais entendu dire que les compétences linguistiques d'un candidat à la magistrature avaient joué un rôle dans sa nomination à cette cour. [traduction]

- Juge consulté

En effet, les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada ne pourront bénéficier d'un accès égal à des services de qualité égale de la part de la magistrature des cours supérieures que si ces dernières comptent, en tout temps, un nombre approprié de juges bilingues ayant la capacité de présider des instances bilingues ou dans la langue de la minorité, et ce, sans l'aide d'interprétation simultanée. Pour ce faire, les mesures prises pour améliorer et consolider la capacité bilingue de la magistrature doivent tenir compte des caractéristiques et des besoins particuliers de chacune des juridictions. Ainsi, le régime linguistique applicable dans chacune des provinces et l'organisation des tribunaux par le gouvernement provincial sont deux facteurs dont devrait tenir compte le ministre de la Justice du Canada dans sa recherche de solutions visant à améliorer le processus de nomination.

La solution n'est toutefois pas l'adoption d'une approche unique qui s'appliquerait à toutes les cours supérieures du pays. Il revient aux principaux intervenants, dont les procureurs généraux des provinces et les juges en chef de chaque cour supérieure, de collaborer étroitement avec le ministre de la Justice du Canada afin d'assurer la nomination d'un nombre approprié de juges bilingues. Si une telle approche collaborative est essentielle pour déterminer le nombre approprié de juges bilingues, elle doit aussi tenir compte de l'avis des intervenants clés, tels que les barreaux, les associations de juristes d'expression française et la communauté juridique de langue officielle vivant en situation minoritaire. Ces consultations permettraient de cerner les besoins des justiciables et des avocats pour ce qui est de services judiciaires dans la langue de la minorité.

Approches à considérer pour améliorer et assurer la capacité bilingue de la magistrature

Les consultations menées dans le cadre de cette étude, ainsi que l'analyse comparative des processus de nomination au niveau fédéral et provincial, ont permis d'établir au moins trois approches qui pourraient être envisagées pour assurer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures.

1) Nombre approprié de postes désignés bilingues

Selon cette approche, le ministre de la Justice du Canada pourrait s'entendre avec le procureur général d'une province et le juge en chef pour déterminer un nombre approprié de postes qui seraient désignés bilingues au sein de la cour. Ainsi, lorsque ces postes deviendraient vacants, le ministre de la Justice serait tenu de nommer un juge bilingue, c'est-à-dire, un juge ayant la compétence linguistique requise pour présider, dès sa nomination, des instances dans la langue de la minorité. Il s'agit de l'approche adoptée par la province de l'Ontario en ce qui concerne la nomination des juges de paix. Cette approche aurait l'avantage d'offrir un niveau de certitude, de continuité et de stabilité en ce qui concerne la capacité linguistique des tribunaux et contribuerait à rehausser le niveau de confiance des justiciables envers l'accès à la justice dans leur langue. Une telle approche permettrait également la désignation de postes bilingues dans certains districts judiciaires.

2) Nombre approprié de juges bilingues

Une deuxième approche consisterait à établir un seuil de capacité bilingue au sein de la magistrature en déterminant le nombre approprié de juges bilingues, sans rattacher ce nombre de juges à des postes précis. Cette approche, bien qu'elle offre moins de certitude, a toutefois l'avantage de permettre une plus grande flexibilité au Juge en chef qui serait en mesure d'assigner les requêtes et procès bilingues ou dans la langue de la minorité aux juges ayant la compétence linguistique requise, sans égard à la désignation linguistique de leur poste.

3) Approche mixte

Enfin, la troisième approche qui pourrait convenir dans certaines juridictions est une combinaison des deux premières. Dans ce cas, la désignation de postes bilingues ne serait pas une fin en soi, mais plutôt un moyen à court terme visant à combler la pénurie de juges bilingues. Une fois que la capacité bilingue de la cour aura été établie grâce à la nomination de juges bilingues à ces postes désignés bilingues, le juge en chef pourra déterminer si la désignation de postes bilingues demeure appropriée en toutes circonstances ou si la capacité bilingue de la cour peut aussi être assurée par la nomination de juges bilingues.

Dans les trois options présentées ci-dessus, en plus d'une approche visant à assurer la capacité bilingue institutionnelle de la magistrature, les juges en chef pourraient vouloir consolider et accroître cette capacité en favorisant la nomination de juges ayant des compétences linguistiques suffisantes qui leur permettraient éventuellement d'atteindre, grâce à un programme de formation linguistique, le niveau de bilinguisme requis pour présider des instances dans la langue de la minorité.

