Enseignante, historienne, organisatrice communautaire, écrivaine, éditrice et conteuse exceptionnelle, la très regrettée Marianna O’Gallagher a grandement contribué à mettre en lumière une facette négligée de l’histoire du Québec. Bien avant qu’on commence à considérer les anglophones comme une communauté – « grâce au Parti québécois! », affirmait Mme Gallagher –, cette dernière s’est plongée dans l’étude de trois siècles d’histoire irlandaise au Québec. Le poste de quarantaine de Grosse-Île, où des milliers d’immigrants ont succombé au typhus en 1847, est maintenant au lieu historique national grâce, aux efforts déployés par Mme Gallagher. Nous savons désormais combien de prêtres et de pasteurs sont morts en tentant d’aider les immigrants et combien d’orphelins ont été adoptés par des familles québécoises, s’intégrant imperceptiblement à la culture francophone de sorte qu’on trouve aujourd’hui dans la ville de Québec des Kelly, des O’Neil et des O’Sullivan qui ne parlent plus anglais depuis des générations. Mme Gallagher savait ce qu’avait souffert le peuple irlandais, tant en Irlande qu’au Québec, et elle a aidé ces deux pays à acquérir une meilleure compréhension de ce chapitre de leur histoire.
Mme Gallagher était une conteuse émérite, qui esquissait de nombreux récits sur sa jeunesse au sein d’une grande famille, ses années passées en tant que Sœur de la Charité ou à titre d’enseignante d’histoire à l’école secondaire Saint-Patrick, ses voyages en Irlande, ses années de recherche et sa vie en tant qu’auteure et éditrice (Carraig Books). Elle partageait l’amour du conteur pour la « petite histoire », celle qui ne se raconte qu’au moyen d’anecdotes, d’une narration vivante et de détails colorés. La plupart de ses récits lui avaient été contés par son père, qu’elle adorait – et qu’elle mentionnait dans toutes nos conversations. Toutefois, elle faisait aussi preuve d’une rigueur universitaire; ses recherches inédites sur la communauté irlandaise au Québec ont jeté les bases solides d’une recherche universitaire naissante dans ce domaine, qui se poursuit aujourd’hui dans des institutions comme l’École des études canado-irlandaises à l’Université Concordia.
L’une des fondatrices, en 1973, du groupe communautaire Irish Heritage Quebec, Mme Gallagher appuyait activement toute personne, en provenance du milieu universitaire ou non, qui s’intéressait à l’histoire de la communauté irlandaise ou anglophone. « Elle m’a prise sous son aile à titre d’historienne et m’a accueillie au sein de la communauté irlandaise », déclare Lorraine O’Donnell, organisatrice d’une récente exposition sur l’histoire des Irlando-Québécois au Musée McCord, à Montréal. Mme O’Donnell qualifie Mme Gallagher de véritable historienne du peuple, refusant de se laisser entraver par sa discipline universitaire et profondément engagée auprès de sa communauté. « On parle de la vitalité des communautés, ajoute Mme O’Donnell. Grâce à Mme Gallagher, la communauté irlandaise du Québec connaît un regain de vitalité. »
En 1985, Mme Gallagher a quitté sa communauté religieuse pour se consacrer à l’écriture de l’histoire de la communauté irlandaise au Québec. Elle n’a toutefois jamais perdu la foi. Jusqu’à la fin de sa vie, le lectionnaire catholique a trôné sur sa table de chevet, parmi les livres de blagues et d’histoire et les ouvrages de fiction, lui apportant du réconfort. La douleur des derniers jours a été difficile à supporter. « J’ai dit au Seigneur que je remettais mon âme entre Ses mains, m’a-t-elle confié. J’imagine qu’Il est occupé, mais j’aimerais bien qu’Il se dépêche. »

Photo : Gracieuseté du Quebec Chronicle-Telegraph
À sa grande joie, Mme Gallagher a assisté de son vivant à la réinstauration du défilé de la Saint-Patrick en 2010, le premier grand défilé à se tenir dans la ville de Québec pour l’occasion depuis 1926. Dans cette ville de défilés et de festivals, pour la plupart commandités par des compagnies de bières ou de biscuits, la nature non commerciale du défilé de la Saint-Patrick était rafraîchissante. Les rues étaient bondées non seulement de personnes de descendance irlandaise – 40 p. 100 de la population de la ville, selon Mme Gallagher –, mais aussi de gens fascinés par la culture celtique, qui forme un plus grand nombre encore. Assise sur un canapé défraîchi à l’arrière d’une vieille camionnette, Mme Gallagher était la reine de la parade. La scène était à la fois terre-à-terre, drôle et empreinte de dignité, comme la crème de la communauté irlandaise au Québec. Mme Gallagher, vêtue de son imperméable, semblait absolument ravie et nous a tous salués pour la dernière fois.
Marianna O’Gallagher est décédée le 23 mai 2010. Elle s’est vue décerner l’Ordre national du Québec en 1998, de même que l’Ordre du Canada et la Médaille du jubilé de la Reine Elizabeth II en 2002. Son bien le plus précieux était toutefois un crucifix en acajou sculpté en 1999 par les détenus de la prison Mountjoy, à Dublin, après que ces derniers eurent mis en scène une pièce de théâtre inspirée de son ouvrage Grosse-Île, porte d’entrée du Canada, 1832-1937.