R c Caron (2014)

Année
2015
Cour
Cour d’appel de l’Alberta
Catégories
Bilinguisme judiciaire et législatif
Référence
2014 ABCA 71
Province ou territoire
Alberta

La Cour d’appel de l’Alberta détermine que le droit à la publication de la législation en français en Alberta n’est pas protégé par la Constitution.

a) ContexteNote de bas de page 1

Gilles CaronNote de bas de page 2 a été accusé d’avoir enfreint le Traffic Safety ActNote de bas de page 3 de l’Alberta. M. Caron a soutenu dans sa défense que ses droits constitutionnels avaient été violés parce que cette loi n’était pas publiée en français. M. Caron a avancé la thèse selon laquelle le maintien des droits linguistiques législatifs et judiciaires des francophones était une condition du transfert et de l’adhésion de la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest au Canada en 1870. Ces terres sont devenues plus tard le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta, le Nord de l’Ontario, le Nord du Québec et presque tout le Nunavut. Selon M. Caron, les droits linguistiques des habitants de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest avaient alors été enchâssés dans la Constitution. Par conséquent, la Loi linguistiqueNote de bas de page 4 de l’Alberta, qui établit que toutes les lois et tous les règlements peuvent être publiés uniquement en anglais, serait inconstitutionnelle.

La décision de céder la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest au Canada en 1868-1869 a été prise par la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui contrôlait alors les terres, le Parlement de la Grande-Bretagne et le Parlement du Canada. Cette décision a suscité l’opposition des habitants de ces terres, dont la moitié était francophone. En 1869, en réponse à cette opposition, la Couronne britannique a promis aux habitants que leurs droits civils et religieux seraient respectés, par le biais d’une proclamation (« Proclamation royale »). Les habitants ont mis fin à l’insurrection et se sont réunis pour définir leurs droits. Ils ont établi des listes de droits qui comportaient des revendications en matière de bilinguisme officiel. En juin 1870, le Parlement impérial a ordonné l’adhésion de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord‑Ouest au Canada par le biais d’un décret (« Décret de 1870 »). Selon M. Caron, les droits linguistiques des habitants avaient été inscrits dans la Constitution lors du transfert des terres au Canada au moyen de la Proclamation royale et du Décret de 1870.

La Cour provinciale de l’Alberta a acquitté M. Caron, au motif que le Traffic Safety Act était inopérant car il n’était pas disponible en françaisNote de bas de page 5. Selon la Cour, la province de l’Alberta avait l’obligation constitutionnelle de publier sa législation en anglais et en français. La province de l’Alberta a porté cette décision en appel.

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a accueilli l’appel en déterminant que le Décret de 1870 et la Proclamation royale n’étaient pas des documents constitutionnelsNote de bas de page 6. Elle a conclu que, même si les habitants de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord‑Ouest jouissaient, avant l’annexion, de certains droits linguistiques, ces droits n’avaient pas été enchâssés dans la Constitution. M. Caron a porté appel de cette décision en Cour d’appel de l’Alberta.

b) Décision de la Cour d’appel de l’Alberta

La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’appel de M. Caron. Elle a estimé que, même en admettant que les habitants de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest jouissaient de certains droits linguistiques au moment de l’annexion, ces droits n’ont jamais été enchâssés dans la Constitution.

i. Proclamation royale

En ce qui a trait à la Proclamation royale, la Cour d’appel a maintenu le raisonnement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta selon lequel ce document n’a jamais été adopté en tant que loi par le Parlement britannique. La Proclamation royale constituait plutôt un geste politique visant à désamorcer les conflits alimentés par l’annexion.

Décret de 1870

Quant au Décret de 1870, la Cour d’appel était d’avis que même en appliquant le principe de protection des minorités et en utilisant une interprétation large et libérale des droits linguistiques, elle ne pouvait conclure que le Décret de 1870 avait enchâssé les droits linguistiques dans la Constitution. Il en est ainsi notamment en raison du fait qu’en 1870, au même moment que l’adoption du Décret de 1870, le Manitoba a été créé par le biais de la Loi sur la ManitobaNote de bas de page 7, qui protège expressément les droits linguistiques dans cette province. Le Décret de 1870, adopté au même moment, ne contient pas de disposition expresse similaire et ne peut être interprété comme un document enchâssant les droits linguistiques dans la Constitution.

iii. Obligation fiduciaire

L’Association canadienne-française de l’Alberta, intervenante dans cette affaire, a fait valoir que l’Alberta est liée par une relation de nature fiduciaire avec les francophones de la province. L’Alberta serait donc tenue de respecter les droits linguistiques dont jouissaient les habitants francophones avant l’annexion. En réponse à cet argument, la Cour d’appel s’est basée sur la décision Alberta c Elder Advocates Society of AlbertaNote de bas de page 8 de la Cour suprême du Canada pour conclure qu’une obligation fiduciaire doit se fonder sur un intérêt de droit privé précis sur lequel la personne ou le groupe à protéger exerçait un droit direct et absolu. La Cour suprême a cité comme exemple d’intérêt de droit privé les droits de propriété et les intérêts humains fondamentaux similaires à ceux qui entrent en jeu lorsque l’État assume la tutelle d’une personne. La Cour d’appel a conclu que les droits linguistiques ne sont pas analogues à ces intérêts de droit privé et qu’ils ne peuvent donc pas faire l’objet d’une obligation fiduciaire.

Notes de bas de page

note de bas de page 1

Voir le résumé de la décision de la Cour provinciale de l’Alberta, R c Caron, 2008 ABPC 232, pour un contexte plus détaillé.

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note de bas de page 2

2014 ABCA 71

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note de bas de page 3

R.S.A. 2000, c. T-6

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note de bas de page 4

R.S.A. 2000, c. L-6

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note de bas de page 5

2008 ABPC 232

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note de bas de page 6

2009 ABQB 745

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note de bas de page 7

Loi modifiant et prorogeant la loi 32-33 Victoria, chapitre 3, et concernant l’organisation du gouvernement du Manitoba, 1870, 33 Vict., ch. 3 (Canada)

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note de bas de page 8

2011 CSC 24

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