Évaluation de la compétence linguistique des candidats à la magistrature

Quelle que soit l'approche retenue pour améliorer ou assurer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures, l'absence d'un processus indépendant et rigoureux pour évaluer la compétence linguistique des candidats à la magistrature demeure une lacune importante du processus actuel de nomination des juges.

Le seul critère qui soit colligé de façon systématique pour ce qui est de la capacité bilingue des candidats à la magistrature des cours supérieures est la question incluse dans la fiche de candidature où le répondant doit préciser dans quelle(s) langue(s) il est en mesure d'entendre ou de présider un procès. Au mieux, cette auto-évaluation est discutée par les membres des comités consultatifs ou par le bureau du ministre de la Justice lors de consultations. Au pire, cette auto-évaluation n'est confirmée d'aucune manière. Cette situation n'offre aux juges en chef aucune garantie du niveau de bilinguisme des juges « bilingues » nouvellement nommés, ni de leur capacité d'exercer toutes leurs responsabilités judiciaires dans leur langue seconde.

La déclaration qui figure actuellement dans la fiche de candidature doit servir de point de départ à un processus d'évaluation formel de la compétence linguistique des candidats. Toutefois, cette déclaration devrait être modifiée afin que le candidat puisse préciser son niveau de compétence linguistique. Ainsi, le candidat devrait indiquer qu'il possède soit (1) les compétences linguistiques requises afin de présider un procès en français et en anglais, dès sa nomination, soit (2) les compétences linguistiques requises afin de présider un procès en français et en anglais après avoir suivi de la formation linguistique. Les compétences linguistiques des candidats seraient évaluées par le Commissariat à la magistrature fédérale puisque c'est à cet organisme qu'il incombe d'administrer le processus de nomination.

Une évaluation linguistique de cette nature, indépendante et rigoureuse, permettrait au comité consultatif d'identifier les candidats bilingues pouvant être nommés à titre de juge bilingue ou dans un poste désigné bilingue et les candidats susceptibles d'atteindre le niveau de bilinguisme approprié grâce à la formation linguistique.

Manifestement, ce ne sont pas tous les juges des cours supérieures qui doivent être en mesure d'entendre une audience dans les deux langues officielles. Cependant, les nominations de juges bilingues qui visent à établir la capacité bilingue d'une cour supérieure doivent garantir aux justiciables que les juges possèdent, effectivement et dès leur nomination, les compétences linguistiques requises pour comprendre le français et l'anglais et communiquer clairement dans ces deux langues. On ne peut offrir une telle garantie aux justiciables que s'il existe un mécanisme permettant d'évaluer les compétences linguistiques des candidats. Enfin, une connaissance des compétences réelles des juges de leur cour permettrait aux juges en chef d'assigner les dossiers bilingues aux juges ayant pleinement les compétences linguistiques pour les traiter et serait un outil utile dans la planification de la formation linguistique.

Rôle et composition des comités consultatifs

Les comités consultatifs ont pour mandat de veiller à ce que l'évaluation des candidats à la magistrature permette au ministre de la Justice du Canada de recommander ceux qui répondront le mieux aux besoins de la cour supérieure à laquelle ils seront assignés. Dans le cadre de leur évaluation, les comités consultatifs ne sont pas tenus de consulter uniquement les personnes que le candidat ou la candidate propose comme références. Ils sont invités à consulter d'autres sources à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté juridique qui pourraient avoir des renseignements sur les compétences et expériences professionnelles des candidats.

À l'heure actuelle, il n'y a aucune garantie que les comités consultatifs comptent dans leurs rangs des membres ayant une bonne compréhension de la réalité linguistique de leur province ou territoire. La participation d'un membre provenant de la communauté linguistique minoritaire de la province ou du territoire ferait en sorte que les comités consultatifs puissent réaliser pleinement leur mandat, en aidant notamment à identifier les personnes-ressources susceptibles de fournir des références pertinentes sur les compétences et expériences professionnelles des candidats bilingues.

Le ministre de la Justice du Canada nomme trois des membres de chacun des comités consultatifs. En conformité avec l'obligation que lui confère la Loi sur les langues officielles en matière de promotion des langues officielles, le ministre devrait s'assurer que les comités consultatifs comptent au moins un membre de la communauté francophone ou anglophone minoritaire de la province ou du territoire.

