Notes d’allocution pour la comparution devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles
Winnipeg (Manitoba), le 21 novembre 2022
Raymond Théberge - Commissaire aux langues officielles
Seul le texte prononcé fait foi
Début de dialogue
Monsieur le président, honorables membres du comité, bonsoir.
Je tiens d’abord à souligner que je m’adresse à vous depuis Winnipeg, le territoire du Traité no 1, soit le territoire traditionnel des peuples anishinabé, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie de la Nation métisse.
C’est avec grand plaisir que je me joins à vous aujourd’hui pour vous présenter mon rapport annuel 2021‑2022 et pour discuter d’une question particulièrement préoccupante, l’immigration francophone en contexte minoritaire.
Tout d’abord, mon dernier rapport annuel. En 2021‑2022, le Commissariat aux langues officielles a reçu un nombre record de 5 409 plaintes recevables, soit une augmentation de 189 % par rapport à l’année précédente. La tendance est claire : le volume de plaintes ne cesse d’augmenter depuis les cinq dernières années.
Je tiens à préciser que près de 75 % des plaintes que nous avons reçues en 2021-2022 ont été déposées à la suite d’évènements liés au manque de maîtrise des deux langues officielles chez de hauts dirigeants, et que près de la moitié de ces plaintes portent sur un évènement précis lié à Air Canada.
Je l’ai dit à maintes reprises : la maîtrise des deux langues officielles est une compétence indispensable pour tout leader, particulièrement pour ceux et celles des institutions fédérales qui sont assujetties à la Loi sur les langues officielles.
Le visage bilingue d’une organisation dépend en grande partie du bilinguisme des personnes qui occupent les postes aux plus hauts échelons. Nos leaders doivent montrer l’exemple et être capables de représenter l’ensemble de la population canadienne dans les deux langues officielles.
C’est pourquoi, dans mon rapport, je recommande à l’un des comités parlementaires des langues officielles de se pencher sur les obligations linguistiques relatives à la dotation des postes de la haute direction dans la fonction publique fédérale, ainsi que sur les nominations du gouverneur en conseil. Il s’agit de déterminer si la connaissance des deux langues officielles doit être un critère d’embauche pour ce type de postes et de trouver une solution à long terme à l’effritement des droits linguistiques au sein de la fonction publique fédérale.
Je recommande également à la ministre des Langues officielles de veiller à ce que les institutions fédérales soient bien informées de leurs obligations au titre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles,et qu’elles les mettent en œuvre à la lumière du jugement du 28 janvier 2022 de la Cour d’appel fédérale dans le recours de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique.
Avec cette décision, la Cour d’appel fédérale a enfin reconnu, de façon non équivoque, la pleine portée des obligations prévues à la partie VII de la Loi. Je m’attends à ce que le gouvernement fédéral assume le leadership dont les institutions fédérales ont besoin pour les guider dans la mise en œuvre de leurs obligations.
Je suis toutefois conscient de la décision de la FFCB de porter la cause en appel devant la Cour suprême du Canada. L’appel concerne spécifiquement la section de la décision portant sur la partie IV, et la FFCB cherche également à obtenir quelques changements au projet de loi C-13. Il va sans dire que je continuerai de suivre l’évolution de ce dossier avec intérêt.
Abordons maintenant la seconde raison pour laquelle je suis avec vous aujourd’hui. Depuis plus d’une décennie, l’immigration francophone en milieu minoritaire est une priorité pour mes prédécesseurs et moi. Les récentes données du Recensement de 2021 sur la langue ont accentué l’urgence d’agir.
Bien que le nombre de personnes ayant une connaissance du français au Canada soit plus élevé que jamais et que la population francophone soit de plus en plus diversifiée, la baisse du poids démographique de la population d’expression française en milieu minoritaire par rapport à celle d’expression anglaise demeure une grande préoccupation.
Comme vous le savez, le Commissariat a publié une étude en novembre 2021 sur la cible de 4,4 % d’immigration d’expression française au sein des communautés francophones en situation minoritaire. Cette cible, adoptée il y a déjà près de 20 ans, n’a jamais été atteinte par le gouvernement fédéral. De plus, notre étude démontre que même si cette cible de 4,4 % avait été atteinte de façon constante chaque année depuis son échéance initiale en 2008, cela n’aurait pas suffi à maintenir − et encore moins à accroître − le poids démographique de la population d’expression française à l’extérieur du Québec, ce qui était son objectif.
J’ai été déçu d’apprendre que le gouvernement fédéral ne s’est toujours pas engagé à revoir sa cible d’immigration francophone en milieu minoritaire, malgré divers rapports et études l’exhortant à la hausser. C’était d’ailleurs l’une des recommandations de mon étude. Les experts ont été clairs : avec une cible annuelle de 4,4 %, le poids démographique des communautés francophones à l’extérieur du Québec continuera à décliner.
Il est temps de faire mieux et d’en faire plus. Nous sommes plusieurs à avoir dénoncé la situation au cours des derniers mois; nous nous serions attendus à ce que des décisions suivent sans délai. Nous avons besoin d’un nouvel objectif clair et d’une cible d’immigration francophone beaucoup plus ambitieuse. Cette cible doit combler le manque à gagner en matière d’admissions de résidents permanents d’expression française en milieu minoritaire et assurer un avenir prospère pour nos communautés francophones.
Bien que mon étude porte principalement sur l’admission d’immigrants, j’aimerais ajouter que nous devons aussi porter une attention particulière à la rétention et à l’intégration des nouveaux arrivants dans les communautés, afin d’assurer le maintien du poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec. C’est une chose de les accueillir au pays, mais nous devons également veiller à ce qu’ils puissent s’épanouir au sein de la société canadienne.
Soyons clairs. Nous devons rajuster le tir pour garantir la pérennité et l’avenir de la francophonie partout au pays, et la solution passe en partie par l’immigration. Le gouvernement doit s’engager à viser une cible plus ambitieuse et à prendre en considération tous les changements requis aux différentes étapes du continuum de l’immigration francophone.
Cela dit, sur une note plus positive, j’aimerais souligner l’ouverture du nouveau Centre d’innovation en immigration francophone à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, qui vise à aider à accroître le nombre d’immigrants francophones qui viennent s’établir au Canada.
Par ailleurs, la modernisation de la Loi sur les langues officielles est aussi un levier dont le gouvernement dispose pour garantir un avenir stable et dynamique pour les langues officielles au Canada. Le projet de loi C-13 a le potentiel de transformer le régime linguistique du pays en faisant du pilier sur lequel il repose, la Loi sur les langues officielles, une loi qui permettra à nos langues officielles de progresser et qui défendra réellement les droits linguistiques de la population canadienne.
Même si tout n’est pas gagné, je demeure optimiste face à l’avenir. En effet, il est rassurant de savoir que l’appui du public pour nos deux langues officielles résiste à l’épreuve du temps, comme le démontrent les résultats du sondage d’envergure réalisé en 2021 pour le compte du Commissariat.
Toutefois, nous ne devons rien tenir pour acquis. L’appui de la population canadienne doit se refléter dans des politiques et des initiatives robustes dans tous les secteurs de la société pour que nos deux langues officielles rayonnent dans l’ensemble du pays.
Je vous remercie de votre attention. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la langue officielle de votre choix.