Notes d’allocution pour la comparution devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2022
Raymond Théberge - Commissaire aux langues officielles

Seul le texte prononcé fait foi

 

Début de dialogue

Monsieur le président, honorables membres du comité, bonjour.

Bien que la rencontre d’aujourd’hui se déroule sur une plateforme virtuelle, je tiens à souligner que je m’adresse à vous depuis le territoire du Traité no 1, soit le territoire traditionnel des peuples anishinabé, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie de la Nation métisse.

C’est avec grand plaisir que je me joins à vous aujourd’hui pour vous présenter le fruit de mon analyse approfondie des mesures proposées par le gouvernement dans son projet de loi C-13.

Ce projet de loi représente clairement un grand pas vers une loi modernisée. S’il est adopté, il a le potentiel de transformer le régime linguistique canadien en faisant du pilier sur lequel il repose, la Loi sur les langues officielles, une loi qui permettra à nos langues officielles de progresser et qui défendra réellement les droits linguistiques de la population canadienne.

Je vois d’ailleurs d’un bon œil que le projet de loi C-13 enjoint le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté à adopter une politique en matière d’immigration, qui comprend des objectifs, des cibles et des indicateurs en matière d’immigration francophone afin de favoriser l’épanouissement des communautés francophones en milieu minoritaire.

Cependant, il ne faut pas oublier que ce plan devrait porter sur tout le continuum en immigration, c’est-à-dire, sur l’ensemble des étapes et des catégories en immigration. C’est pourquoi je propose qu’on exige de la part du ministre qu’il fournisse des précisions quant à la façon dont il entend atteindre ces objectifs et ces cibles. Sans reddition de compte, la politique en matière d’immigration risque de ne pas livrer les résultats escomptés. 

Comme je l’explique dans mon mémoire intitulé Une occasion historique à saisir : Pour une modernisation complète de la LLO, le projet de loi C-13 est fort prometteur, mais il comprend des mesures qui gagneraient à être améliorées et clarifiées. De plus, certaines mesures qu’on attend depuis longtemps, mais qui ne figurent pas dans le projet de loi devraient, selon moi, y être ajoutées.

En effet, C-13 ne propose aucune mesure pour moderniser les composantes qui sont au cœur de la Loi, soit les communications avec le public et la prestation de services ainsi que la langue de travail. Comme je le signale dans mon mémoire, cette omission est l’un des maillons faibles du projet de loi.

La façon dont l’offre active doit être effectuée par les institutions fédérales doit être clarifiée et encadrée dans la Loi. Quand on leur fait l’offre active, plus de 80 % des francophones disent qu’il y a de fortes chances qu’ils demandent un service en français alors que seulement 14 % d’entre eux le demanderont si l’offre active n’est pas faite. Cette statistique démontre clairement l’importance de l’offre active pour assurer l’accès aux services gouvernementaux dans la langue officielle de préférence des citoyens.

Le projet de loi C-13 doit aussi rendre l’ensemble de la Loi technologiquement neutre. En effet, les technologies utilisées par les institutions fédérales pour communiquer avec le public et leur personnel ont grandement évoluées au cours des dernières décennies. Qui aurait pu imaginer, lors de l’adoption de la version courante de la Loi en 1988, qu’il serait aujourd’hui possible d’être informé d’une situation d’urgence en recevant un message d’alerte sur son téléphone cellulaire ou qu’une pandémie mondiale allait forcer la majorité de la population canadienne à travailler à distance et à se familiariser avec de nouveaux outils technologiques.

C’est pourquoi le projet de loi C-13 doit prévoir des obligations qui ne se limitent pas uniquement aux technologies d’hier et d’aujourd’hui. Nous devons prévoir l’imprévisible, et nous assurer que la Loi résiste à l’épreuve du temps.

Je suis également d’avis que le projet de loi C-13 devrait codifier dans la Loi l’obligation pour les institutions fédérales, d’une part, de rédiger toute entente fédérale-provinciale-territoriale dans les deux langues officielles et, d’autre part, d’y incorporer des clauses linguistiques exécutoires.

Les mesures visant à améliorer la gouvernance, c’est-à-dire la manière dont l’appareil fédéral s’organise pour mettre en œuvre la Loi, gagneraient également à être ajustées.

Je crois fermement que la gouvernance de la Loi serait grandement améliorée si la responsabilité en était confiée à un organisme central qui aurait l’autorité et la légitimité nécessaires pour renforcer les mécanismes de reddition de compte et pour s’assurer que les institutions fédérales se conforment à la Loi.

Selon moi, le Conseil du Trésor est le mieux placé pour s’acquitter de cette importante responsabilité. Je remarque que dans le projet de loi C-13, les responsabilités du Conseil du Trésor et de Patrimoine canadien se chevauchent considérablement. Il y a donc deux entités distinctes qui sont responsables de la mise en œuvre de la Loi, ce qui est problématique lorsqu’on veut déterminer qui en est ultimement responsable. 

Par ailleurs, bien que le projet de loi C-13 rende plus contraignantes les obligations du Conseil du Trésor, les responsabilités de ce dernier doivent être renforcées afin qu’il ne puisse pas déléguer ses pouvoirs et ses obligations aux administrateurs généraux des institutions fédérales.

Finalement, les dispositions du projet de loi relatives à l’appui au développement et à l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire sont un pas dans la bonne direction. Toutefois, je crains que ces dispositions affaiblissent certaines obligations des institutions fédérales obtenues dans la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans le cadre du recours de la Fédération des francophones de la Colombie‑Britannique (FFCB).

En effet, dans le projet de loi C-13, une trop grande latitude est accordée aux institutions comparativement aux obligations prescrites dans la décision FFCB en ce qui concerne l’obligation de prendre des mesures positives et l’obligation de pallier toute répercussion négative découlant de leurs décisions, sur la base d’analyses d’impact.

Le projet de loi C-13 doit mieux encadrer la marge de manœuvre des institutions fédérales. J’incite donc le gouvernement à davantage codifier dans la Loi les principes qu’on retrouve dans la décision FFCB.

Dans mon mémoire, j’explique plus en détail ma réflexion et je formule plusieurs autres recommandations qui, je l’espère, contribueront à renforcer cette loi qui a déjà tant accompli depuis plus de 50 ans pour l’avancement des langues officielles au pays.

L’étude du projet de loi en comité nous rapproche de la ligne d’arrivée. Il reste cependant encore plusieurs étapes à franchir avant son adoption.

Nous ne pouvons plus nous permettre de remettre à plus tard ce projet. La balle est maintenant dans votre camp : je vous demande de saisir l’occasion historique qui se présente à vous aujourd’hui et de faire de ce projet de loi une réussite pour les langues officielles.

Je vous remercie de votre attention. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la langue officielle de votre choix.

Date de modification :
2022-06-20