Il revient en outre au Commissariat à la magistrature fédérale d'appuyer le travail de chacun des comités consultatifs. À cette fin, le Commissariat doit s'assurer que tous les membres des comités consultatifs ont une compréhension adéquate des droits linguistiques reconnus aux justiciables qui interagissent avec les cours supérieures.

Enfin, il incombe aux comités consultatifs de préparer un rapport comportant une liste des personnes évaluées, précisant si leur candidature est « recommandée » ou « sans recommandation ». Le rapport comprend aussi parfois un résumé à l'appui de l'évaluation et des commentaires. Il serait utile de préciser, sur la liste des candidats qui est transmise au ministre de la Justice, ceux qui sont effectivement « bilingues » selon les résultats de l'évaluation linguistique effectuée par le Commissariat à la magistrature fédérale, de sorte que le ministre dispose de toute l'information pertinente. Le comité pourrait également signaler dans les commentaires à l'appui de l'évaluation des candidats ceux qui possèdent le niveau de compétence linguistique requise pour pouvoir présider un procès en français et en anglais après avoir suivi de la formation linguistique.

Importance des données sur le bassin de candidats bilingues

Un des enjeux souvent évoqués par certains intervenants est le nombre insuffisant de candidats bilingues qualifiés, ce qui constituerait un obstacle à la nomination d'un nombre approprié de juges bilingues. En réalité, il est impossible de connaître le nombre d'avocats et avocates bilingues qui soumettent leur candidature, car le Commissariat à la magistrature fédérale ne recueille pas ce type de données.

Actuellement, il n'existe aucun mécanisme permettant d'évaluer le nombre de candidats bilingues qualifiés qui se retrouvent dans le bassin à partir duquel le ministre de la Justice effectue chaque nouvelle nomination. En l'absence de telles données, on ne peut que spéculer sur le besoin de recruter davantage d'avocats bilingues afin qu'ils soumettent leur candidature.

Le Commissariat à la magistrature fédérale serait l'organisme tout désigné pour recueillir et publier cette information.

Afin d'obtenir une mesure plus précise du nombre de candidats bilingues qualifiés, il serait utile que le Commissariat à la magistrature fédérale recueille et publie des statistiques annuelles à cet égard. De façon complémentaire, il conviendrait de comptabiliser le nombre de candidats qualifiés qui, selon les résultats de l'évaluation objective et indépendante, possèdent les aptitudes pour devenir bilingues à la suite d'une formation linguistique. De telles données seraient utiles non seulement au ministre de la Justice, mais aussi aux barreaux, aux associations de juristes d'expression française de common law et aux facultés de droit. De plus, ces informations permettraient de mieux cibler les efforts visant à encourager les candidats bilingues qualifiés à poser leur candidature et à assurer la présence d'un bassin suffisamment important de candidats bilingues à partir duquel le ministre pourra effectuer des nominations basées sur le mérite et l'excellence.

5.4 Conclusions et recommandations

À l'heure actuelle, il n'existe pas d'action concertée de la part du ministre de la Justice du Canada et de ses homologues provinciaux et territoriaux afin d'assurer en tout temps une capacité bilingue adéquate au sein de la magistrature fédérale des cours supérieures. De plus, bien que le ministre de la Justice puisse consulter les juges en chef sur leurs besoins en matière de compétences linguistiques, une telle approche ne repose pas sur une analyse structurée et systématique de la capacité bilingue des cours supérieures. Enfin, le processus de nomination ne garantit pas que les candidats bilingues nommés ont les compétences linguistiques requises pour présider des instances dans leur langue seconde.

En conséquence, pour faire en sorte que le processus de nomination permette d'assurer et de consolider la capacité bilingue des cours supérieures, le commissaire aux langues officielles formule des recommandations portant sur :

  • la capacité bilingue des cours supérieures
  • les compétences linguistiques des candidats à la magistrature
  • la composition et le rôle des comités consultatifs.

Ces recommandations doivent être considérées dans le contexte plus large du bilinguisme institutionnel des tribunaux, qui requiert également une capacité bilingue de la part des officiers de la cour et des structures qui appuient le travail de la magistrature.

Recommandation 1 : Capacité bilingue des cours supérieures

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. d'entreprendre, d'ici au 1er septembre 2014, en collaboration avec chacun de ses homologues provinciaux et territoriaux, une démarche visant à assurer en tout temps une capacité bilingue appropriée au sein de la magistrature des cours supérieures du pays;
  2. d'établir, de concert avec le procureur général et les juges en chef des cours supérieures de chaque province et territoire, un protocole d'entente visant à :
    • 2.1. fixer les termes de cette démarche collaborative;
    • 2.2. adopter une définition commune du niveau de compétence linguistique requis de la part des juges bilingues afin qu'ils puissent présider des instances dans leur langue seconde;
    • 2.3. définir le nombre approprié de juges et/ou de postes désignés bilingues;
  3. d'inviter le procureur général de chaque province et territoire à mettre sur pied un processus de consultation de la magistrature et du barreau auquel participera l'association de juristes d'expression française de common law ou la communauté juridique de langue minoritaire afin de considérer leur point de vue sur le nombre approprié de juges bilingues ou de postes désignés bilingues;
  4. de réévaluer, en collaboration avec le procureur général et les juges en chef des cours supérieures de chaque province et territoire, la capacité bilingue des cours supérieures de façon périodique ou lorsque surviennent des changements susceptibles d'avoir un impact sur l'accès à la justice dans la langue de la minorité.

Recommandation 2 : Compétences linguistiques des candidats à la magistrature

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. Le commissaire aux langues officielles recommande que le ministre de la Justice du Canada, d'ici au 1er septembre 2014, accorde au Commissariat à la magistrature fédérale le mandat de :
    • 5.1. mettre en place un processus visant à évaluer de façon systématique, indépendante et objective les compétences linguistiques de tous les candidats qui ont précisé leur niveau de capacité linguistique dans leur fiche de candidature;
    • 5.2. transmettre au comité consultatif approprié les résultats de l'évaluation linguistique des candidats;
    • 5.3. recueillir et publier les données sur le nombre de candidats dont l'évaluation linguistique confirme qu'ils seraient en mesure de présider une instance dans les deux langues officielles dès leur nomination.

Recommandation 3 : Composition et rôle des comités consultatifs

Le commissaire aux langues officielles recommande au ministre de la Justice du Canada :

  1. de nommer au sein de chaque comité consultatif un membre de la communauté francophone ou anglophone minoritaire de la province ou du territoire;
  2. de demander aux comités consultatifs de préciser sur la liste des candidats transmise au ministre de la Justice lesquels sont « bilingues » ou en mesure de présider des instances en français et en anglais dès leur nomination, selon les résultats de l'évaluation linguistique provenant du Commissariat à la magistrature fédérale;
  3. de demander au Commissariat à la magistrature fédérale de fournir aux membres des comités consultatifs l'information dont ils ont besoin pour bien comprendre les droits linguistiques des justiciables et les obligations linguistiques des cours supérieures.

6. Formation linguistique des juges des cours supérieures

La formation linguistique des juges est une composante essentielle au maintien et au renforcement de la capacité bilingue des cours supérieures. La présente section du rapport traite en premier lieu de la formation actuellement offerte aux juges œuvrant à l'intérieur des cours supérieures et décrit par la suite l'initiative de formation linguistique parrainée par le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales. On trouve à la fin de la présente section des recommandations qui permettraient de bonifier la formation linguistique offerte à la magistrature fédérale.

6.1 Description

La formation des juges des cours supérieures au pays est offerte par deux organismes. Comme l'indique la Figure 4, le Commissariat à la magistrature fédérale est responsable de la formation linguistique des juges des cours supérieures, alors que l'Institut de la magistrature est responsable de la formation sur le droit substantif.

Description – Figure 4

La figure 4 présente deux organigrammes. Elle a pour titre « Formation de la magistrature ».

Une boîte de texte figure au-dessus de l'organigramme situé à gauche. On peut y lire « Commissariat à la magistrature fédérale ». Une flèche part de cette boîte pour pointer l'énoncé juste en dessous, soit « Formation linguistique ».

Une boîte de texte figure au-dessus de l'organigramme situé à droite. On peut y lire « Institut national de la magistrature ». Une flèche part de cette boîte pour pointer l'énoncé juste en dessous, soit « Formation sur le droit substantif ».

Le Commissariat à la magistrature fédérale offre trois niveaux de formation linguistique :

  • Le niveau 1 inclut des cours de base, intermédiaires et avancés. Ces cours sont les équivalents des niveaux A, B et C du gouvernement fédéral. Même si elles peuvent intégrer certaines dimensions juridiques, ces activités de formation sont essentiellement axées sur la maîtrise de la langue seconde.
  • Le niveau 2 de formation permet aux participants de perfectionner leur maîtrise de leur langue seconde.
  • Le niveau 3 vise spécifiquement les juges francophones siégeant à l'extérieur du Québec. Ce cours vise à perfectionner leur maîtrise de la terminologie juridique en français.

La formation offerte par le Commissariat inclut des sessions d'immersion (d'une ou deux semaines), des cours privés individuels en raison d'une ou deux sessions par semaine, de même que certains cours intensifs d'une durée d'une ou deux semaines offerts à Ottawa.

Les consultations tenues dans le cadre de la présente étude confirment que ces activités de formation sont fort appréciées des juges des cours supérieures. Les juges en chef informent les juges de leur cours de l'existence de ces activités et en facilitent l'accès à ceux qui y sont intéressés.

La durée de la formation linguistique requise avant qu'un participant puisse présider une instance dans sa langue seconde varie selon le niveau de compétences linguistiques de l'apprenant. À cet égard, il est difficile de fixer des attentes précises en ce qui a trait à la progression de l'apprentissage. Comme l'ont rappelé plusieurs intervenants consultés, il n'est pas toujours facile pour les juges de mettre en pratique la formation qu'ils ont reçue.

Formation de l'Institut national de la magistrature

L'Institut national de la magistrature n'offre pas de formation linguistique. Il offre plutôt une formation en droit substantif.

En ce qui concerne la formation sur les droits linguistiques, l'Institut publie en ligne un cahier destiné aux juges et portant sur les droits linguistiques, mais n'offre aucune formation strictement axée sur cette question. Celle-ci est plutôt abordée de façon indirecte par le biais d'activités de formation plus générale concernant, par exemple, la réalité socio-économique que doivent considérer les juges dans l'exercice de leurs fonctions.

Dans son rapport, le Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français auprès du procureur général de l'Ontario constate le manque de formation sur les droits linguistiques à la magistrature des cours supérieures :

À la Cour d'appel de l'Ontario et à la Cour supérieure de justice, il n'y a présentement aucun programme sur les droits linguistiques des francophones ou sur le statut de ces droits. Par ailleurs, il n'y a pas d'orientation sur les droits linguistiques des francophones dans le programme de formation à l'intention des nouveaux juges48.

C'est à partir de ce constat que le Comité consultatif souligne le rôle que pourrait jouer l'Institut national de la magistrature pour combler ce vide :

L'Institut national de la magistrature possède une expertise dans le domaine et pourrait se voir demander d'élaborer un module susceptible d'être utilisé par les divers tribunaux. L'Institut national de la magistrature pourrait aussi se voir demander d'intégrer les questions relatives aux droits linguistiques des francophones au programme conçu pour d'autres cours offerts aux juges49.

6.2 Initiative de la Cour provinciale

En 2011, le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales a mis de l'avant son programme Formation en français juridique pour juges canadiens de nomination provinciale, dont certaines caractéristiques méritent d'être soulignées dans le présent rapport.

Le Centre canadien de français juridique assure la production du contenu et la prestation du programme, tandis que la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick est chargée de son administration.

Ce programme se distingue par l'accent placé sur la formation pratique. En effet, les juges qui participent à ces séances (d'une durée d'environ une semaine) prennent part, entre autres, à des procès simulés. Ainsi, les participants se retrouvent dans un palais de justice, avec des officiers de la cour, des témoins, des avocats et d'autres intervenants au besoin (comme des policiers) et sont appelés à présider un procès simulé de façon à pouvoir mettre en application ce qu'ils ont appris.

Le programme de formation comprend en outre une évaluation de la compétence linguistique des participants, au moyen d'une échelle conçue par le Centre canadien de français juridique, en consultation avec la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, spécifiquement pour le travail des juges. Cette échelle permet aux participants de mieux comprendre leur niveau de capacité bilingue dans le cadre de leurs fonctions et ainsi d'adapter leur formation en conséquence.

Il est à noter que, pour ce type de formation, les participants doivent posséder une certaine maîtrise de leur langue seconde. Il s'agit à cet égard d'un programme permettant d'améliorer la maîtrise appliquée du vocabulaire juridique et des communications qui se déroulent dans le cadre d'une instance judiciaire.

À ce jour, le programme est offert aux juges désirant approfondir leur connaissance du français juridique. Au moment de préparer ce rapport, les responsables du projet exploraient la possibilité d'offrir cette formation aux juges désirant parfaire leur connaissance de l'anglais juridique.

6.3 Constats et pistes d'action

La formation linguistique des juges vise principalement à leur donner la capacité de présider une instance dans l'une ou l'autre langue officielle. Les activités de formation doivent donc permettre l'évolution souhaitée pour en arriver à ce résultat.

On constate, dans cette étude, que les activités de formation actuellement offertes par le Commissariat à la magistrature fédérale et celles offertes par le Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales sont largement complémentaires, bien qu'elles visent deux clientèles distinctes.

En effet, la formation linguistique du Commissariat vise en grande partie à perfectionner la maîtrise de la deuxième langue officielle, tout en intégrant certaines dimensions liées plus directement au travail de la magistrature. La formation du Conseil canadien des juges en chef des cours provinciales vise principalement la mise en pratique de la connaissance acquise, par le biais, entre autres, de procès simulés. Il paraîtrait souhaitable de viser une collaboration plus étroite entre les deux organismes, ce qui bénéficierait tout autant aux juges des cours supérieures qu'à ceux des cours provinciales.

Cette plus grande collaboration permettrait en outre d'explorer la possibilité d'adapter l'échelle de compétence linguistique mise au point dans le cadre du programme Formation en français juridique pour juges canadiens de nomination provinciale, de manière à pouvoir l'appliquer aux juges œuvrant dans les cours supérieures.

On peut en outre souhaiter que l'Institut national de la magistrature puisse donner suite à la suggestion du Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français auprès du procureur général de l'Ontario d'offrir une formation axée sur les droits linguistiques à l'intention, mais non exclusivement, des juges nouvellement nommés. Une telle formation complèterait très bien la formation linguistique offerte aux juges des cours supérieures.

6.4 Conclusions et recommandations

Afin de garantir aux citoyens un accès égal aux cours supérieures dans l'une ou l'autre langue officielle, la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures doit être assurée au moyen du processus de nomination. La formation linguistique devrait servir à maintenir et à enrichir la capacité bilingue du tribunal, tout en permettant également à l'ensemble des juges intéressés de profiter des activités d'apprentissage et ainsi d'utiliser leurs compétences linguistiques dans le cadre de leur travail. Le programme de formation linguistique actuel du Commissariat à la magistrature fédérale semble répondre aux besoins des juges tant à l'égard de l'apprentissage de la langue seconde, qu'au maintien et au renforcement de leur compétence linguistique. Cependant, les outils de formation linguistique offerts aux juges des cours provinciales pourraient constituer des modèles intéressants si le Commissariat souhaitait offrir aux juges des cours supérieures un programme complémentaire de formation linguistique leur permettant d'évaluer leurs compétences linguistiques dans des situations réelles de travail.

Enfin, les juges des cours supérieures doivent être davantage sensibilisés aux droits linguistiques des justiciables afin d'assurer une égalité réelle en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles.

À la lumière de ce qui précède, le commissaire recommande que :

Recommandation

  1. 9. le ministre de la Justice du Canada demande au Commissariat à la magistrature fédérale de revoir, d'ici au 1er septembre 2014 le programme actuel de formation linguistique afin, notamment, d'enrichir sa composante appliquée et cela, en tenant compte du programme de formation appliqué qu'offre actuellement le Conseil canadien des Juges en chef des cours provinciales;
  2. 10. Le Conseil canadien de la magistrature examine la possibilité de mandater l'Institut national de la magistrature d'ajouter un module spécifique sur les droits linguistiques des justiciables au programme d'orientation et de formation continue, ainsi qu'une composante sur les droits linguistiques dans les divers modules offerts à la magistrature.

7. Conclusion

L'accès à la justice constitue un droit fondamental de tous les justiciables au Canada. Plusieurs initiatives menées par divers intervenants visent à recommander des changements susceptibles d'éliminer les obstacles qui limitent l'accès à la justice. Mais si l'accès à la justice constitue un enjeu pour l'ensemble des justiciables, l'accès à la justice dans l'une ou l'autre des deux langues officielles du Canada constitue un défi supplémentaire pour environ deux millions de Canadiens membres d'une communauté de langue officielle.

Dans un pays qui arbore fièrement la dualité linguistique comme valeur fondamentale et composante essentielle de son identité, aucun justiciable ne devrait avoir à subir des délais et des coûts supplémentaires ou faire autrement l'objet de préjudices parce qu'il a choisi de se faire entendre en français ou en anglais. Il est donc pressant de mettre en place les mécanismes nécessaires pour que les cours supérieures et les cours d'appel de toutes les provinces et territoires disposent d'un nombre approprié de juges bilingues afin que les Canadiens d'expression française et d'expression anglaise aient pleinement accès à la justice dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Bien que plusieurs voix aient exprimé la nécessité de revoir le processus actuel de nomination, force est de constater qu'il n'existe pas encore d'action concertée de la part du ministre de la Justice du Canada et de ses homologues provinciaux et territoriaux afin d'assurer en tout temps une capacité bilingue adéquate au sein de la magistrature fédérale des cours supérieures.

Les conséquences de l'inaction sont importantes et il convient de citer les propos très pertinents du juge en chef de l'Ontario concernant l'accès à la justice en général, lesquels s'appliquent tout autant en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles :

« L'accès à la justice est, et continue d'être, le défi du système de justice civile. Le système de justice de l'Ontario est bien servi par des juges, des avocats et des administrateurs dévoués et compétents. Mais nous pouvons faire mieux. Nous pouvons miser sur nos récents succès et redoubler nos efforts pour faire tomber les obstacles qui continuent de bloquer la voie vers un véritable « accès à la justice ». Quel est le risque de l'inaction? Si nous ne relevons pas les défis et ne présentons pas de solutions constructives et créatives pour éliminer ces obstacles, nous risquons de perdre la confiance du public à l'égard de notre système de justice et, en retour, nous risquons de perdre le fondement même de notre système de justice – à savoir, la primauté du droit50. » [traduction]

En raison de la nature constitutionnelle des droits linguistiques, il importe d'éliminer immédiatement tout obstacle mettant en péril l'équilibre précaire sur lequel repose le principe d'égalité des deux langues officielles dans le domaine judiciaire.

Par conséquent, le commissaire aux langues officielles du Canada, de concert avec la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d'Entremont, et le commissaire aux services en français de l'Ontario, François Boileau, pressent le ministre de la Justice du Canada de mettre en œuvre les recommandations de cette étude et d'agir à cette fin en collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux ainsi que les juges en chef des cours supérieures et cours d'appel au Canada.

Annexe – Documents consultés

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  • Association du Barreau canadien, Processus de nomination à la magistrature fédérale(link is external), octobre 2005.
  • Association du Barreau canadien, Résolution 05-02-A : Nomination de juges bilingues(link is external), août 2005.
  • Bastarache, Michel (Hon.), Rapport de la Commission d'enquête sur le processus de nomination des juges de la Cour du Québec, des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec(link is external), Publications du Québec, 2011.
  • Barreau de Montréal, Accès à la justice en langue anglaise dans le district de Montréal : état de la situation(link is external), février 2007.
  • Barreau du Québec, Préserver la confiance(link is external), Mémoire du Barreau du Québec présenté à la Commission d'enquête sur le processus de nomination des juges, le 23 septembre 2010.
  • Cardinal, Linda et coll., Les services en français dans le domaine de la justice en Ontario : Un état des lieux(link is external), Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques, 2005.
  • Chartier, Richard (Hon.), Avant toute chose, le bon sens : Un rapport et des recommandations sur les services en français au sein du gouvernement du Manitoba(link is external), mai 1998.
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  • Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Préserver l'indépendance du système de nominations à la magistrature(link is external), mai 2007, 1ère session, 39e législature.
  • Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, Parlement du Canada, le 10 mai 2007, Numéro 068, 1ère session, 39e législature.
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  • Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, Parlement du Canada, le 28 mars 2007, Numéro 058, 1ère session, 39e législature.
  • Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, Parlement du Canada, le 20 mars 2007, Numéro 054, 1ère session, 39e législature.
  • Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, Parlement du Canada, le 5 février 2007, Numéro 045, 1ère session, 39e législature.
  • Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, Témoignages, Parlement du Canada, le 8 mai 2008, 1ère session, 39e législature.
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  • Commissariat aux langues officielles du Canada, Rapport annuel 2004-2005.
  • Commissariat aux langues officielles du Canada, Rapport annuel 2003-2004.
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